L’Alabama vient de voter une loi aberrante pour interdire l’avortement alors que Donald Trump occupe la Maison-Blanche. C’est tout sauf une coïncidence.

Le président américain a tenté, dimanche, de se distancier de la loi en question. Il s’est dit en faveur d’exceptions en cas de « viol, inceste et protection de la vie de la mère ». Il ne bernera personne. La guerre à l’avortement vient de passer à une vitesse supérieure sur le sol américain et il est l’un des principaux responsables de cet essor.

Les deux juges (très) conservateurs nommés à la Cour suprême des États-Unis nommés par Donald Trump depuis son arrivée au pouvoir, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, ont modifié l’équilibre de ce tribunal. Il penche encore plus vers la droite qu’auparavant.

Les farouches adversaires de l’avortement jubilent. Ils n’avaient pas, depuis très longtemps, senti qu’ils pouvaient peut-être enfin faire annuler Roe contre Wade, l’arrêt de la Cour suprême qui a légalisé la procédure pour l’ensemble du pays en 1973.

Cette fois sera la bonne, espèrent-ils. Ils souhaitent que la loi adoptée en Alabama soit contestée devant les tribunaux, que la Cour suprême accepte d’entendre la cause et qu’elle tranche en leur faveur.

Cette guerre contre l’avortement aux États-Unis est menée avec enthousiasme par les républicains depuis la présidence de Ronald Reagan. Et les tentatives pour restreindre le droit à l’avortement ont été nombreuses au cours des dernières décennies. 

L’accès a été réduit petit à petit, État par État, à l’aide de nombreuses lois restrictives adoptées à travers le pays.

Sans aller aussi loin que l’Alabama, d’autres États ont récemment voté des lois plus strictes que celles qui étaient mises de l’avant avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Plusieurs viennent ainsi d’interdire les avortements à partir du moment où l’on peut entendre les battements du cœur du fœtus. Là encore, l’idée est d’espérer que la Cour suprême morde à l’hameçon.

Les intégristes chrétiens sont enhardis par la nomination de nouveaux juges, mais aussi par l’attitude du président américain sur la question : Donald Trump est un chef de guerre redoutable, qui fouette le sang des intégristes tant par ses gestes que par ses discours.

Le New York Times rapportait récemment que le mois dernier, le président s’est vanté devant ses partisans d’avoir utilisé le mot « arracher » lors d’un débat en 2016 contre Hillary Clinton. « Vous pouvez arracher le bébé du ventre de la mère » avait-il déclaré, pour s’opposer aux avortements tardifs. Parallèlement, il avait aussi dit vouloir punir les femmes qui choisissent de subir un avortement, avant de se rétracter et d’affirmer que ce sont plutôt les médecins qui doivent être sanctionnés.

Donald Trump a le même effet sur le fanatisme de la droite américaine que de l’accélérant sur un feu. Dans le dossier de l’avortement, c’est flagrant.

Malgré tout, l’espoir subsiste. La Cour suprême ne validera pas nécessairement les lois les plus radicales qui viennent d’être adoptées. Certes, sa composition a changé, mais certaines des positions et des déclarations du juge en chef John Roberts semblent démontrer qu’il veut à tout prix éviter de donner l’impression que son tribunal est un instrument politique.

La situation pourrait devenir vraiment cauchemardesque… si Donald Trump est réélu. Il pourrait alors, potentiellement, être appelé à remplacer un ou deux des quatre juges démocrates qui siègent actuellement à ce tribunal. Les républicains s’acharnent actuellement sur les droits des femmes aux États-Unis. Accrochez-vous. Nous n’avons peut-être encore rien vu.

Accès à l’avortement: ça va mieux

Quand on se compare, on ne fait pas que se consoler. On peut aussi se réjouir. Au Québec, l’accès à l’avortement ne va pas seulement mieux qu’ailleurs. Il va bien.

On ne prétend pas que tout est parfait, ni que les militantes doivent baisser la garde. Si on l’écrit, c’est pour souligner ce qui a été gagné de dure lutte et qui doit continuer d’être défendu.

Depuis le jugement historique de la Cour suprême en 1988 dans l’affaire Morgentaler, l’accès s’améliore chez nous. Sur le plan juridique, cette décision a été suivie par au moins quatre autres qui ont consacré le droit à l’avortement.

Ce droit n’est pas que théorique, il existe en pratique.

Aujourd’hui, le Québec compte plus de cliniques que n’importe quelle autre province. Le coût n’est pas un obstacle non plus. Depuis 2008, Québec rembourse aussi les avortements en clinique privée — auparavant, ils n’étaient gratuits qu’à l’hôpital et en CLSC.

Deux autres gains ont été obtenus récemment.

En 2015, le ministre de la Santé Gaétan Barrette a interdit les manifestations des groupes pro-vie à moins de 50 m des cliniques, afin d’éviter des cirques comme aux États-Unis, où des militants pro-vie harcèlent et humilient des femmes qui passent une journée déjà pénible.

Puis l’année dernière, le Québec a imité entre autres l’Alberta et le Nouveau-Brunswick en remboursant aussi la pilule abortive (le Mifegymiso). Les femmes ont désormais le choix entre l’avortement par instrument ou par médicament.

Cela fait dire à Anne Marie Messier, directrice générale du Centre de santé des femmes de Montréal, que l’accès à l’avortement n’est pas menacé au Québec. Mariane Labrecque, co-coordonnatrice de la Fédération québécoise pour le planning des naissances, est d’accord. Mais des préoccupations demeurent, ajoute-t-elle.

Certaines sont administratives. Par exemple, en région, les cliniques sont plus rares et moins souvent ouvertes — la même chose est toutefois vraie pour les autres soins. Autres enjeux : la relève chez les omnipraticiens et gynécologues, et le débat sur la formation requise pour qu’un médecin puisse prescrire la pilule abortive.

D’autres menaces sont politiques. Il y a les centres d’aide prétendument neutres, derrière lesquels le lobby pro-vie se cache pour manipuler des femmes vulnérables en prétendant qu’un avortement les rendra infertiles (c’est faux) ou dépressives (la maternité pourrait faire la même chose).

Lisez le reportage de Marissa Groguhé

Il y a aussi la contestation devant le tribunal de la limite de 50 m imposée aux manifestants. Et enfin, il y a la minorité de députés fédéraux conservateurs qui n’en finissent plus de vouloir rouvrir le débat sur le corps des femmes — précisons toutefois que leur chef Andrew Scheer a répété à plusieurs occasions qu’il respecterait le droit actuel à l’avortement.

Si la liberté des femmes indiffère ces militants pro-vie, ils devraient à tout le moins s’intéresser aux chiffres. Contrairement aux campagnes de peur, l’accès à l’avortement n’en a pas fait exploser le nombre. Depuis l’an 2000, le taux d’avortement est à la baisse chez les 15-34 ans, et légèrement à la hausse chez les 35-44 ans.

Consultez les taux d’avortement par tranches d’âge

Ce qui a changé, c’est la méthode. Les femmes ne s’avortent plus elles-mêmes avec un cintre, un cocktail maison toxique ou en déboulant les marches sur le ventre. Quelqu’un peut-il vraiment le regretter ?

Celles qui se sont battues pour disposer librement de leur corps peuvent se féliciter : plus le temps passe au Québec, plus les acquis de leurs luttes se concrétisent.

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