Ça y est. Le Canada a réussi à boucler pour de bon la renégociation de l’ALENA. Maintenant que le lion américain semble repu et peu enclin à repartir à la chasse, le Canada va pouvoir enfin tourner son attention vers les 191 autres pays de la jungle. Une bien belle occasion à saisir pour le nouveau ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne.

Personne ne reprochera à sa prédécesseure, Chrystia Freeland, d’avoir consacré la plupart de ses énergies des quatre dernières années à sauver le traité de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique. La valeur des échanges entre le Canada et le pays de l’Oncle Sam a atteint plus de 900 milliards en 2018. Et nonobstant la présence d’un Donald Trump protectionniste à la Maison-Blanche, près de 75 % des exportations canadiennes continuent de trouver preneur de son côté de la frontière. Pour préserver son accès au marché américain, le Canada s’est habitué à marcher sur des œufs depuis la fin de 2016.

Même si on s’attend à ce qu’elle continue de fournir des services après-vente, tout indique que Mme Freeland pourra dorénavant se consacrer à gérer la colère de l’Ouest canadien, laissant ainsi la place sur la scène internationale à son successeur.

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M. Champagne n’a pas perdu une seconde depuis sa nomination pour montrer que le gouvernement Trudeau compte être moins monomaniaque que lors de son premier mandat. L’encre séchait encore sur sa prestation de serment quand le nouveau ministre a mis le cap sur le Japon. Il rentre tout juste d’un voyage en Afrique, continent sur lequel Mme Freeland n’a pas mis les pieds pendant son mandat aux Affaires étrangères.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne

Il était temps. Si le gouvernement Trudeau veut remporter en juin un siège temporaire au Conseil de sécurité des Nations unies, en récoltant plus de voix que la Norvège ou l’Irlande, il ne lui reste plus que six mois pour convaincre une majorité de pays africains – qui détiennent à eux seul le quart des votes – qu’il est un interlocuteur sérieux. Idem pour le grand monde musulman et l’Asie.

Le vote au début de l’été prochain sera lourd de sens pour le Canada.

S’il récupère le siège temporaire que le gouvernement Harper a perdu en 2010, Justin Trudeau sera plus à l’aise d’affirmer que « le Canada est de retour » sur la scène internationale.

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Le nouveau ministre ne devrait pas mettre tous ses œufs dans un seul panier. Le Conseil de sécurité serait une belle prise symbolique, mais le pays a du pain sur la planche pour redéfinir sa place dans un monde beaucoup plus imprévisible et intransigeant qu’à l’arrivée des libéraux au pouvoir en 2015.

Malgré des projets de Justin Trudeau à cet effet, le pays n’a toujours pas rétabli sa relation diplomatique avec l’Iran et est donc privé de ses yeux et de ses oreilles sur le terrain alors que le pays se soulève. Les relations avec la Russie – qui en mène de plus en plus large sur la scène internationale – sont pour leur part dans un état pitoyable depuis le passage de Stephen Harper à Ottawa. Vladimir Poutine n’est pas le plus avenant des dirigeants du monde, mais c’est un incontournable dans le dossier de l’Arctique et de la paix mondiale.

Et que dire des relations avec la Chine et l’Arabie saoudite, deux mauvais garçons de la répression politique qui ont pris presque simultanément le Canada en grippe ? Et c’est sans parler de l’Inde nationaliste hindoue de Narendra Modi, qui reste froide devant les charmes d’Ottawa.

Pour naviguer dans ces eaux intempestives, il est grand temps que le Canada se munisse d’une véritable boussole.

Le dernier grand énoncé de politique étrangère du pays remonte à 2005.

Maintenant que le tsunami américain semble vouloir laisser aux diplomates un peu de répit, le nouveau ministre devrait songer à entreprendre une grande séance de remue-méninges en mettant à profit les meilleurs experts du pays, comme l’a fait la Défense lors du dernier mandat. Ce ne serait pas un luxe.

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