Du porc suspect qui ne vient peut-être même pas d’ici. Du bœuf qui n’a rien à voir là-dedans. Que les autorités chinoises veuillent empêcher des produits douteux d’entrer sur leur marché, on peut le comprendre. Mais de là à fermer leurs frontières à toute la viande en provenance du Canada ? C’est une réaction démesurée qui prive la population chinoise d’une viande de qualité à un moment où elle en manque cruellement.

L’affaire est si touffue qu’on peine à y voir clair. Mais selon les informations disponibles jusqu’ici, ce n’est pas seulement la Chine, mais le Canada qui a l’air d’une victime dans cette histoire.

Les documents qui accompagnaient le porc intercepté par les autorités chinoises à la mi-juin étaient en effet des faux — on parle de près de 200 certificats de vétérinaire contrefaits. D’où vient cette viande prétendument issue d’un abattoir canadien ? C’est l’une des réponses attendues de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui a appelé la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en renfort pour cette enquête criminelle.

Qu’une entreprise véreuse ait cherché à profiter de l’image du Canada pour entrer sur le marché chinois ne devrait pas nous étonner, car la fraude alimentaire est un problème planétaire en croissance.

Quelque 16 000 tonnes de boissons et nourriture (ce qui comprend de la viande et de la volaille) ont été saisies dans le monde en moins de six mois, signalait Interpol la semaine dernière. Et ces enquêtes, on le sait, ne lèvent jamais qu’un petit coin du voile.

En cette période où la Chine, pays qui consomme le plus de porc au monde, voit ses élevages ravagés par la peste porcine africaine, il peut être tentant pour des fraudeurs d’essayer de se faufiler en douce. Mais s’il s’avère que le lot intercepté ne vient pas d’ici, on saura qu’on a affaire à des amateurs.

Les autorités chinoises avaient récemment annoncé leur intention d’inspecter toutes les cargaisons de porc en provenance du Canada. Quand on veut usurper un pays origine, mieux vaut avoir l’intelligence d’en choisir un qui passe facilement sous le radar… Or, depuis l’arrestation de Meng Wanzhou, chef de la direction financière et fille du fondateur de Huawei, ce n’est plus le cas du Canada.

Le gouvernement chinois, qui ne cesse de talonner Ottawa pour que Mme Meng soit libérée, multiplie les pressions, retenant des ressortissants en otage dans ses prisons et refusant les semences de canola à sa frontière. Le problème du porc s’inscrit-il dans la même lignée ? Difficile à dire.

Au cours des derniers mois, des lots associés à trois exportateurs canadiens distincts ont amené l’ACIA à enquêter. Les résultats n’étant pas encore connus, il est impossible d’attribuer une responsabilité.

Ce qui ne fait pas de doute, par contre, c’est que refuser tout le porc et le bœuf en provenance du Canada est une réponse démesurée à la situation.

Pour le bœuf, rien à signaler. Quant au porc intercepté, on l’a vu : il ne vient peut-être même pas d’ici.

Si le seul but est d’embêter les éleveurs, c’est réussi — en particulier ceux du Québec, qui assurent plus de la moitié des exportations canadiennes de porc en Chine. C’est d’autant plus dommage qu’après une année 2018 à oublier, alors que le prix moyen était inférieur au coût de production, la pénurie de porc chinois a enflammé les cours. De mars à mai dernier, le prix a bondi de presque 30 %, signalent les Éleveurs de porcs du Québec.

L’industrie canadienne est donc privée d’une occasion en or et croise les doigts pour que cette suspension qualifiée de temporaire soit la plus brève possible.

La Chine devrait viser la même chose, car cette mesure excessive n’arrange en rien ses affaires. Oui, elle a d’autres sources d’approvisionnement. L’Europe et l’Amérique latine, notamment, sont déjà sur les rangs. Mais les éleveurs chinois ont éliminé une si grande partie de leur cheptel pour essayer d’enrayer la peste porcine que leur production devrait chuter de 25 à 35 %, créant un vide impossible à combler à court terme, estimait la firme Rabobank le mois dernier.

Bref, le moment est bien mal choisi pour se priver du porc canadien, qui jouit depuis longtemps d’une excellente réputation.

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