Il n’en faudrait pas beaucoup pour calmer la grogne des parents adoptifs. Le ministre du Travail, Jean Boulet, aurait seulement besoin de s’attaquer à l’écart entre leurs congés et ceux accordés aux parents biologiques. Il serait alors applaudi.

En attendant, c’est le contraire. L’iniquité retient toute l’attention. Dommage, car pour le reste, son projet de loi sur le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) est très bon.

On comprend les parents adoptifs de ne retenir que le négatif. Ils se sentent trahis.

En campagne électorale, les caquistes avaient promis de mettre fin à l’inégalité entre les congés accordés aux parents biologiques et aux parents adoptifs. Jeudi dernier, M. Boulet a déposé sa réforme.

De façon objective, le sort de tout le monde s’améliore. Et de façon relative, l’écart entre parents biologiques et adoptifs est réduit. Reste que contrairement à la promesse caquiste, cet écart demeure. Et une nouvelle inégalité naît entre les parents adoptifs : ceux qui passent par la Direction de la protection de la jeunesse du Québec (DPJQ) au lieu d’adopter à l’international sont les nouveaux perdants.

Nombre maximal de semaines de congé (avant / après la réforme Boulet) *

• Parents biologiques : 55 / 59 semaines
• Parents qui adoptent à l’international : 37 / 52 semaines
• Parents qui adoptent au Québec : 37 / 42 semaines

Mettre fin à ces inégalités coûterait environ 5 millions par année. Ce n’est pas immense. Rappelons que le RQAP est financé par les cotisations des employeurs et des employés, qu’on y cotise à hauteur d’environ 2 milliards et que l’année dernière, il affichait un surplus de 281 millions.

Autre chiffre pour relativiser l’ampleur du défi : en 2017, il y a eu environ 400 adoptions pour plus de 83 000 naissances.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet

M. Boulet soutient que ce n’est pas un problème d’argent. Ce serait plutôt une question de droit. Il y a plus de 10 ans, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était légitime d’accorder un traitement préférentiel aux parents biologiques. Mais cela ne signifie pas forcément l’inverse. Cela ne veut pas dire qu’il serait injustifié d’accorder le même traitement à tous !

Ce n’est pas parce que l’inégalité peut se justifier que l’égalité devient interdite !

C’est plutôt le contraire qui pourrait être plaidé. En effet, le jugement invoqué par Québec portait sur le régime fédéral, qui a été remplacé chez nous par le RQAP en 2006. Or, le modèle québécois vise d’autres objectifs. Et l’égalité de traitement devrait en découler, a soutenu un groupe d’avocats dans un mémoire produit en 2017 pour le groupe Familles en mouvance.

M. Boulet insiste que les mères qui accouchent ont des besoins physiologiques particuliers, tout comme les parents qui doivent se rendre à l’étranger pour leur procédure d’adoption.

Reste que le ministre sous-estime l’aspect symbolique de sa réforme. Pour les parents adoptifs, c’est une question de respect de la parole donnée. Et aussi de respect tout court, particulièrement pour les parents qui adoptent au Québec. Ils ont l’impression qu’on banalise leurs défis particuliers, comme celui de créer un lien d’attachement et de confiance avec un enfant qui vient d’un milieu difficile.

Insistons : dans l’ensemble, la réforme Boulet améliore la conciliation travail-famille.

Le ministre permet aux parents d’étaler leur congé. Et il augmente aussi le revenu pouvant être gagné sans que les prestations soient coupées. Cela aidera au retour progressif au travail. Même les employeurs s’en réjouissent, car cela favorisera la rétention de la main-d’œuvre. Autre mesure bienveillante : les parents de jumeaux ou de triplés recevront un congé supplémentaire, tout comme ceux dont le poupon meurt.

Mais pourquoi briser la parole du parti pour maintenir une discrimination que le RQAP a les moyens d’éliminer ? Pense-t-on vraiment qu’un parent biologique intentera une poursuite contre l’État sous prétexte qu’un parent adoptif a reçu autant que lui ? Qu’il recourra aux tribunaux pour le simple plaisir de continuer à avoir plus de congés que son voisin ?

Depuis son élection, M. Boulet a montré sa capacité d’écoute. Il aura l’occasion de le faire une fois de plus en amendant son projet de loi. Cela ramènera l’attention sur les autres mesures de sa généreuse réforme.

* Calculs de La Presse. Le régime pour les parents biologiques se divise en trois sous-catégories : maternel, paternel et parental à partager. Celui pour l’adoption ne comprend que la catégorie « parental ». Les chiffres s’appliquent aux scénarios où les deux parents profitent au maximum de chaque catégorie de congé disponible.

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