Amputer le budget de l’aide internationale de 25 % ? Se ficher du Conseil de sécurité des Nations unies ? Ces positions dévoilées par Andrew Scheer cette semaine laissent perplexe. Est-il au courant que c’est le Canada, et non une province parmi d’autres, qu’il aspire à diriger ?

« Nous utiliserons ces économies pour payer des mesures qui aident les Canadiens à améliorer leur quotidien », a annoncé le chef du Parti conservateur mardi.

Le fédéral a consacré un peu plus de 5 milliards de dollars à l’aide internationale en 2017-18. Un gouvernement conservateur retrancherait 1,5 milliard par an.

Cette somme contribuerait à financer ses nombreuses promesses aux contribuables, dont le retour des crédits d’impôt sur le transport en commun et sur les activités sportives et artistiques des enfants, l’élimination de la TPS sur le chauffage résidentiel, la bonification du crédit en raison de l’âge et l’augmentation de la contribution gouvernementale au Régime enregistré d’épargne-études (REEE).

Déshabiller l’international pour payer le chauffage, et d’autres dépenses courantes des ménages ? Voilà une vision bien étroite des responsabilités d’Ottawa.

Si l’on additionne les électeurs désireux de bénéficier de ces mesures et ceux qui, sans y avoir droit, considèrent l’aide internationale comme du gaspillage, ça fait beaucoup de voix susceptibles d’approuver cette coupe de 25 %. Pas mal plus, sans doute, que de citoyens indignés par la mesure.

Mais c’est précisément à cela que sert un gouvernement fédéral ! Moins présent dans les services directs à la population, mais appelé à l’être sur la scène internationale, il doit se soucier d’enjeux auxquels le consommateur moyen n’est pas toujours sensible.

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Une telle saignée dans le budget de l’aide étrangère serait d’autant plus malvenue que les libéraux n’ont pas exagéré dans ce domaine, au contraire : de l’avis de plusieurs, Ottawa devrait en faire plus.

Le Canada a consacré 0,28 % de son revenu national brut à l’aide au développement en 2018. C’est bien en deçà de l’objectif de 0,7 % établi par les Nations unies, qu’un pays comme le Royaume-Uni a atteint à s’en donnant l’obligation légale. C’est même inférieur à la moyenne des 30 pays membres du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui était de 0,31 l’an dernier. Mais au moins, le ratio canadien a légèrement augmenté (il était de 0,26 en 2016 et 2017), tout comme le montant de l’aide.

Bref, on se rapproche du peloton. On ne gagnera rien à s’en éloigner.

Le Canada, on le sait, tente d’obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité, le plus puissant organe de l’ONU. Et ce n’est pas gagné d’avance, car les deux autres pays dans la course, l’Irlande et la Norvège, sont fort appréciés.

Andrew Scheer ne craint-il pas de perdre des votes en sabrant dans l’aide internationale ? À cette question, il a répondu faire confiance aux alliés du Canada pour tenir compte de ses efforts des 150 dernières années, et être plus intéressé à soutenir les Canadiens qu’à bien se faire voir aux Nations unies.

Tout conservateur qu’il soit, le chef de l’opposition officielle n’est pas sans l’avoir remarqué : le monde change. Ce qui intéresse les chefs d’État en ce moment, ce n’est pas le bon vieux temps, mais les défis des prochaines décennies.

Que viennent faire ce recul de l’aide internationale, et ce nez levé sur le Conseil de sécurité, dans une politique étrangère qui prétend « rétablir le leadership du Canada sur la scène mondiale » ?

M. Scheer se défend d’être un partisan du retrait, disant vouloir au contraire renouveler les liens avec des alliés qui partagent les mêmes valeurs, comme le Japon et l’Inde.

L’Inde ? Elle est justement assurée d’un siège au Conseil de sécurité durant le mandat convoité par le Canada (2021-2022).* Et Andrew Scheer ne voit aucun intérêt à ce que le Canada l’y côtoie durant deux ans – et 13 autres pays en même temps, dont les cinq puissances qui détiennent un siège permanent** ?

Le Canada est naturellement tourné vers l’international, puisque son économie dépend de ses exportations, mais ce n’est pas une grande puissance. S’il ne veut pas que ses valeurs deviennent confinées à un nombre restreint d’alliés historiques, il doit saisir les occasions d’exercer son influence.

Le gouvernement Harper, on s’en souvient, avait lamentablement échoué à remporter un siège au conseil de sécurité. Andrew Scheer, qui tente de se dissocier de Stephen Harper dans l’esprit des Canadiens, devrait faire preuve de plus d’envergure.

*La candidature de l’Inde a reçu l’appui unanime de son groupe régional, le groupe Asie-Pacifique.

**Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie.

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