L’ironie est grinçante…

Toute la semaine à l’Assemblée nationale, des amis et des acteurs de l’industrie des médias écrits ont témoigné de l’urgence d’agir pour sauver les grandes salles de nouvelles.

Et à quelques exceptions près, ils ont présenté les géants du web — les fameux GAFA — comme un élément de solution. Il suffit, comme ont dit les maires, que les élus « mettent leurs culottes » et taxent les Facebook et Google de ce monde pour que l’avenir des journaux soit assuré.

Merci, bonsoir !

Comme si Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA) pouvaient soudain devenir les sauveurs des journaux… alors qu’ils en sont plutôt les fossoyeurs.

Enlevons-nous tout de suite de la tête l’idée que la survie des médias écrits passe par d’éventuels revenus fiscaux pris directement dans les poches de Mark Zuckerberg.

PHOTOS LEON NEAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE, ET TOBY MELVILLE, ARCHIVES REUTERS

« Il faut absolument mettre les GAFA au pas », précise François Cardinal.

Déjà, on a sous-estimé dans le passé la puissance de ces gigantesques aspirateurs de données et de revenus qui ont siphonné les recettes publicitaires des quotidiens, ce qui explique l’état d’urgence actuel.

Or ce serait une erreur tout aussi grave de lier aujourd’hui la survie des médias d’ici à une hypothétique « taxe GAFA » et aux millions encore plus hypothétiques qu’elle pourrait rapporter, particulièrement quand on les espère à brève échéance.

Comprenons-nous bien : il faut absolument mettre les GAFA au pas.

Il faut veiller à ce qu’ils respectent les lois et les règles fiscales existantes.

Il faut les forcer à percevoir les taxes de vente.

Il faut s’assurer d’une meilleure équité entre les différents acteurs numériques.

Et il faut imposer à juste titre ces entreprises géantes aux chiffres d’affaires astronomiques.

Mais contrairement à ce qu’on a pu entendre à maintes reprises dans les témoignages des derniers jours, il n’y a là absolument rien de facile, particulièrement pour un gouvernement provincial.

Il s’agit d’entités colossales qui sont « dans un statut de paradis fiscal permanent », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron. Des entités qui se sont organisées pour que leurs dépenses ne se retrouvent pas aux mêmes endroits que leurs revenus.

Oui, on l’a entendu souvent cette semaine, la France a déjà adopté, en juillet dernier, sa propre « taxe GAFA » imposée sur le chiffre d’affaires, non pas sur les bénéfices. Mais attention, la France n’a pas encore vu un euro de recette ! Et à moins d’avis contraire, aucun pays au monde n’a encore réussi à toucher de l’argent en imposant les géants du web.

D’ailleurs, il suffit de se rappeler la réplique que Donald Trump a servie cet été à son homologue français pour comprendre que les GAFA ne seront pas facilement mis au pas. Le président américain a en effet juré d’imposer une taxe de 100 % sur les vins français si la mesure fiscale allait de l’avant.

On peut donc en conclure qu’il serait difficile pour François Legault de se lever un bon matin et d’appliquer tout simplement une version québécoise de la « taxe » française pour en récolter les recettes.

Le Québec peut bien forcer Netflix à percevoir la TVQ, c’est facile. Mais soyons honnêtes, l’imposition des GAFA doit être pensée de manière multilatérale. Car le seul rapport de force qui puisse faire plier des entreprises d’une telle taille est international. La seule façon de contrer les inévitables contestations de ces grands groupes ainsi que celles du gouvernement américain est d’afficher un front commun.

Et donc, présenter toute imposition des géants du web comme une réponse immédiate à la crise urgente des médias écrits d’ici est non seulement de l’angélisme, mais une grave erreur qui pourrait repousser toute solution à trop tard.

Oui, les GAFA sont responsables de la crise sans précédent qui ébranle les journaux. Comme a dit le président de la FTQ, Daniel Boyer, ils ne produisent aucun contenu journalistique, vampirisent les médias traditionnels, empochent les revenus publicitaires et ne paient aucune redevance pour la création de ce même contenu.

Mais si les élus attendent leur argent, c’est au cimetière qu’ils le distribueront.

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