Aux États-Unis, la procédure de destitution d’un président est l’équivalent d’un remède de cheval.

Ce n’est pas pour rien que seuls trois présidents, avant Donald Trump, ont dû y faire face.

La Constitution prévoit que ce recours est possible dans le cas où un président est jugé coupable de « trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits ». Pour le Congrès américain, il s’agit d’une option aussi extraordinaire qu’exceptionnelle.

Après avoir hésité pendant des mois à ouvrir une enquête en vue d’une procédure de destitution – ce ne sont pas les scandales qui manquaient ; ils se succédaient –, les démocrates croient enfin avoir trouvé le bon motif. Celui qui leur permettra de prouver que Donald Trump a trahi à la fois son serment, la sécurité nationale du pays et l’intégrité de ses élections, comme l’a affirmé hier la démocrate Nancy Pelosi.

PHOTO ANDREW HARNIK, ASSOCIATED PRESS

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi

Il faut dire que les apparences, pour l’instant, jouent contre le président américain. Il est soupçonné d’avoir voulu faire chanter le président ukrainien pour le convaincre de s’immiscer dans les élections américaines. Donald Trump a peut-être cherché à convaincre Volodymyr Zelensky de nuire au plus menaçant des prétendants démocrates pour 2020, l’ancien vice-président Joe Biden, en enquêtant sur son fils.

Ce ne serait pas la première fois que Trump tente d’inviter une puissance étrangère à peser sur l’élection présidentielle américaine. 

Il avait dit souhaiter, en 2016, que les Russes publient des dizaines de milliers de courriels effacés du serveur privé de sa rivale d’alors, Hillary Clinton. « Évidemment, j’étais sarcastique  », avait-il répliqué après avoir été vertement critiqué.

Plaider le sarcasme ne sera pas recevable cette fois-ci, s’il s’avère qu’il a bel et bien tenté, en tant que président de la première puissance mondiale, de mettre de la pression sur le président ukrainien.

Cela étant dit, Donald Trump risque fort de s’en sortir encore une fois avec bien peu d’égratignures. Car la procédure de destitution est menée en deux temps. D’abord, il doit y avoir mise en accusation par la Chambre des représentants du Congrès américain, là où l’enquête a été ouverte hier. Les démocrates y sont majoritaires. Ensuite, un procès se déroulerait au Sénat… où les républicains sont majoritaires.

Là, ça se gâte…

Il y a autant de chances que les sénateurs républicains votent pour destituer leur président qu’ils décident subitement, disons… d’interdire les armes d’assaut sur le sol américain ou de lutter vigoureusement contre les changements climatiques. Traduction : dans les circonstances actuelles, ça n’arrivera pas !

C’est pourquoi l’initiative des démocrates représente un pari très, très risqué avec à peine plus d’un an à faire avant la prochaine élection présidentielle. Ils jouent avec le feu. Et s’ils se brûlent, ça va faire mal pendant longtemps.

Sur le fond, ils ont raison. Nancy Pelosi n’a pas tort de dire que personne n’est au-dessus des lois, pas même le président des États-Unis. Et c’est le rôle du Congrès américain de veiller au grain et d’agir s’il estime que le président a fait des gestes illégaux.

En revanche, sachant que les démocrates n’ont que très peu de chances de parvenir à leurs fins, il est utile d’analyser leur stratégie en tentant de prédire l’impact qu’elle pourrait avoir sur le prochain scrutin présidentiel. 

De ce point de vue, ils sont potentiellement en train de commettre une grave erreur. Ils pourraient perdre la bataille de l’opinion publique, donner l’impression qu’ils s’acharnent sur Donald Trump et le transformer en victime.

On le sait parce que ça s’est déjà vu ! Plus précisément lorsque les républicains ont tenté de destituer Bill Clinton, il y a une vingtaine d’années. Leurs efforts visant à chasser ce président démocrate de la Maison-Blanche ont été perçus comme une profonde injustice.

Bill Clinton n’a pas été mis à la porte. En fait, aucun président n’a été destitué aux États-Unis. Seul Richard Nixon risquait vraiment de l’être et il a démissionné avant de subir une telle humiliation.

Bien sûr, Donald Trump n’est pas Bill Clinton. Et on soulève actuellement des questions qui touchent à la sécurité nationale alors qu’à l’époque, on s’offusquait des mensonges d’un président qui tentait de camoufler son aventure avec une jeune stagiaire.

N’empêche, Donald Trump a un talent fou pour manipuler l’opinion publique. Et ses partisans républicains ont toujours été d’une loyauté indéfectible. Prédire l’issue de cette lutte politique est par conséquent hasardeux.

Peut-être qu’au bout du compte, les manœuvres démocrates mineront encore un peu plus la légitimité du président républicain et qu’il sera plus facilement terrassé par son rival démocrate l’an prochain. Peut-être…

Mais ne soyons pas surpris, non plus, s’il parvient à se faire réélire. Et si c’est le cas, lorsqu’on énumérera les raisons de sa victoire, la procédure de destitution se retrouvera assurément dans le peloton de tête…

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