Riche idée que celle de François Legault de ne pas faire front commun avec une demi-douzaine d’autres premiers ministres d’un bout à l’autre du pays pour dénoncer le projet de loi fédéral sur les évaluations environnementales.

Le Québec a des doléances légitimes envers la législation, en lien avec les champs de compétence de la province par rapport à ceux d’Ottawa. Or, la démarche des autres premiers ministres — menés par le nouveau leader albertain Jason Kenney — relève davantage de la démagogie et de la politique partisane.

Ces six premiers ministres ont expédié la semaine dernière une lettre à Justin Trudeau pour lui demander « d’améliorer ou d’éliminer » la législation actuellement à l’étude. Mais ce qu’ils souhaitent, essentiellement, c’est que rien ne change en matière d’évaluations environnementales.

Or, le statu quo est intenable, puisqu’il signifie préserver les mesures rétrogrades instaurées par le gouvernement de Stephen Harper en 2012.

Les conservateurs avaient mis la hache dans les évaluations environnementales en faisant adopter à l’époque, à la va-vite, un projet de loi omnibus.

Le gouvernement Trudeau cherche pour sa part à rendre le processus plus efficace et plus transparent. La loi permettra ainsi d’évaluer les effets environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques des grands projets pétroliers, miniers ou autres. L’étude de leur impact sur les changements climatiques deviendra obligatoire. Et on élargira le bassin des acteurs qui pourront contribuer aux évaluations en recueillant désormais l’avis du public.

Notons par ailleurs que le comportement des libéraux quant à ce projet de loi est aux antipodes de celui du gouvernement Harper en 2012. Ils ont été patients et transparents. La législation actuelle, qui répond à une promesse faite en campagne, est en chantier depuis 2016. Le projet de loi a été déposé au début de l’année 2018 et un comité sénatorial a même tenu des audiences de trois mois sur la question cette année.

Ce comité a proposé 187 amendements et les députés en ont approuvé pas moins de 99 (tels quels ou modifiés) la semaine dernière, un record historique. En revanche, 90 % de ceux qui avaient été proposés par les conservateurs ont été rejetés parce qu’ils reflétaient « les recommandations des lobbyistes du secteur pétrolier », a expliqué la ministre de l’Environnement Catherine McKenna.

Le « sentiment d’aliénation » des Albertains évoqué par Jason Kenney doit très certainement être pris au sérieux par Ottawa. Les clivages régionaux qui se dessinent un peu partout au pays ne sont pas négligeables. Le problème est que, pour satisfaire le premier ministre albertain et ses alliés, il faudrait pratiquement répondre favorablement à toutes les demandes de l’industrie pétrolière en tout temps.

On comprend que le premier ministre albertain cherche à protéger les intérêts économiques de sa province, étroitement liés à l’exploitation des hydrocarbures. 

Mais faire preuve d’une insoutenable légèreté en matière de protection de l’environnement et considérer la lutte contre les changements climatiques comme un détail insignifiant ne tient plus la route dans les circonstances actuelles.

Jason Kenney est allé encore plus loin en affirmant que le projet de loi libéral met en péril l’unité nationale. Tiens, tiens… Il y a quelques années, l’ancienne chef par intérim du Parti conservateur du Canada, Rona Ambrose, avait tenu des propos similaires au sujet de la position de l’ex-maire de Montréal Denis Coderre, qui s’opposait au projet d’oléoduc Énergie Est.

En sommes-nous au point où quiconque refuse de donner carte blanche à l’industrie pétrolière sera accusé de vouloir briser le pays ?

Le premier ministre albertain joue un jeu dangereux, car c’est un argument qu’on peut retourner comme un gant. N’est-ce pas lui qui se fait un malin plaisir d’alimenter la grogne de ses concitoyens à l’égard d’Ottawa et qui, par conséquent, accentue les divisions ?

On le prendrait par ailleurs plus au sérieux s’il se montrait lui-même ouvert au compromis. S’il mettait en quelque sorte de l’eau dans son… pétrole.

Son allié fédéral, Andrew Scheer, a pour sa part prévu un important discours sur l’environnement cette semaine.

Voyons voir jusqu’à quel point les mesures annoncées par le chef du Parti conservateur seront substantielles avant de se prononcer sur sa sincérité. Mais le fait qu’il consacre un de ses cinq grands discours préélectoraux à l’environnement montre que se mettre la tête dans le sable quant au sort de la planète est une position de plus en plus intenable au pays.

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