Avec sa nouvelle offre, le ministre des Transports François Bonnardel trouve une façon raisonnable de mettre fin aux quotas. Mais il devra maintenant s’assurer que le nouveau système rétablira une concurrence profitant aux usagers, tout en permettant aux chauffeurs de vivre dignement.

Lundi, M. Bonnardel a fini par entendre la détresse des chauffeurs de taxi.

Il a bonifié l’indemnisation offerte aux propriétaires de permis. Aux 500 millions sur la table, il en ajoutera 270. Selon les calculs du Ministère, cela permettra de rembourser les propriétaires de permis à la hauteur du prix payé.

Malgré tout, des mécontents ont encore deux objections.

La première, c’est qu’ils auraient voulu le maintien des quotas. Or, cette gestion de l’offre rigide engendrait plusieurs méfaits. Elle nuisait aux usagers en plafonnant l’offre – par habitant, les taxis sont deux fois moins nombreux aujourd’hui qu’à la naissance de la gestion de l’offre en 1973. Et elle n’aide pas forcément les chauffeurs eux-mêmes. Au contraire, il s’agit d’une barrière au travail. Qu’il doive rembourser ou louer un permis, la conséquence pour le chauffeur était la même : chaque journée commençait dans le rouge, avec des frais fixes qui grugeaient une part importante de ses revenus. Selon nos informations, l’intérêt moyen des prêts se situait entre 8 et 10 % !

La seconde critique des propriétaires de permis, c’est qu’ils auraient voulu être remboursés non pas pour le prix payé pour leur permis, mais plutôt pour la valeur au marché juste avant l’arrivée d’Uber. Ils allèguent ainsi que le permis était un investissement béton plombé seulement par la multinationale de la Silicon Valley. Or, les permis fluctuaient bien avant Uber – l’arrivée de BIXI ou de la navette 747 les a entre autres fait baisser il y a quelques années. L’État devait indemniser les propriétaires pour l’achat, mais pas pour le profit maximal anticipé, basé sur leur spéculation.

Les chauffeurs qui ont récemment payé leur permis au fort prix sont les gagnants. Ceux qui les avaient achetés au creux du marché et qui misaient sur la hausse de la valeur pour financer leur retraite sont les perdants. On sympathise sincèrement avec eux, mais il était difficile de trouver une solution parfaite.

M. Bonnardel a trouvé un bon compromis. La nouvelle enveloppe sera financée à partir d’une redevance de 90 sous sur chaque course. Elle durera quelques années, jusqu’à ce que la cagnotte atteigne 270 millions et permette ainsi de finir d’indemniser les chauffeurs. Ajoutons que les chauffeurs de taxi traditionnel conserveront un avantage : ils seront les seuls à pouvoir prendre les clients qui les appellent, les hèlent ou les prennent à un poste d’attente.

Reste que les chauffeurs ont raison d’être inquiets pour la suite. Le ministre donne peu de détails.

On sait qu’il permettra la « tarification dynamique » pour les taxis commandés par une application. Le prix d’une course variera ainsi selon l’offre et la demande. Or, on ignore s’il mettra un plancher et un plafond aux prix. Ce serait pourtant la moindre des choses.

Il y a un certain avantage à laisser les prix fluctuer – cela incite les chauffeurs à augmenter l’offre en période de forte demande. Mais on sait qu’Uber fait parfois de l’abus. Fera-t-on payer les gens trois, quatre, cinq fois plus cher lors d’une tempête de neige ou d’une panne de métro ? Même lorsqu’ils veulent aller à l’hôpital ?

Le taxi traditionnel craint aussi qu’Uber étouffe la compétition en baissant les tarifs pour les rehausser par la suite. Cette crainte se comprend d’autant plus que la multinationale prépare son entrée en Bourse et veut maximiser sa valeur.

Dans d’autres villes, les chauffeurs d’Uber et de Lyft déchantent. Ils constatent le côté sombre de l’économie des petits boulots (gig economy) – le travail à temps partiel avec une précarité constante*. À Seattle, en 2015, la mairie a dû les aider à se syndiquer. En janvier dernier, New York leur a décrété un salaire minimum – un chauffeur sur cinq recourait aux banques alimentaires. À Los Angeles, les chauffeurs s’organisent aussi pour obtenir des conditions similaires.

M. Bonnardel pourrait rétorquer qu’en contexte de pénurie de main-d’œuvre, les entreprises auront intérêt à bien payer leurs chauffeurs. Il a raison, mais cela ne constitue pas une garantie suffisante.

Tant mieux si Montréal sort de la gestion de l’offre, un système qui désavantageait les usagers et exigeait des frais importants aux chauffeurs. Mais une certaine réglementation devrait demeurer. Le capitalisme débridé ou le travail à temps partiel mal rémunéré, ce n’est pas comme cela qu’on veut vivre au Québec.

* Aux États-Unis, le salaire horaire moyen des chauffeurs d’Uber est de 11,77 $ (après le paiement de la commission à Uber ainsi que des divers frais pour leur voiture). Cela correspond au 10e percentile des salaires – 90 % des Américains font plus d’argent qu’eux.

> Lisez une étude de l'Economic Policy Institute à ce sujet.

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