La démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, est-elle en train de devenir complètement gâteuse ? Bon nombre d’Américains se sont probablement posé la question au cours de la dernière semaine. Une vidéo où elle a la voix pâteuse et du mal à articuler a été vue des millions de fois.

Or, Nancy Pelosi, du haut de ses 79 ans, est en pleine forme. La vidéo en question a été trafiquée ; le débit et le son de la voix ont été modifiés. Divers médias l’ont rapidement souligné, mais l’objectif – désinformer – avait déjà été atteint. Apparue initialement sur Facebook, la vidéo a même été partagée sur Twitter par nul autre que Rudy Giuliani, avocat et précieux allié de Donald Trump.

L’affaire, aux États-Unis, a soulevé une vive controverse. C’est compréhensible. Cette imposture démontre une fois de plus à quel point nos démocraties sont de plus en plus menacées par la désinformation… et que ça ne va pas aller en s’améliorant.

Divers experts et commentateurs ont profité de l’occasion pour rappeler que l’ère des vidéos manipulées ne fait que commencer.

Que ce clip de Nancy Pelosi, en somme, n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend.

Ce qui est à la source de bien des angoisses, ce sont les vidéos dites deepfake, expression qui fait référence à l’apprentissage profond – un type d’intelligence artificielle. Des logiciels de plus en plus sophistiqués permettent essentiellement de faire dire ce qu’on souhaite à la personne de son choix en modifiant numériquement son visage. L’an dernier, le site BuzzFeed a créé un vrai buzz en diffusant une vidéo deepfake de Barack Obama, où l’ancien président démocrate met en garde contre ce phénomène et… insulte Donald Trump.

De toute évidence, plus cette technologie va se perfectionner, plus les fausses vidéos seront difficiles à détecter. Et plus il sera facile de désinformer et de manipuler l’opinion publique. On est déjà entré dans l’âge d’or des imposteurs et ça ne va pas s’arrêter de sitôt.

Les réseaux sociaux continuent d’ailleurs de faire le bonheur des manipulateurs.

On sait maintenant que les fausses nouvelles sont plus partagées que les vraies sur ces réseaux et que leur diffusion est nettement plus rapide. Et comme elles génèrent des clics, beaucoup de clics, en créer peut rapporter gros.

Quant à l’enthousiasme manifesté par les réseaux sociaux pour lutter contre la désinformation, il est inversement proportionnel à l’ampleur de la menace.

Comment penser qu’ils vont soudainement se fendre en quatre pour freiner l’essor des vidéos deepfake ?

La réaction de Facebook a la vidéo truquée de Nancy Pelosi, d’ailleurs, en dit long. Le réseau social a décidé de ne pas la retirer, car il la juge conforme aux « standards de la communauté ». Il a tenté de freiner sa diffusion, mais ça s’est fait tardivement (32 heures plus tard, a rapporté le réseau CNN) et visiblement, ça n’a pas été très efficace. On a par ailleurs inséré des avertissements, sur la même page, destinés aux utilisateurs qui la visionnent ou la partagent. En résumé : on tente de faire la guerre armé de tire-pois.

Bref, attachez vos tuques : séparer le vrai du faux et la réalité de la fiction risque fort de devenir encore plus difficile que ça l’est déjà.

L’objectif des prochaines années devra être de limiter les dégâts susceptibles d’être provoqués par les vidéos deepfake. Et ce sera forcément un travail d’équipe.

Des experts en intelligence artificielle devront se démener pour trouver des façons de vérifier si une vidéo est authentique et d’avoir toujours une longueur d’avance sur les faussaires. Les États devront trouver des moyens de mieux serrer la vis aux réseaux sociaux dans le but de les contraindre à lutter plus efficacement contre la désinformation. Le rôle des journalistes sera appelé à devenir encore plus crucial qu’il ne l’est déjà. Et tout un chacun devra se méfier encore un peu plus des informations qui circulent, y compris des vidéos qui ressembleront à s’y méprendre à des vraies.

L’âge d’or de l’imposture, forcément, se révélera aussi être l’ère du doute et du soupçon.

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