Un jonc de mariage constitue-t-il un signe religieux ?

Cette question a été posée hier à François Legault dans la foulée de l’amendement censé définir les signes religieux ciblés par le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État.

En apparence, la question est simple. Mais le premier ministre n’a pas été en mesure d’y répondre.

Voilà qui en dit long sur les supposés éclaircissements que le ministre Simon Jolin-Barrette a apportés mardi dans une ultime tentative de faire adopter son projet de loi sans recourir au bâillon, à quelques jours de la fin de la session parlementaire en cours. 

L’amendement répond aux critiques de l’opposition, qui reprochait au gouvernement caquiste d’avoir omis de définir les signes religieux qu’il veut interdire. Comme l’a noté un groupe d’experts du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, cette omission ouvrait la voie à des décisions arbitraires et discriminatoires visant potentiellement certains signes religieux plus que d’autres. À commencer, on le devine, par le voile islamique.

Le ministre Jolin-Barrette a longtemps refusé de définir les signes religieux qu’il entend interdire aux juges, policiers, agents correctionnels et enseignants.

Il a fini par céder. Mais son amendement législatif concocté à minuit moins une n’éclaire rien du tout. Pire : il ajoute à la confusion.

Selon le ministre, un signe religieux est « tout objet, notamment un vêtement, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef qui est soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse, soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse ».

Plusieurs éléments clochent dans cette définition. D’abord, parce qu’elle combine l’intention de ceux qui arborent des signes douteux et la perception d’une personne en autorité qui devra décider si elle vous croit ou pas.

Concrètement, si vous portez un pendentif en forme de croix parce que vous le trouvez joli, et que votre supérieur décide que celui-ci peut « raisonnablement » être considéré comme un crucifix, qui va trancher ? Et qui va décider de ce qui est « raisonnable » et de ce qui ne l’est pas ?

Cet ajout législatif laisse une large part à la subjectivité de ceux qui devront interpréter la loi. Et qui devront décider quelles sont les intentions réelles des enseignants, agents correctionnels ou policiers qui portent une croix, une main de Fatima ou une étoile de David en broche ou au bout d’une chaînette.

S’agit-il d’un bijou de famille ? D’un souvenir ? D’une figure géométrique dénuée de sens religieux pour son propriétaire ? Qui sera en mesure de déterminer le sens que ces attributs recèlent pour ceux qui les portent ? Et comment y arrivera-t-on ?

Faudra-t-il faire appel à des experts pour décider si toutes les croix réfèrent forcément au christianisme ? Et toutes les étoiles de David au judaïsme ? Si des boucles d’oreille en forme de croix « réfèrent » ou non à Jésus ? Si on peut épingler de tels signes au revers du veston ou s’il faut les éliminer complètement ?

Sans l’ajout de mardi, le projet de loi laissait déjà beaucoup de place à l’interprétation. Avec cet ajout, on ouvre la voie à une sorte de régime d’inquisition portant atteinte à la vie privée des gens.

Débouchant potentiellement sur des décisions tout aussi arbitraires et discriminatoires qu’avant. Et ouvrant la porte à une multitude de contestations devant les tribunaux — qui auront la tâche ingrate d’évaluer le poids religieux des kippas, voiles et crucifix…

En voulant montrer que son projet de loi vise toutes les religions et tous les signes religieux, et que toutes les confessions seront égales aux yeux de l’État, la nouvelle mouture du projet de loi 21 débouche sur un projet surréaliste et difficilement applicable.

Et démontre, par l’absurde, tout ce qui ne va pas avec la conception de la laïcité de l’État que le gouvernement Legault tente de faire adopter à toute vapeur, sous la menace du bâillon.

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