En négligeant la perception des taxes sur les produits et services achetés en ligne à l’étranger, Ottawa perd plus de 169 millions de dollars par an et fait subir une concurrence déloyale aux entreprises locales, montre le rapport du vérificateur général du Canada publié la semaine dernière. Le gouvernement Trudeau devrait prendre exemple sur Québec et s’organiser pour ramener plus d’équité dans le système et plus d’argent dans les coffres de l’État.

Comme souvent au gouvernement, le diagnostic est connu depuis longtemps. C’est le traitement qui se fait attendre.

Le vérificateur général (VG) a d’ailleurs salué la rigueur des analyses de Finances Canada sur les problèmes de perception de la taxe de vente fédérale sur les produits et services (TPS). C’est plutôt sur le terrain, à l’Agence du revenu du Canada (ARC) et à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), que ça s’est enrayé.

Lorsque des articles d’une valeur de 20 $ à 2500 $ achetés à l’étranger sont livrés au Canada par messagerie, ce sont ces dernières qui doivent percevoir les taxes de vente auprès des consommateurs. Or, plus d’un envoi sur cinq (22 %) était inexact, a constaté l’Agence des services frontaliers en effectuant une vérification de conformité auprès de trois messageries à l’automne 2016. « Un tel taux de non-conformité aurait dû déclencher un examen complet du programme », souligne le vérificateur.

L’ASFC a effectivement jugé la situation préoccupante, mais n’a pris aucune mesure. Elle a bien commencé à développer une stratégie de modernisation, mais près de trois ans plus tard, à la fin de mars dernier, celle-ci n’avait toujours pas été approuvée…

Ce n’est pas plus glorieux du côté de Revenu Canada. L’agence, en effet, n’a pas le pouvoir d’obliger les fournisseurs de biens et services étrangers à percevoir la TPS auprès de leurs clients canadiens. Autrement dit, tant que le gouvernement ne forcera pas un Netflix à ajouter la TPS sur ses factures (comme les câblodistributeurs canadiens, eux, y sont obligés), Revenu Canada ne pourra rien faire. D’ailleurs, même dans des situations où l’ARC a l’autorité nécessaire pour intervenir, elle effectue très peu de vérifications de conformité, note le VG.

L’Agence des services frontaliers et celle du revenu ont accepté ses recommandations et exposé leurs démarches pour améliorer la situation, mais si Ottawa n’en fait pas une priorité, leurs pouvoirs et leurs ressources demeureront limités.

Malheureusement, le gouvernement Trudeau ne veut rien entendre. Interrogée à la publication du rapport, la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, nous a resservi la même absurdité que plusieurs de ses collègues : « On ne veut pas imposer de taxes supplémentaires aux Canadiens. » Euh… Et un entrepreneur au noir que le fisc oblige à émettre des factures infligera-t-il « des taxes supplémentaires » à ses clients ? Eh non, il s’agit des mêmes taxes de vente que les fournisseurs de produits et services établis ici doivent facturer et remettre aux gouvernements.

Pendant ce temps à Québec… Le projet lancé par le ministre des Finances du précédent gouvernement, Carlos Leitão, et poursuivi par la CAQ commence à porter ses fruits.

Depuis le 1er janvier, les entreprises de l’extérieur du pays qui vendent des services en format numérique (musique, émissions de télé, magazines, etc.) à des résidants du Québec doivent être inscrites au fichier de la taxe de vente de la province (TVQ) et la percevoir. En date de la semaine dernière, une centaine l’avaient déjà fait, dont Google, Facebook et, oui, Netflix.

Non seulement personne n’a accusé Québec d’avoir créé une taxe Netflix, mais encore l’application de la TVQ aux services numériques a permis de récolter deux fois plus d’argent que prévu pour les services publics, soit 15,5 millions de dollars pour les trois premiers mois de l’année.

Les taxes sur les biens matériels achetés à l’étranger sont beaucoup plus difficiles à percevoir puisqu’il faut repérer les colis pertinents dans le flot de courrier qui entre au pays. Mais au moins, Québec n’est pas resté les bras croisés. Quatre employés mènent un projet-pilote d’un an avec l’Agence des services frontaliers, nous dit-on chez Revenu Québec. Il faudra voir si les résultats, attendus pour la fin de l’automne, seront concluants, mais au moins, on aura appris quelque chose.

Ça ne sera certainement pas plus inefficace que l’autocotisation, sur laquelle Ottawa continue à miser à l’encontre du bon sens et des recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Vous avez commandé un produit ou service de l’étranger sur lequel vous auriez dû payer plus de 2 $ de TPS ? En principe, vous devriez remplir un formulaire et verser le montant dû à Revenu Canada. En pratique, vous seriez un cas rare. En un an, de juillet 2017 à juin 2018, seuls 524 Canadiens l’ont fait, signale le vérificateur général. Pas étonnant que le Canada soit l’un des seuls pays à croire encore à l’autocotisation ! Sur 60 pays ayant participé à une enquête de l’OCDE l’an dernier, le Mexique était le seul autre à miser là-dessus. Olé !

L’absence de taxe de vente n’est pas la seule raison d’acheter auprès d’un site étranger. Le choix de produits et la rapidité de livraison peuvent aussi jouer contre les détaillants locaux. À eux d’offrir un meilleur service — plusieurs le font déjà. Mais une facture artificiellement réduite parce que ni le vendeur ni le service de livraison ne prélèvent les taxes applicables, c’est de la concurrence déloyale. Et le gouvernement Trudeau ne devrait pas s’en faire le complice par son inertie.

D’autant que comme le révèle notre collègue Mélanie Marquis, un gouvernement du NPD, lui, s’inspirerait du gouvernement du Québec et obligerait les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), ainsi que Netlix, à percevoir la TPS. Comme quoi quand on veut...

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