La consultation sur le projet de loi 21 est loin d’être inutile.

En soi, les témoignages n’ont pas beaucoup fait avancer le débat jusqu’ici, avouons-le. Les arguments de part et d’autre étaient connus. Tout au plus, les présentations des intervenants auront confirmé que le débat s’étire.

Le débat sur les signes religieux est clairement polarisé, mais il est surtout figé. Et donc, le gouvernement a raison de dire qu’il est temps d’agir.

Mais le projet de loi 21 est-il la bonne façon d’y arriver ? Là est la question.

Les réponses varient, bien sûr, mais il suffit de lire les mémoires présentés ces derniers jours pour comprendre qu’au-delà des grands principes, au-delà même des positions des uns et des autres, le document contient des failles et des incohérences.

Des failles qui devraient inquiéter autant les pluralistes que les laïcistes.

En voici dix.

1

Un signe religieux, c’est un signe religieux

Qu’est-ce qui constitue un signe religieux ? Vaste question à laquelle le projet de loi 21 ne répond pas. Pour le ministre, « un signe religieux, c’est selon le sens commun d’un signe religieux ».

Hum. Comment tracer la ligne entre un signe religieux et un porte-bonheur ? Que faire d’une main de Fatima (Khamsa), comme l’a demandé cette semaine le Centre consultatif des relations juives et israéliennes ? D’une étoile de David ? Ou d’une enseignante qui porte un fichu ?

Va-t-on devoir demander à la personne visée si son signe a une connotation religieuse… quitte à violer non seulement sa liberté de conscience, mais aussi son droit à la vie privée ?

2

La loi, c’est la loi

Les signes religieux seront désormais interdits pour plusieurs agents de l’État, sous peine de… Pas clair. On ne sait qui veillera à l’application de la nouvelle loi ni ce qu’il adviendra des contrevenants.

La loi, c’est la loi, bref… mais on ne sait trop qui sera responsable de l’observance de cette même loi.

3

Un prosélytisme à prouver

Pour interdire les signes religieux aux enseignants, on soutient qu’il faut protéger les élèves de tout prosélytisme émanant du seul port d’un hidjab, d’une kippa ou autre. Passons sur l’absence de preuves derrière un tel argumentaire (oui, les enfants sont influençables, mais par la seule vue d’un vêtement religieux, vraiment ?), et concentrons-nous sur un autre problème : l’interdiction ne s’appliquera qu’aux écoles publiques.

Est-ce à dire que les élèves des écoles privées sont moins perméables à l’endoctrinement ?

4

Une ségrégation scolaire en douce

L’interdiction des signes religieux aux seules écoles publiques envoie par ailleurs un curieux message aux enseignants touchés : votre unique possibilité est désormais de travailler dans une école confessionnelle…

C’est ainsi qu’un projet de loi qui vise officiellement l’intégration et la laïcité scolaire favorise plutôt, selon les mots de la CSQ, « la ségrégation et la reconfessionnalistion de certaines écoles ».

5

Un État neutre… qui ne l’est pas

Le projet de loi 21 vise la neutralité de l’État par l’entremise, notamment, d’un traitement égal et impartial pour tous, sans égard à la foi des personnes. Or, il fait exactement l’inverse.

D’abord, il défavorise des groupes de personnes… en fonction de leur religion, justement. Et il stigmatise certains groupes religieux en particulier, ceux dont l’appartenance implique une visibilité vestimentaire.

Ce qui fait dire à la professeure de sociologie de l’UQAM Micheline Milot que « l’exigence de neutralité apparente n’est pas… neutre ».

6

Une dérogation bien inutile

Le ministre Jolin-Barrette a la « conviction » que son projet de loi respecte la Charte des droits et libertés, mais il aura néanmoins recours à la disposition de dérogation pour s’assurer de « régler la situation » une fois pour toutes et d’éviter des dépenses importantes.

Or, en ajoutant les enseignants aux fonctions visées par l’interdiction des signes religieux, Québec ouvre la porte à de multiples contestations, peut-être pas constitutionnelles, mais liées à son application.

Si la CAQ avait vraiment voulu éviter de perdre son temps en cour, elle aurait privilégié le compromis Bouchard-Taylor, qui aurait eu « des chances raisonnables » d’être jugé conforme aux chartes, selon le professeur Louis-Philippe Lampron de l’Université Laval.

7

Un droit acquis à géométrie variable

Le projet de loi 21 inclut une « clause grand-père » qui permet aux employés de l’État qui portent actuellement un signe religieux de le conserver. Mais c’est un cadeau empoisonné, avouons-le. Car ce n’est pas la personne qui profite du droit acquis, c’est le poste qu’elle occupe. Il suffit donc qu’elle soit mutée ou promue pour perdre ce privilège.

Une discrimination de plus, qui se traduira cette fois en une évidente perte de mobilité professionnelle.

8

On veut clarifier, mais on complique

S’il y a un mot qui revient souvent dans les mémoires déposés ces derniers jours, c’est celui-ci : arbitraire.

Il y a tellement de flou dans les articles de ce projet de loi écrit à la va-vite qu’il ouvre la porte à bien des interprétations et des mesures abusives.

Bonne chance aux institutions qui devront l’appliquer !

9

La laïcité des individus, pas de l’État

Le projet de loi 21 affirme le principe de la séparation institutionnelle… en interdisant les signes religieux chez les individus. Sans préciser clairement le lien entre les deux.

Or, comme l’a rappelé la Commission des droits de la personne, la laïcité de l’État s’incarne dans ses normes et pratiques, pas dans les vêtements de ses agents.

10

Une urgence sans urgence

Pour justifier la restriction de droits fondamentaux, le gouvernement Legault évoque l’urgence d’agir, au point de menacer de recourir au bâillon parlementaire pour mettre fin à l’examen du projet de loi.

Mais nulle trace d’un motif urgent dans le projet de loi.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion