Comment régler un problème… si on ne le connaît même pas ?

La pénurie d’enseignants qui frappe actuellement le Québec – et tout particulièrement la grande région montréalaise – fait la manchette. Le ministère de l’Éducation tente de la régler. Pourtant, il manque de données pour être en mesure de bien évaluer l’ampleur et la portée de ce problème criant.

Remercions les auteurs d’un récent rapport de l’Institut du Québec, qui viennent de faire état publiquement de cette situation embarrassante. Car là où leur étude fait incontestablement œuvre utile, c’est en démontrant qu’il est impossible de connaître les besoins détaillés au Québec quant au nombre d’enseignants supplémentaires nécessaires au cours des prochaines années.

Les auteurs le savent, parce qu’ils ont tenté d’y parvenir. En vain !

Leur démarche nous rappelle celles des personnages de Kafka. Ils ont d’abord communiqué avec le ministère de l’Éducation… qui leur a dit d’aller voir ailleurs. Car selon Québec, ce sont les commissions scolaires qui doivent déterminer les besoins en personnel et, donc, fournir ces chiffres.

Ils ont ensuite expédié des demandes par courriel aux 72 commissions scolaires de la province. Seulement 17 ont répondu, dont 8… qui n’ont pas voulu transmettre de données.

En somme, les auteurs ont fait face à une pénurie de réponses !

Finalement, ils ont obtenu des données « généralement parcellaires » de la part de neuf commissions scolaires. D’où l’impossibilité, pour eux ou pour quiconque, de dresser un portrait fiable de la situation.

C’est hallucinant !

Comment un médecin pourrait-il traiter efficacement un patient si personne n’a été en mesure d’identifier la maladie dont il souffre ?

Comment le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge peut-il prendre des décisions éclairées si personne ne peut lui fournir de diagnostics ?

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Au bureau du ministre, on nous explique qu’on a récemment réussi à savoir combien il y avait de postes vacants dans l’ensemble du Québec. Tant mieux ! La réponse en date du 1er septembre : 360. On n’a hélas pas pu nous dire quelle est la répartition entre le primaire et le secondaire ou entre les diverses spécialisations des enseignants.

Il faudrait pourtant savoir où se trouvent les besoins actuels et à venir pour enfin cesser d’improviser !

Si on était en mesure de prédire, par exemple, qu’il va manquer plus de professeurs de mathématiques au secondaire au cours des prochaines années… Ou plus d’enseignants en adaptation scolaire au primaire…

On pourrait alors évaluer avec plus de justesse s’il faut offrir une voie d’accès plus rapide aux jeunes qui veulent devenir enseignants – une idée qui est loin de faire l’unanimité – ou mettre encore davantage l’accent sur le soutien et la formation continue de ceux qui sont déjà en poste, des pistes évoquées dans le rapport de l’Institut du Québec.

En fait, si les données avaient été compilées et diffusées au cours des dernières années, on aurait carrément pu voir venir la pénurie qui frappe actuellement de plein fouet nos établissements scolaires. Et peut-être eu le temps d’agir et de désamorcer cette bombe à retardement avant qu’elle n’explose.

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On parle de pénurie, ici, mais le problème des données en éducation est beaucoup plus vaste. Certains experts évoquent un « trou noir statistique » au ministère de l’Éducation et au sein des commissions scolaires. D’autres racontent qu’il faut faire des fouilles « archéologiques » pour déterrer des chiffres pourtant essentiels pour nos décideurs. D’autres encore soulignent que si des données sont diffusées par Québec, elles le sont parfois avec un délai inacceptable ; des efforts doivent être faits pour les offrir en temps réel.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’un rapport de l’Institut du Québec publié l’an dernier, sur le décrochage scolaire celui-là, parvenait à un constat tout aussi navrant.

« Le manque d’accès aux données et la déficience des évaluations de programmes sont problématiques et ne permettent pas de prendre des décisions éclairées », y lisait-on.

Car les données dont on se prive permettraient de mieux guider les décisions et initiatives prises en éducation, mais aussi d’évaluer leur impact en mesurant leur efficacité.

Ce portrait accablant nous force à poser une question dérangeante : les divers gestionnaires en éducation, à Québec et ailleurs, en auront-ils un jour assez d’avancer les yeux bandés ?

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