Le portrait de l'affaire SNC-Lavalin n'est pas encore clair, mais les pièces du casse-tête commencent à s'assembler et elles y ajoutent des nuances de gris.

Hier, trois nouveaux témoignages ont aidé à comprendre l'attitude du gouvernement Trudeau face à la rigidité de sa procureure générale. Cela n'excuse pas les interventions « inappropriées » alléguées par Jody Wilson-Raybould. Mais cela permet à tout le moins de comprendre ce qui les motivait.

Le 4 septembre, la directrice des poursuites pénales (DPP) décide de ne pas conclure d'accord de réparation avec SNC-Lavalin. Mme Wilson-Raybould est alors aux îles Fidji. Dans un avis écrit, sa sous-ministre Nathalie Drouin lui précise les interventions possibles : demander à la DPP de revoir sa décision, solliciter un avis externe, conclure un accord de réparation ou encore prendre elle-même le contrôle de la poursuite.

Le 16 septembre, peu après son retour au pays, la ministre décide de maintenir la décision de la DPP.

Elle a tranché vite. Était-ce justifié ? Difficile à dire, car on n'a pas accès à la preuve. Par contre, on sait qu'elle naviguait en terrain méconnu. La toute nouvelle loi permettant de tels accords n'a jamais été utilisée et elle contient des notions complexes, comme l'évaluation de l'intérêt public. On aurait pu s'attendre à ce que Mme Wilson-Raybould consulte davantage. Il lui a suffi de quelques jours pour vider définitivement la question. Comme l'a poliment résumé sa sous-ministre : « Elle a une vision très ferme de son indépendance. »

À la fin octobre, la sous-ministre Drouin a produit un avis sur les implications juridiques d'une condamnation de SNC-Lavalin. Or, Mme Wilson-Raybould a refusé que l'information soit partagée avec le greffier du Conseil privé !

Tout cela, l'ex-procureure générale avait le droit de le faire. La décision de conclure ou non un accord de réparation revenait à elle seule. Elle relève du judiciaire et non de l'exécutif.

Par contre, le gouvernement pouvait lui faire valoir des arguments. C'était même son devoir, comme l'a soutenu hier l'ex-conseiller principal de M. Trudeau, Gerald Butts.

Pourquoi ont-ils continué après son refus ? Leur version : tant que SNC-Lavalin n'était pas condamnée, il était encore juridiquement possible de négocier avec elle un accord de réparation. Et les conséquences d'un refus semblaient s'aggraver pour SNC-Lavalin, dont la valeur en Bourse était en chute en octobre.

Reste que l'équipe de M. Trudeau a mis le pied sur une pente savonneuse. La procureure générale avait clairement affirmé qu'elle ne voulait pas conclure d'accord.

Or, elle dit avoir subi une campagne concertée durant plus de trois mois pour la faire changer d'idée. Et ce, même après avoir prévenu ses collègues que leurs pressions étaient « inacceptables ».

Hier, M. Butts a donné une autre interprétation. Oui, entre la mi-septembre et la mi-décembre, il y aurait eu au total 20 courriels, textos, appels et rencontres avec Mme Wilson-Raybould et son entourage. Mais cela donne une moyenne d'à peine deux échanges par semaine. Ce n'est pas beaucoup, dit M. Butts. Surtout pour un dossier si névralgique.

Par contre, deux inquiétantes allégations de Mme Raybould-Wilson n'ont pas encore été réfutées.

Elle rapporte avoir fait l'objet à trois reprises de « menaces voilées » de congédiement. Hier, le greffier l'a nié, sans pouvoir préciser la nature des conversations. Son excuse était bancale : « Je ne portais pas de micro caché... »

Mme Wilson-Raybould rapporte aussi qu'on aurait essayé de la convaincre avec des arguments de politique partisane, ce que la loi interdit. Le démenti du greffier était étrange. M. Wernick a expliqué qu'il ne voulait pas... que les mauvaises nouvelles de SNC interfèrent dans l'élection provinciale québécoise. On cherche encore sa logique. Et on attend encore que M. Trudeau explique pourquoi il aurait dit à l'ex-ministre : « Je suis le député de Papineau. » Liait-il la conclusion d'un accord avec la stratégie électorale libérale ? Ce serait tout à fait inapproprié.

Si cela se confirme, à cause de leur amateurisme, M. Trudeau et son entourage auront nui à SNC-Lavalin en voulant l'aider.

Par ailleurs, on peut se demander si le gouvernement Trudeau n'a pas exagéré la menace pour l'entreprise - en vertu d'une entente avec la Caisse de dépôt et placement, le siège social de SNC-Lavalin doit demeurer à Montréal au moins jusqu'en 2024*. Autre problème, l'apparente ingérence du chef de cabinet du ministre des Finances, qui aurait relayé la position de négociation de SNC à Mme Wilson-Raybould. Ce n'était pas à l'exécutif de négocier.

Il reste encore à entendre plusieurs témoignages et la déclaration publique de Justin Trudeau, prévue ce matin à 7h45. Mais déjà, le portrait d'ensemble se précise. C'est celui d'une ministre qui décide très vite de dossiers complexes, sans consulter. Et celui d'un gouvernement au mieux maladroit, et au pire incapable de comprendre quand « non » signifie « non ». Malheureusement pour ceux qui souhaitent un accord avec SNC, si Mme Wilson-Raybould avait tort, elle en avait le droit.

* Voir la page S-35 du prospectus de l'entente conclue en 2017.

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