La nouvelle ressemble à un canular tant elle semble impensable : le New York Times, dans la foulée d’une récente controverse, a décidé de ne plus publier de caricatures dans son édition internationale.

Le prestigieux quotidien n’a pas explicitement lié ce choix à la polémique provoquée en avril dernier par la publication d’une caricature de Donald Trump (aveugle et coiffé d’une kippa) tenant en laisse le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (dessiné sous la forme d’un chien). Tout semble cependant indiquer que c’est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres.

PHOTO THE TIMES OF ISRAEL

La caricature de Trump et Nétanyahou qui a causé une polémique.

En matière de journalisme, le New York Times fait en général un travail exceptionnel. Il est depuis longtemps une référence.

Sa décision de ne plus publier de caricatures est d’autant plus lourde de conséquences.

Elle est aussi plus dérangeante parce qu’il s’agit d’un quotidien américain et non d’un journal iranien ou nord-coréen. Censurer ou congédier les caricaturistes, les mettre en prison ou leur briser les doigts (c’est arrivé au dessinateur syrien Ali Ferzat il y a quelques années), ça n’étonne – malheureusement – pas quand ça se produit sous un régime dictatorial.

Le New York Times est l’un des plus prestigieux quotidiens d’un pays qui se dépeint comme le champion de la démocratie et des droits de la personne ! Le voir renoncer à publier des caricatures de crainte de déclencher de nouvelles polémiques est troublant. C’est une très mauvaise nouvelle pour la liberté de la presse.

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« Je crains que l’enjeu, au-delà des caricatures, soit plus généralement le journalisme et la presse d’opinion. Nous vivons dans un monde où la horde moralisatrice se rassemble sur les médias sociaux et s’abat comme un orage subit sur les rédactions », a écrit Patrick Chappatte, l’un des deux caricaturistes dont les œuvres étaient publiées dans l’édition internationale du New York Times.

On aimerait pouvoir lui dire qu’il s’inquiète pour rien, mais ce n’est pas le cas. Notre époque en est une où non seulement tout le monde peut bruyamment livrer le fond de sa pensée, mais où nos réseaux sociaux préférés mettent en valeur ceux dont les avis expriment l’indignation et l’intolérance. Jadis, on utilisait du goudron et des plumes. Aujourd’hui, nos claviers font l’affaire. On dénonce, on insulte, on humilie et on stigmatise. Et les algorithmes des réseaux sociaux décuplent la puissance et l’impact des calomnies et des accusations, avec un impact bien réel.

Les caricaturistes qui publiaient leurs dessins dans le New York Times en ont fait les frais.

D’où ce constat improbable : la liberté d’expression met désormais en danger… la liberté d’expression.

Les caricaturistes ne peuvent pas dire tout ce qui leur passe par la tête, bien évidemment. La caricature de Donald Trump et Benyamin Nétanyahou, que plusieurs ont jugée antisémite, n’aurait peut-être pas dû être publiée. Mais entre refuser de diffuser une caricature parce qu’on la juge de mauvais goût, déplacée ou indécente (ce qui est légitime) et se départir de ses caricaturistes parce qu’on souhaite éviter d’effaroucher ses lecteurs, il y a une importante marge que le New York Times n’aurait jamais dû franchir.

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Ce n’est pas un hasard si les caricatures accompagnent si souvent les éditoriaux et les textes d’opinion des lecteurs. Elles font partie intégrante du contenu éditorial d’un journal et contribuent, elles aussi, à ouvrir des espaces de réflexion et à susciter des débats.

En mai, quelques semaines avant que le New York Times ne batte en retraite, un groupe de caricaturistes, coordonné par le dessinateur français Xavier Gorce, a d’ailleurs publié une déclaration dans le but de faire reconnaître le dessin de presse comme un droit fondamental.

« Le développement d’internet, qui a rendu la circulation du dessin de presse mondiale et instantanée » et qui le sort souvent de son contexte, « a alimenté les crispations et les ressentis autour de ce moyen d’expression », y lit-on.

> Découvrez la déclaration

Les signataires appellent les États et la communauté internationale à « ouvrir des processus de discussions et de réflexions sur "le droit à la satire et à l’irrévérence" ».

Lorsque l’initiative a été lancée, « ce n’était pas vraiment pour défendre le dessin de presse dans nos démocraties », nous a expliqué Xavier Gorce. Mais depuis qu’une ligne rouge vient d’être franchie aux États-Unis, on constate que baisser la garde serait une très mauvaise idée, car la liberté des caricaturistes peut aussi être brimée au sein des démocraties libérales. Il n’y a pas qu’en leur brisant les doigts qu’on peut les faire taire.

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