Pourquoi Simon Jolin-Barrette fait-il de la politique s’il ne s’intéresse pas aux gens ? Il y a lieu de se poser la question après la réforme de l’immigration qu’il a voulu imposer dans les derniers jours et qui lui est revenue au visage comme un boomerang.

Mercredi matin à la radio, en disant avoir « écouté les gens », le ministre de l’Immigration a décidé d’offrir une clause de droits acquis aux étudiants étrangers et aux travailleurs temporaires qui sont déjà au Québec et qui veulent se prévaloir du Programme de l’expérience québécoise (PEQ)*. Si l’on se réjouit de la décision qui permettra à des milliers de personnes de souffler un peu, on a de gros doutes sur l’approche du ministre.

Un groupe d’étudiants et de travailleurs temporaires se sont présentés à l’Assemblée nationale lundi pour écouter les débats en Chambre et pour rencontrer le responsable de leur malheur personnel. Ils étaient émotifs, certains étaient même en pleurs, mais ils n’étaient pas menaçants pour deux sous. Ils voulaient que Simon Jolin-Barrette leur accorde cinq minutes de son temps pour comprendre l’impact sur de vraies personnes de ses décisions.

Le ministre n’a pas voulu les rencontrer. Même s’il était dans la bâtisse. Il s’est plutôt retiré dans ses appartements et est réapparu 12 heures plus tard au micro de Paul Arcand pour annoncer les modifications à son projet initial qui était de limiter l’accès au PEQ à un nombre restreint de domaines d’études et d’emploi.

C’est ça, « écouter les gens » ? Ne pas être capable de leur faire face après leur avoir annoncé ce qui est, à leurs yeux, la fin du monde ?

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette

Et ce manque d’écoute ne se limite pas aux derniers jours. S’il avait « écouté les gens » plutôt que de travailler en vase clos, Simon Jolin-Barrette ne se serait jamais retrouvé dans ce pétrin.

Les « gens », ce sont aussi les doyens d’université, les spécialistes en immigration, les hommes et les femmes d’affaires qui avaient déjà fait entendre leurs craintes l’été dernier, lorsque le même ministre avait mis sur la glace le volet étudiant du PEQ. Ils ont été nombreux à lui dire en chœur : de tous les pans des politiques d’immigration au Québec, c’est celui qui fonctionne le mieux. Et pas seulement pour les immigrants eux-mêmes, pour la société d’accueil aussi.

Ce n’est pas tout le monde qui vit au Québec qui a accès au PEQ, mais seulement les travailleurs et les nouveaux diplômés francisés. Ce sont des employés clés en main pour des entreprises qui, en pleine pénurie de main-d’œuvre, sont désespérément à la recherche de travailleurs qualifiés. À Montréal et à Québec, mais aussi en région.

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Maintenant que l’épée de Damoclès s’éloigne du cou des aspirants au PEQ qui sont au Québec, il est temps pour le ministre de retourner à la table à dessin.

Car la réforme qu’il continue de vouloir imposer pour l’avenir causera des torts à beaucoup de citoyens du Québec.

D’abord, aux entrepreneurs. On en a moins parlé, mais la modification du volet travailleurs qualifiés du PEQ plongera dans un cauchemar administratif les employeurs québécois qui voudront renouveler le permis de travail d’un employé temporaire qui ne sera plus admissible au PEQ selon les nouveaux critères déterminés par le ministre. Les employeurs devront afficher l’emploi à nouveau, prouver au gouvernement qu’ils sont incapables de trouver un candidat localement avant de pouvoir renouveler ledit permis du travailleur qui est déjà chez eux. Une procédure coûteuse et compliquée qui n’a pas lieu d’être. Une perte de temps.

Les établissements d’enseignement de la province et ceux qui y enseignent pâtiront aussi si le bassin d’étudiants étrangers qui est estimé à 48 000 en ce moment rétrécit. Le PEQ est un aimant pour ceux qui sont prêts à débourser des sommes importantes pour étudier au Québec dans l’espoir de s’y installer ensuite. Si le domaine d’études qui les intéressent est exclu du PEQ, comme le prévoient les nouvelles règles annoncées le 1er novembre, des étudiants potentiels se tourneront vers des écoles et des universités ailleurs au Canada et dans le monde qui leur offrent de meilleures perspectives d’avenir. Moins d’étudiants équivaut à moins d’emplois pour des titulaires de doctorat et de maîtrise d’ici.

Si, malgré tout, le ministre veut réformer ce programme, il peut le faire sans casser la baraque. S’il craint que des diplômés étrangers n’utilisent le PEQ pour entreprendre d’autres études sans payer les droits qui leur incombent, il pourrait modifier l’accès au PEQ en demandant à la fois la connaissance du français, le diplôme et une offre d’emploi. S’il craint que seul Montréal ne bénéficie du programme au détriment des régions, il pourrait traiter les demandes de ceux qui s’installent et trouvent un emploi en région de manière prioritaire.

Des idées, il y en a tout plein. Et beaucoup de gens concernés qui veulent en exprimer. S’il ne veut pas à nouveau se retrouver en eaux troubles, Simon Jolin-Barrette devra sortir de son île pour non seulement les écouter, mais les entendre.

* Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) est une voie rapide vers le Certificat de sélection du Québec (CSQ) et, du coup, vers la résidence canadienne. Il a été mis sur pied pour faciliter l’établissement permanent des travailleurs temporaires qui occupent un emploi au Québec depuis plus d’un an et les étudiants étrangers ayant décroché un diplôme québécois. Il faut avoir une connaissance élevée du français pour se qualifier. L’an dernier, 10 711 personnes ont reçu un CSQ grâce au PEQ. De ce nombre, 5146 étaient des étudiants.

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