Le comité judiciaire de la Chambre des représentants américaine vient d’envoyer une bordée de requêtes aux fameux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Son enquête sur la concurrence dans les marchés numériques s’ajoute à plusieurs autres initiatives du genre lancées au cours des derniers mois. La pression d’en arriver à des résultats s’accroît sur les géants du web… et sur les autorités américaines.

La longue liste des informations réclamées par le comité judiciaire vendredi donne un bon aperçu des critiques et des soupçons qui pèsent contre les GAFA.

À Alphabet, société mère de Google, les élus ont posé des questions sur les risques concurrentiels découlant de plusieurs grosses acquisitions (dont YouTube, Android et DoubleClick) et sur la préférence accordée aux contenus et aux services de Google dans les résultats de recherche.

À Apple, ils ont demandé des renseignements sur la façon dont son algorithme détermine l’ordre d’affichage des applications dans l’App Store, et sur les fonctionnalités d’applications indépendantes qu’Apple a reprises à son compte.

À Facebook, ils ont également posé des questions sur les impacts de certaines acquisitions sur la concurrence, dont celles d’Instagram et de WhatsApp.

Et avec Amazon, ils ont ratissé très large, l’interrogeant notamment sur l’ordre dans lequel son algorithme présente les produits (dont ceux de sa marque privée), sur ses politiques de prix, sur ses acquisitions (dont Whole Foods, Zappos et Audible) et sur la façon dont les données des clients de son service d’infonuagique AWS sont utilisées.

Cette enquête démarrée en juin s’ajoute à deux autres initiatives bipartisanes récentes. La première, annoncée en grande pompe lundi dernier par les procureurs généraux de 48 États, en plus de ceux du District de Columbia et de Porto Rico, vise les pratiques de Google. La seconde, annoncée le vendredi précédent, regroupe les procureurs généraux de huit États et cible Facebook.

Les GAFA sont également sous la loupe de la Federal Trade Commission (FTC) et du département de la Justice (DOJ). Et c’est sans compter divers autres comités de la Chambre et du Sénat qui, faisant écho aux inquiétudes des citoyens et des entreprises, demandent aussi des explications.

Les GAFA sont-ils devenus si dominants dans leurs marchés respectifs qu’ils réussissent à bloquer, vampiriser ou acheter tous ceux qui les menacent, faisant ainsi obstacle à la concurrence et à l’innovation ?

Les entreprises ciblées, évidemment, nient en bloc. Et ces critiques n’ont pas encore été testées devant les tribunaux aux États-Unis.

Mais les Américains n’ont pas oublié que lorsque la FTC a mis fin à son enquête sur les activités de recherche et de publicité de Google en 2013, elle l’a fait à l’encontre d’avis internes qui lui recommandaient de porter des accusations. Son indulgence a été d’autant plus critiquée que la Commission européenne, on l’a vu, a ensuite condamné Google à des milliards de dollars d’amendes pour pratiques anticoncurrentielles. Bien que les règles de l’Union européenne soient différentes de celles des États-Unis, le contraste est pour le moins dérangeant.

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Ici comme aux États-Unis ou en Europe, ce sont plutôt les informations personnelles détenues par ces géants qui inquiètent les citoyens. Vos données sont-elles vraiment protégées ? Sont-elles utilisées pour tenter de vous manipuler ? Depuis le scandale Facebook-Cambridge Analytica, ces préoccupations ne sont jamais bien loin.

Toutefois, les traces de vos activités en ligne ne posent pas seulement un problème de vie privée, mais de concurrence.

Grâce aux masses de données qui transitent par leurs réseaux, les GAFA ont un accès exclusif et en temps réel à de l’information privilégiée qui leur permet de flairer les tendances et d’ajuster leur offre de produits et services en conséquence. Pour garder une longueur d’avance sur les concurrents, voire leur couper l’herbe sous le pied, c’est formidable. Trop ? C’est la question qui se pose avec de plus en plus d’insistance, y compris de ce côté-ci de la frontière.

Le gouvernement du Canada devrait étudier les possibles dommages économiques causés par les « monopoles de données » et voir si la Loi sur la concurrence doit être modernisée en conséquence, a ainsi recommandé un comité de la Chambre des communes en décembre dernier.

C’est intéressant, mais les GAFA sont des fleurons américains.

Si les États-Unis ne les rappellent pas à l’ordre, il y a peu de chances qu’ils changent leurs pratiques.

Or, les Américains sont en train de réaliser que le laxisme par rapport aux lois antitrust est allé trop loin, témoigne Maurice Stucke, spécialiste des enjeux de concurrence et professeur de droit à l’Université du Tennessee. « On est en train de se réveiller et de se rendre compte qu’on a un vrai problème. Si la FTC et le DOJ décident de ne pas poursuivre, ça ne dissuadera pas les États de le faire », assure-t-il.

Il faut l’espérer, parce qu’avec autant d’enquêtes ouvertes, il serait désespérant qu’elles finissent toutes en queue de poisson.

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