Avez-vous déjà été interpellé par la police ? Par exemple, lorsque vous marchiez tard le soir ou que vous flâniez au parc ?

La réponse variera selon la couleur de votre peau. C’est ce que démontre un rapport peu surprenant, mais néanmoins troublant dévoilé lundi. La bonne nouvelle, c’est que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) reconnaît maintenant le problème et accepte qu’on le surveille pour la suite. Reste à savoir si cela changera les choses sur le terrain…

Revenons sur les chiffres.

En 2017, un Noir avait quatre fois plus de risques qu’un Blanc d’être interpellé. Les Noirs sont aussi plus représentés parmi les gens interpellés que parmi les gens ayant commis un crime ou contrevenu à un règlement municipal (l’écart est respectivement de 66 % et 137 %). En d’autres mots, il est faux de prétendre que s’ils sont plus souvent interpellés, c’est parce qu’ils sont plus délinquants. Les autochtones et les Arabes sont aussi plus souvent interpellés que ne le justifie leur poids démographique ou leur taux de criminalité.

Si on le sait, c’est grâce à Montréal et au SPVM. La Ville a commandé cette recherche à trois universitaires et le SPVM a accepté de leur fournir ses fiches d’interpellation.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Un rapport démontre qu’il y a un biais systémique contre les Noirs, les Arabes et les autochtones au Service de police de la Ville de Montréal.

Il n’y a pas si longtemps, en 2010, le SPVM attaquait le rapport d’un criminologue sur le profilage racial à Montréal-Nord et à Saint-Michel. Et à la même époque, l’administration Tremblay usait de mesures dilatoires pour reporter des plaintes devant le Tribunal des droits de la personne.

On n’est plus là. Le nouveau chef du SPVM, Sylvain Caron, n’a pas contesté le cœur des conclusions du rapport. Il se dit « très préoccupé » et reconnaît qu’il y a « du travail à faire ».

En effet, le défi reste énorme. Car malgré les bonnes intentions, sur le terrain, les choses ne semblent pas avoir changé.

À la réception du rapport, on a conclu un peu vite que les chercheurs refusaient de parler de « profilage racial ». En fait, ils ne prétendent pas que ce profilage n’existe pas. Ils disent seulement ne pas avoir assez d’informations pour le prouver. Pour cela, il leur faudrait étudier les motifs derrière les interpellations. Les chercheurs en savaient tout de même assez pour conclure au « biais systémique » à Montréal – c’est aussi le cas dans de nombreuses villes canadiennes.

Bien sûr, il est facile derrière notre clavier de juger le travail difficile des patrouilleurs. Les statistiques doivent être mises en contexte. Une nuance parmi d’autres : les interpellations sont parfois faites à la suite de l’appel d’un citoyen et non de l’initiative d’un policier.

Reste que peu importe les intentions, peu importe le contexte, peu importe qu’il s’agisse de profilage ou d’un biais systémique, le résultat demeure le même pour les minorités visibles interceptées sans raison.

Elles sont irritées quand un policier leur pose des questions sans raison apparente. Elles sont vexées d’être traitées comme des suspects. Cette insulte, elles la vivent dans leur chair. Le ton montera vite avec les policiers. Certaines refuseront par principe de s’identifier. C’est ainsi que les tensions augmentent, parfois jusqu’à devenir inflammables.

D’ailleurs, il y a tellement de personnes se sentant lésées que la Cour supérieure a accepté en août dernier d’entendre une action collective sur le profilage racial.

Certains lecteurs hausseront les épaules. Rien de grave à répondre aux questions de la police, diront-ils. Ils devraient se mettre dans la peau d’une personne de couleur. Il est aliénant d’être jugé suspect sans même savoir ce qui peut nous être reproché.

Le chef du SPVM assure que ses policiers ne sont « pas racistes ». Mais il suffit d’une infime minorité de policiers zélés pour nuire à l’ensemble de la famille. La confiance est lente à gagner, mais facile à perdre. De toute façon, ce qui intéresse ici, c’est le caractère systémique du biais.

Cela fait longtemps que le SPVM promet de s’y attaquer. Un plan d’action avait été déposé en 2012. Puis un autre en 2018… Mais cette fois, il y a de petits signaux encourageants.

Les chercheurs ont développé des indicateurs pour mesurer les écarts dans les interpellations. Il sera donc désormais plus facile de vérifier si la police s’améliore. En collaborant de façon transparente avec ces chercheurs, le SPVM s’est ainsi imposé un devoir de résultat. Ce faisant, il démontre sa bonne foi.

Reste que de vieux réflexes demeurent. Par exemple, Québec a mis sur pied il y a quelques années un comité sur le profilage racial… où les policiers réfléchissaient entre eux.

Il a fallu que la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, leur suggère de rencontrer des représentants de la société civile.

La mairesse Valérie Plante a aussi aidé le SPVM à se rapprocher des gens. Grâce à elle, les citoyens peuvent désormais poser des questions directement au chef de police lors de sa comparution annuelle devant le comité d’élus.

Le chef Caron promet de revoir les pratiques d’interpellation. Il n’a pas tort de rappeler que la solution est complexe – il évoque notamment le risque que des policiers n’interviennent plus dans certains quartiers pour éviter les accusations de profilage.   

Et ce qui est encore plus important, M. Caron veut laisser les universitaires poursuivre leurs recherches. Tant mieux. Car pour améliorer ses pratiques, le SPVM devra permettre qu’on le suive à la trace.

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