Les abus dénoncés par le contrôleur général de Montréal le confirment : la Ville a trop longtemps négligé de s’intéresser à ce qui se passait dans ses marchés publics. L’administration Plante semble déterminée à y voir. Tant mieux, un ménage s’impose. Mais celui-ci ne doit pas servir de prétexte à faire n’importe quel changement, surtout à ce vaisseau amiral qu’est le marché Jean-Talon.

Attribution des espaces vacants entachée de favoritisme, sans critères précis et moyennant des paiements contraires aux lois. Structure du conseil d’administration déficiente. Gestion financière négligente. Le rapport de vérification obtenu par La Presse brosse un portrait inquiétant de la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal (CGMPM).

Ces allégations n’ont pas été démontrées devant les tribunaux, mais le contrôleur général Alain Bond a épluché de multiples documents internes, en posant des questions et en mentionnant les informations qu’il n’a pas pu vérifier.

Et sous les pierres qu’il a soulevées, ça grouillait de petits arrangements peu ragoûtants.

Ça fait une dizaine d’années que des membres (producteurs agricoles, revendeurs et commerçants) qui quittent leur emplacement le « revendent » à l’occupant suivant – en contravention des lois, comme l’a confirmé un avis juridique.

La Corporation, qui a prétendu que ça ne la concernait pas, n’a pas pu dire combien d’emplacements avaient ainsi fait l’objet d’une transaction. Pourtant, tous les gens du marché « savent qui a vendu son emplacement et à quel prix », ont indiqué plusieurs personnes au contrôleur.

Celui-ci signale également des achats « vraisemblablement » abusifs de la part d’ex-employés ayant utilisé la carte de crédit de la Corporation. Et des rapports de la firme KPMG identifiant des anomalies et des risques qui sont restés sans suite. Sa première recommandation à la Ville : s’impliquer davantage.

Montréal, rappelons-le, est propriétaire des terrains sur lesquels sont situés les marchés publics gérés par la CGMPM, comme Jean-Talon, Atwater et Maisonneuve.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« La Ville a trop longtemps négligé de s’intéresser à ce qui se passait dans ses marchés publics », écrit Ariane Krol.

Et bien que la Ville ait le droit d’envoyer un observateur aux réunions du conseil de la Corporation, ça ne s’est pas fait depuis longtemps. Dommage, car certaines pratiques douteuses auraient pu être détectées pas mal plus vite.

« Compte tenu de l’importance de ses marchés publics », la Ville devrait s’impliquer davantage, recommande le contrôleur.

Le responsable du développement économique et commercial au comité exécutif, Robert Beaudry, semble déterminé à régulariser la situation. Bravo !

Mais « compte tenu de l’importance de ses marchés publics », la Ville devrait faire attention de ne pas faire n’importe quoi. En particulier au marché Jean-Talon, le plus grand marché public à ciel ouvert en Amérique du Nord et l’une des attractions les plus visitées à Montréal.

Or, en demandant de rouvrir les baux des marchés, de modifier les règlements, de revoir la mission de la Corporation pour mettre le citoyen au cœur de celle-ci, et de revoir la composition du conseil, c’est une véritable révolution que recommande le contrôleur.

La nécessité d’un grand coup de balai ne fait pas de doute. Celle d’aller chercher de l’expertise extérieure pour le conseil d’administration non plus. 

Mais cette Corporation repensée, également responsable des marchés de quartier et des marchés aux fleurs, devra prendre garde à ne pas oublier le caractère unique du marché Jean-Talon, qui a été malmené ces dernières années.

On n’a qu’à voir cette portion de terrain cédée pour une soi-disant Place du marché, et dont on a fait un espace bétonné hérissé de quelques maigres conifères – un îlot de chaleur, s’indignent plusieurs.

La Ville n’a pas l’intention de récupérer d’autre terrain, assure Robert Beaudry.

L’intérêt de l’administration Plante pour le développement de ses marchés, en privilégiant les produits frais et locaux, ainsi que sa confiance en la nouvelle directrice générale de la Corporation sont encourageants. Mais il faut rester vigilant.

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