Ça aurait tellement pu être plus simple…

Si le gouvernement Legault avait vraiment voulu régler le débat sur la laïcité plutôt que de le prolonger, s’il avait voulu éviter des réactions comme celle du Manitoba et des autres provinces, s’il avait voulu empêcher des contestations juridiques comme celle qui va bientôt le conduire en Cour d’appel, où il pourrait perdre… ça aurait tellement pu être simple.

Il suffisait de tenir les enseignants à l’écart de la loi sur la laïcité. C’est tout.

Et ainsi, pour reprendre l’expression de son mentor Lucien Bouchard, François Legault aurait bien pu frapper « un coup de circuit ».

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Le premier ministre prétend depuis son élection que sa volonté d’agir sur cette question a une seule finalité : mettre derrière nous les interminables débats sur la laïcité de l’État qui secouent le Québec depuis plus de 15 ans.

Et pourtant…

Et pourtant, il savait fort bien qu’en interdisant les signes religieux chez les enseignants, il ouvrait une boîte de Pandore qu’il serait incapable de refermer pour des années à venir. Il savait, en élargissant la portée de sa loi au-delà des agents de l’État en véritable position d’autorité, qu’il s’assurait de faire traîner ce dossier encore et encore…

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

« Pour reprendre l’expression de son mentor Lucien Bouchard, François Legault aurait bien pu frapper “un coup de circuit” », juge François Cardinal. 

Mais peut-être était-ce cela son objectif, finalement.

Peut-être voulait-il forcer les enseignants dans une loi sur la laïcité pour se distinguer des autres partis et en faire une wedge politic : une mesure de clivage qui force les opposants à réagir… et ses partisans à se porter constamment à sa défense.

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C’est ce qu’on a vu avec les motions condamnant la loi adoptées par la Ville de Toronto puis par le Parlement de l’Ontario.

Et c’est ce qu’on a aussi vu avec la publicité pleine page du gouvernement de Brian Pallister qui invitait les Québécois à s’installer dans sa province en énumérant « 21 raisons de se sentir chez soi au Manitoba »… dont le respect et la valorisation de la diversité.

Il n’en fallait pas plus pour que le Québec se range quasiment d’un bloc derrière François Legault et l’encourage même à répondre à son homologue de manière musclée, comme il l’a fait en lui donnant une leçon sur le traitement de sa propre minorité francophone.

Et il y a tout lieu de croire que c’est ce qui se passera à nouveau dans quelques jours si la Cour d’appel suspend la loi, une décision qui serait applaudie au Canada anglais. Et qui nourrirait encore un peu plus la ferveur nationaliste à laquelle carbure la CAQ.

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Et pourtant…

Et pourtant, il aurait été si simple de s’en tenir au compromis Bouchard-Taylor. D’interdire les signes religieux aux seuls agents de l’État dotés d’un pouvoir de coercition : policiers, juges, procureurs, agents correctionnels.

Non seulement une telle mesure aurait pu élargir l’appui politique recueilli par le gouvernement Legault, mais en plus, cela aurait grandement facilité la vie des avocats qui représentent le Québec en cour.

Il aurait été en effet beaucoup plus aisé de défendre l’interdiction des signes religieux aux seuls agents autorisés à utiliser une force légitime contre les citoyens.

Des agents qui doivent absolument donner une apparence d’impartialité lorsqu’ils appliquent la loi. Voilà une limite aux droits et libertés qui aurait eu bien des chances d’être jugée raisonnable.

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Il faut d’ailleurs se rappeler que dans un geste de bonne volonté, François Legault lui-même était prêt à se rallier au compromis Bouchard-Taylor en 2017. Un compromis qu’a malheureusement refusé Philippe Couillard, mais qui aurait permis d’atteindre l’objectif recherché (la laïcité de l’État), tout en réduisant l’impact de la loi (en la limitant aux agents qui représentent l’État au plus haut point).

Cela aurait évité d’utiliser la clause dérogatoire de manière préventive, selon plusieurs juristes.

Cela aurait évité des motions et des publicités pour attirer nos enseignants dans d’autres provinces.

Et cela aurait évité des témoignages déchirants comme ceux qu’on a entendus ces derniers jours de la part de femmes à qui on a fermé les portes de l’enseignement simplement parce qu’elles portent un voile.

Oui, assurément, ça aurait pu être si simple…

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