Dans sa pratique, Guillaume Cliche-Rivard, avocat spécialisé en droit de l’immigration, représente des dizaines de personnes qui attendent la régularisation de leur statut, incluant de nombreux demandeurs d’asile.

Ses clients ne se tournent pas les pouces en attendant l’aboutissement de leur demande. Presque tous travaillent, plusieurs occupent même plus d’un emploi, observe le juriste.

Et la vaste majorité des femmes qu’il représente gagnent leur vie comme… préposées aux bénéficiaires. Un secteur qui, au Québec, est affligé par une criante pénurie de main-d’œuvre.

Les besoins sont urgents. Il manque des milliers de préposés dans le réseau québécois de la santé, particulièrement dans les CHSLD. Avec le vieillissement de la population, la situation ne peut que s’aggraver. En fait, elle est déjà si critique que Québec vient de débloquer 15 millions de dollars pour recruter 30 000 préposés d’ici cinq ans.

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« Il manque des milliers de préposés dans le réseau québécois de la santé », rappelle Agnès Gruda.

Originaires d’Afrique de l’Ouest ou d’Haïti, les clientes de MCliche-Rivard parlent le français. Mais leurs qualifications sont souvent minimales. Et leurs chances d’être sélectionnées comme immigrantes économiques au Québec seraient pratiquement nulles.

Pourtant, une fois sur place, il leur suffit de quelques mois de formation spécialisée pour pouvoir répondre à un besoin urgent et contribuer ainsi à l’économie québécoise.

Cet exemple est plus qu’anecdotique. Il montre les limites d’une des lignes directrices du projet de planification de l’immigration que le gouvernement de François Legault a soumis à la consultation, cette semaine : celle voulant que les immigrants dits économiques, sélectionnés sur la base d’une adéquation avec les besoins du marché, soient les mieux placés pour répondre aux besoins du marché de l’emploi au Québec.

Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, s’est offusqué, hier, quand le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Jean-Nicolas Beuze, a reproché à son gouvernement de traiter les réfugiés comme un « poids ». Mais c’est difficile de conclure autrement devant le rééquilibrage quantitatif proposé par son propre plan d’immigration.

Dans son ensemble, la politique proposée repose sur deux grandes prémisses. La première stipule que les niveaux d’immigration doivent être baissés, pour améliorer les conditions d’accueil des nouveaux arrivants, avant d’être progressivement rehaussés. La seconde dit qu’il faut augmenter à tout prix la proportion d’immigrants économiques – donc sélectionnés sur la base de leurs compétences et des besoins du marché du travail du Québec – au détriment d’autres catégories d’immigrants. Notamment les réfugiés.

Les niveaux d’immigration fonctionnent un peu comme des vases communicants. Si on baisse le nombre total des admissions de 20 %, comme veut le faire Québec en 2019, tout en faisant passer la proportion d’immigrants économiques de 57 à 65 %, forcément, quelqu’un va écoper au bout de la ligne.

Ainsi, le plan soumis à la consultation prévoit une baisse de 15 à 25 % du nombre de réfugiés admis au Québec en 2019. La baisse toucherait notamment ceux qui sont sélectionnés à l’étranger et déjà reconnus comme tels par l’ONU.

Le document soumis à la consultation ne le dit pas comme ça, mais il laisse planer l’impression qu’il existe deux catégories d’immigrants.

Ceux qui viennent mettre la main à la pâte. Et les autres, ceux que l’on reçoit pour des raisons humanitaires, parce qu’ils fuient des guerres ou qu’ils viennent rejoindre leurs proches – mais qui ne seraient pas aussi utiles pour la société.

Pourtant, ce clivage ne correspond pas à la réalité. Sous certains aspects, les réfugiés présentent même un avantage, du point de vue des objectifs poursuivis par Québec en matière d’immigration. C’est en tout cas ce que démontrent des données tirées du document statistique accompagnant le document de consultation du gouvernement Legault, ainsi que des données sur l’immigration et le marché du travail dressées par l’Institut du Québec.

Le taux de rétention au Québec est meilleur chez les réfugiés que chez les immigrants économiques, par exemple. Les premiers s’installent pour de bon dans la province dans une proportion de 81 %. Les seconds, dans une proportion de 68 %.

Les réfugiés sont aussi plus enclins à s’établir en région : 30 %, contre 24 % des travailleurs qualifiés et 12 % des gens d’affaires.

Dans l’ensemble, avec la crise de main-d’œuvre qui frappe le Québec, les demandeurs d’asile et les réfugiés, peu importe l’étape où en est rendu le traitement de leur dossier, peuvent contribuer à répondre aux besoins criants du marché de l’emploi, aussi bien que les immigrants économiques. Notamment dans le secteur des services et des emplois non spécialisés – on n’a qu’à penser aux 14 000 postes non pourvus dans le domaine de la restauration ! Sans oublier qu’il y a aussi, parmi les réfugiés et demandeurs d’asile, des gens bardés de compétences et de diplômes.

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Il est bien sûr légitime pour un gouvernement de vouloir ajuster l’immigration aux besoins de l’économie. Mais à un moment où les besoins de main-d’œuvre sont sans précédent – le Québec s’attend à devoir pourvoir 1,4 million de postes d’ici 2026 –, le ralentissement des admissions proposé par le gouvernement Legault paraît, dans l’ensemble, artificiel et difficile à justifier. Tout comme le rééquilibrage entre les différentes catégories d’immigrants, au détriment des réfugiés qui sont perçus, à tort, comme moins utiles pour notre économie.

Or, comme le montre l’exemple des préposées aux bénéficiaires en attente de statut, les besoins du Québec en main-d’œuvre sont immenses. Et les réfugiés sont AUSSI des immigrants économiques…

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