Cette semaine, le ministre du Travail Jean Boulet a l’occasion de dénouer un des pires culs-de-sac des relations de travail des dernières années, celui du lock-out de l’aluminerie ABI à Bécancour.

Depuis son entrée en fonction, le ministre fait tout son possible pour dénouer l’impasse. Selon nos informations, il devrait déposer cette semaine, possiblement mercredi, une hypothèse de règlement. S’il réussit à faire accepter son compromis par les parties, il n’aurait pas seulement mis fin à des drames humains qui frappent sa région. Il aura aussi fait oublier les malheureuses bourdes des derniers gouvernements, y compris le sien.

Le lock-out dure depuis 15 mois. Le syndicat a rejeté l’offre de l’employeur en janvier 2018, puis le mois dernier. L’employeur a ensuite rejeté la contre-proposition du syndicat il y a trois semaines.

Comme dans tout conflit de travail, chaque partie a ses torts. On ne s’attend pas à ce que le gouvernement favorise un camp. On espère plutôt qu’il facilite les négociations ou la médiation, tout en respectant l’équilibre des forces.

Or, Québec a favorisé l’employeur, à deux reprises.

En 2014, le contrat négocié par le gouvernement Couillard assimilait un lock-out à un cas de « force majeure », ou « act of God ». Cela signifie qu’un lock-out était considéré de la même façon qu’un ouragan : une catastrophe que l’entreprise subit malgré elle. Et ce, même si elle a choisi de le décréter ! En vertu de cette étrange clause, ABI a ainsi pu annuler son contrat d’électricité avec Hydro-Québec depuis le début du conflit de travail. Elle économise ainsi 158 millions de dollars par année. L’ensemble du Québec finance donc une multinationale pour avoir jeté ses travailleurs à la rue.

« C’est du stuff de junior », a dénoncé avec raison le premier ministre François Legault. On ne s’attend pas à ce qu’il rouvre le contrat. Mais à tout le moins, il ne devrait pas aggraver le déséquilibre des forces.

Or, le mois dernier, M. Legault a pris position en faveur d’ABI. « La partie qui doit faire le plus de compromis est le syndicat », a-t-il lancé. Selon lui, les travailleurs ne sont pas « raisonnables ».

Il est rarissime pour un premier ministre de prendre position dans un conflit de travail privé. Qui fut le dernier à le faire ? Maurice Duplessis, comme le rappelle Jean-Claude Bernatchez, professeur en relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Le rôle de M. Legault est pourtant de rapprocher les parties, pas de conforter l’employeur dans sa position. C’est d’autant plus dangereux que la stratégie d’ABI est claire : elle joue l’horloge.

Cette aluminerie est détenue par Alcoa (75 %) et Rio Tinto (25 %). Alcoa possède 22 usines. Elle peut très bien fonctionner avec l’une d’elles en quasi-fermeture. Surtout dans le contexte actuel où le prix de la ressource (alumine) est élevé, et le prix de vente du produit transformé (aluminium) est faible. À cela s’ajoute l’effet des tarifs douaniers imposés par le président Trump.

***

Les déclarations de M. Legault ne doivent pas faire oublier tout ce que fait son ministre du Travail, Jean Boulet. Avocat spécialisé en relations de travail, député de la région, il a rapidement fait du dossier une priorité. Il a créé un conseil de médiation. Il a prolongé son mandat, pour lui donner une dernière chance. Il a ensuite créé un groupe d’experts à son ministère. Malgré tout, peu importe ses efforts, l’impasse demeure.

Nous sommes maintenant rendus au bout de l’entonnoir. Près de 1000 travailleurs attendent de retourner au travail. Un tel conflit, c’est une série de drames humains. Dans la région, on parle de divorces, de faillites, de dépressions.

Le ministre Boulet s’apprête à présenter aux deux parties une hypothèse de règlement. Le syndicat et l’employeur devront ainsi voter sur ce qui constituerait, selon M. Boulet, un compromis raisonnable.

Croisons les doigts. En espérant que le parti pris de son premier ministre n’empêchera pas ce lock-out d’enfin finir.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion