Les voies ensoleillées promises par Justin Trudeau se sont ennuagées depuis 2015. Au point que l’on peut se demander, quatre ans après sa victoire électorale, ce qu’il reste de l’image vertueuse tant astiquée du chef libéral.

Par où commencer ?

Le défenseur de l’environnement qui a acheté un pipeline à fort prix ?

Le champion de la cause autochtone qui a perdu sa ministre autochtone ?

Ou le candidat intègre et sans reproche qui s’est vu infliger non pas un, mais deux blâmes éthiques ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« On peut se demander, quatre ans après sa victoire électorale, ce qu’il reste de l’image vertueuse tant astiquée du chef libéral », écrit François Cardinal.

La réalité du pouvoir a manifestement frappé fort pour Justin Trudeau, qui retourne sur le sentier électoral avec sous le bras un bilan mitigé contenant de grandes réussites, mais aussi son lot d’espoirs déçus.

Il faut dire que le premier ministre n’avait pas hésité à augmenter lui-même les attentes en se présentant comme plus blanc, plus vert et plus rose que n’importe quel autre candidat. Une posture morale qui l’a bien sûr rendu vulnérable aux contradictions qu’entraîne nécessairement l’exercice du pouvoir.

Et dans le cas de Justin Trudeau, soyons honnêtes, pas besoin de chercher très loin pour en trouver au terme d’un seul mandat.

Mais doit-on réellement s’en surprendre ? N’est-ce pas le sort qui attend les idéalistes qui promettent mer et monde ? Ils ont beau multiplier les succès, ils sont souvent éclipsés par leurs inévitables contradictions.

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Pour avoir un portrait plus juste du bilan Trudeau, il vaut donc mieux prendre du recul et se fier aux experts indépendants. Et ce faisant, on s’étonne d’apprendre que cette impression de promesses brisées… n’est qu’une impression, justement.

Sa performance est au contraire « exceptionnelle », si l’on se fie au Centre d’analyse des politiques publiques (CAPP) de l’Université Laval, qui vient de publier le bilan des 353 promesses de Justin Trudeau*.

Le gouvernement libéral a réalisé en tout ou en partie 90 % de ses engagements, soit davantage « qu’aucun autre gouvernement précédent depuis 1984 », soit le premier mandat Mulroney.

Bien sûr, les libéraux ont été aidés par leur statut majoritaire, la force de l’économie et la multiplication de promesses simples et ciblées.

N’empêche, il peut se vanter de grandes réalisations. Pensons à l’accueil massif de réfugiés syriens, qui suscitait le scepticisme au sein de la fonction publique. À la gestion des relations difficiles avec le trublion Donald Trump. À la légalisation du cannabis, un enjeu discuté au pays depuis 30 ans. À la taxe carbone, qu’aucun autre gouvernement n’était passé près d’implanter jusqu’ici.

Ajoutons à cela la décision dont Justin Trudeau s’est dit le plus fier en entrevue éditoriale avec La Presse : l’allocation canadienne pour enfants. Une mesure pour laquelle il n’a pas reçu le crédit qui s’impose.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

François Cardinal en entrevue éditoriale avec Justin Trudeau

On parle tout de même d’un programme de plus de 90 milliards de dollars (60 % de toutes les nouvelles dépenses promises par les libéraux) qui bonifie grandement les prestations aux parents en plus de réduire le nombre d’enfants vivant dans la pauvreté.

Le bilan est plus nuancé du côté de la classe moyenne (baisse de 0,2 % du salaire hebdomadaire moyen), des relations avec les autochtones (échec de la mise en place d’un cadre législatif pour la reconnaissance des droits autochtones), des affaires internationales (Chine et Inde) et de l’environnement (aide généreuse à l’industrie des hydrocarbures).

Mais il reste que des avancées significatives ont été réalisées dans chacun de ces dossiers. Un bilan, donc, somme tout positif… sur papier, du moins.

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La principale contradiction du bilan de Justin Trudeau, elle est donc là, finalement : les promesses ont été tenues… mais une impression de déception se dégage au terme de quatre années.

Pourquoi ? D’abord parce que les attentes créées par Justin Trudeau étaient trop grandes, pour ne pas dire irréalistes. En ce sens, il a fait l’exact contraire de l’un de ses prédécesseurs, Jean Chrétien, dont l’approche se résumait par low expectations, high delivery – promettre peu, livrer beaucoup.

Ensuite, parce que le gouvernement Trudeau a démontré ses limites lorsqu’il a eu à gérer des enjeux qui n’étaient pas prévus dans son plan. Pensons à Bombardier et à SNC-Lavalin. Aux relations avec la Chine et l’Arabie saoudite. Ou au voyage en Inde, dont la plus grande faute ne concernait pas les images virales, mais l’invitation faite à Jaspal Atwal, reconnu coupable de tentative de meurtre d’un ministre indien.

Enfin, parce que les difficultés, les erreurs et les échecs du chef libéral ont été retentissants, en plus de toucher au cœur de ce qu’il promettait d’incarner. En fait, c’est l’essence même de Justin Trudeau qui a été remise en question.

En achetant un oléoduc pour 4 milliards de dollars, M. Trudeau ne contredisait pas seulement son engagement de mettre fin aux subventions à la production de combustibles fossiles. Il réfutait tout son discours en environnement.

En abandonnant la réforme du mode de scrutin, il ne reniait pas juste une promesse. Il renonçait à changer le système qui l’avait porté au pouvoir.

En recevant des blâmes du Commissaire à l’éthique, il n’écorchait pas seulement ses valeurs éthiques. Il confirmait que « faire de la politique autrement » est un slogan vide.

Et on pourrait être tout aussi sévère avec la centralisation des pouvoirs au cabinet du premier ministre, l’incapacité d’équilibrer le budget avant la fin du mandat, et plusieurs autres enjeux qui ont fini par ternir l’image du politicien différent et rafraîchissant mis de l’avant avec une redoutable efficacité en 2015.

On pourrait donc dire qu’il y a deux bilans au terme des quatre années qui s’achèvent. Un bilan froid, comptable, qui démontre que le gouvernement Trudeau a su honorer ses promesses. Et un bilan en fonction des attentes énormes qu’il avait créées en 2015, lequel est beaucoup moins reluisant.

PHOTO FOURNIE PAR LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL

Bilan du gouvernement libéral de Justin Trudeau

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