Comme il paraît loin, ce jour de septembre 2016 où le premier ministre de Chine Li Keqiang, en visite à Montréal, se réjouissait de l’avènement d’une « décennie dorée » entre son pays et le Canada.

Aujourd’hui, entre Pékin et Ottawa, c’est le retour à l’ère glaciaire. Depuis que le Canada a arrêté la numéro 2 de l’entreprise Huawei, Meng Wanzhou, il y a six mois, en réponse à une demande d’extradition des États-Unis, les relations entre les deux pays n’ont cessé de se dégrader.

La Chine a réagi en arrêtant deux citoyens canadiens, l’homme d’affaires Michael Spavor et l’ex-diplomate Michael Kovrig, et en commuant en peine capitale la peine d’un autre Canadien, Robert Schellenberg, condamné pour trafic de drogues.

Puis, Pékin a bloqué les importations de canola canadien et mis le frein à plusieurs projets de coopération.

Sur le plan diplomatique, c’est la coupure. Le Canada n’a plus d’ambassadeur en Chine et il n’y a plus d’ambassadeur de Chine à Ottawa. Pire : selon le réseau CBC, le premier ministre chinois a refusé de répondre à un appel téléphonique de Justin Trudeau, lui infligeant une gifle humiliante.

En gros, Pékin refuse tout contact avec le Canada tant que Meng Wanzhou ne sera pas libérée. Ce qui place le gouvernement Trudeau dans une position intenable. Ou bien il bafoue les règles qui encadrent les demandes d’extradition, se rend coupable d’une ingérence politique dans le domaine judiciaire et se met Donald Trump à dos en prime. Ou bien le conflit avec la Chine s’envenime.

Si le Canada réagit avec force à l’attitude belliqueuse de la Chine, MM. Kovrig, Spavor et Schellenberg risquent fort d’en payer le prix. Mais en même temps, est-ce une si bonne idée de céder à ce chantage implicite ?

Comme le dit l’ex-ambassadeur du Canada en Chine, Guy Saint-Jacques, cet affrontement est sans précédent et illustre à quel point il est difficile de faire affaire avec la « nouvelle » Chine de Xi Jinping.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le président de la Chine Xi Jinping et le premier ministre du Canada Justin Trudeau à Pékin en août 2016

Il est peut-être temps de réviser la politique canadienne face à Pékin. Comment ? D’abord, en cessant d’occulter le problème. Ensuite, en tenant compte des éléments suivants.

Géant aux pieds d’argile

Tout en poursuivant son rêve de devenir la prochaine puissance économique numéro 1 de la planète, la Chine affiche des signes de fragilité. Sa croissance s’essouffle. Sa natalité stagne. Son déclin démographique s’amorcera dès 2024, année où elle pourrait perdre le titre de pays le plus peuplé de la planète au profit de l’Inde. Avec tous les problèmes sociaux et économiques que cela risque d’entraîner : marché en déclin, pénurie de main-d’œuvre, etc.

Politiquement, le virage autoritaire amorcé par le président Xi Jinping rend le pouvoir actuel de plus en plus impopulaire. Y compris chez une partie des élites chinoises qui n’ont pas digéré le fait qu’il a jeté par-dessus bord la limite de deux mandats présidentiels, s’arrogeant la possibilité d’un règne illimité.

Le mouvement de contestation à Hong Kong est une autre épine dans la cuirasse chinoise.

C’est sur cette toile de fond de fragilité que l’on doit décoder la position souvent arrogante affichée par la Chine sur la scène internationale.

Le rôle de Washington

Ce sont les États-Unis, avec leur demande d’extradition, qui ont placé le Canada entre le marteau et l’enclume face à la Chine. Une partie de la solution passe donc… par Washington, où le premier ministre Trudeau doit se rendre la semaine prochaine pour en discuter avec Donald Trump. Il y a peu de chances que ce dernier revienne sur les démarches lancées contre Mme Meng, dans le climat d’escalade actuel. Mais ça vaut la peine de s’entendre sur une stratégie commune.

Action concertée

Le Canada n’est pas le seul à faire face à la colère chinoise. Quand l’Australie a rejeté le réseau 5G de Huawei, Pékin a réagi par une plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo, en 2010, avait gelé les relations avec la Norvège pendant six ans. Il n’y a pas que le cas de Meng Wanzhou. La Chine sous Xi Jinping se referme et devient de plus en plus agressive.

Guy Saint-Jacques en appelle à une politique plus ferme face à Pékin. Mais le Canada ne gagnera rien à agir seul.

L’ancien ambassadeur estime aussi qu’Ottawa peut faire appel à des mécanismes internationaux, comme l’OMC, qui pourrait être saisie d’une plainte dans l’affaire du canola, par exemple.

Points sensibles

Le Canada peut aussi réagir en ciblant les « zones sensibles » de la Chine. Notamment son ambition de devenir le leader technologique mondial. Rien ne nous oblige, par exemple, à recourir à Huawei pour développer un futur réseau 5G. Un récent sondage publié par le Globe and Mail montre qu’une majorité de Canadiens préfèrent fermer la porte au géant chinois, dont l’incursion dans les communications mobiles suscite des craintes de piratage… En plus de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon ont banni Huawei de leur technologie mobile, et d’autres pays sont en réflexion.

Agir sur notre terrain

La Chine a déployé une armada de moyens pour intimider des militants prodémocratie établis ou de passage au Canada, comme le démontre un récent rapport d’Amnistie internationale. Piratage de comptes courriel, menaces téléphoniques, diffusion de matériel haineux, tentatives de bloquer des conférences universitaires, opérations de surveillance, sont autant de moyens déployés par Pékin pour faire taire les voix critiques au Canada. Un exemple : le compte courriel d’une des victimes de ce harcèlement vivant au Canada a été piraté, et ses photos ont été trafiquées pour être insérées dans un site pornographique !

Ces tentatives d’intimidation se passent au Canada et ciblent notamment des citoyens canadiens. La moindre des choses serait d’y réagir avec force.

En créant des points de chute où les victimes peuvent porter plainte. En faisant appel à d’autres gouvernements aux prises avec le même problème. Ou encore en expulsant les agents chinois impliqués dans ces opérations.

En d’autres mots, sans ostraciser la Chine, il est temps de réagir aux provocations les plus flagrantes. En parlant avec autorité — un langage bien compris par Pékin.

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