Si la vente de Transat A.T. est vraiment incontournable, Air Canada est sans doute la mieux placée pour la racheter. La fin du spécialiste du voyage comme entreprise indépendante sera néanmoins une grande perte dans le paysage québécois.

D’abord les évidences.

Le premier ministre François Legault s’est réjoui qu’Air Canada, ayant son propre siège social à Montréal, n’aura pas la tentation de déménager celui de Transat. De fait, c’est un souci de moins pour lui qui, devant un acheteur de l’étranger ou, même, d’une autre province, aurait été sommé d’intervenir. Une situation toujours inconfortable pour un gouvernement – à plus forte raison celui de la CAQ, qui s’est fait fort d’attirer des investisseurs étrangers.

En même temps, on n’imagine pas Air Canada absorber Transat et conserver son siège social intact, comme une espèce de musée témoin de Québec inc.

Certes, les deux entreprises ont voulu se montrer rassurantes hier.

« Les employés des deux sociétés […] profiteront d’une sécurité d’emploi », a déclaré le grand patron d’Air Canada, Calin Rovinescu, par voie de communiqué.

Cette transaction représente « la meilleure perspective » de maintien et de croissance à long terme « des emplois que Transat a développés », a renchéri le président et cofondateur de Transat, Jean-Marc Eustache, dans un autre communiqué.

À quoi l’acquéreur sera-t-il prêt à s’engager par écrit ? C’est la vraie question. Mais on voit mal une grande société cotée en Bourse se priver des économies qu’elle pourra réaliser en éliminant les dédoublements entre les deux sièges sociaux.

Il faudra aussi voir ce qu’en dira le Bureau de la concurrence. En rachetant le transporteur aérien Air Transat, Air Canada élimine l’un de ses principaux compétiteurs sur le marché québécois, c’est évident. Sauf qu’Ottawa aura à tenir compte de l’ensemble du portrait.

Vers l’Europe en partance de Montréal, les tarifs pourraient devenir un peu moins attrayants, mais Air Canada n’aura pas le monopole, loin s’en faut. Les Québécois auront encore le choix d’autres transporteurs, européens justement, dont Lufthansa, Air France et British Airways. Même dynamique du côté des destinations soleil, où WestJet, forte de son nouveau propriétaire Onex, demeurera un concurrent avec lequel il faut compter, tout comme Sunwing.

Et le plus gros transporteur au pays, qui n’a jamais réussi à donner à sa filiale Vacances Air Canada l’envergure qu’on aurait attendue de lui, n’achète sûrement pas les activités de voyagiste de Transat pour les faire disparaître. Au-delà des parts de marché, c’est tout un savoir-faire qu’il acquerra dans la transaction.

De toute façon, ce que le Québec perdra de plus précieux dans le rachat de Transat, ce n’est pas un concurrent de plus ou de moins susceptible de faire baisser les prix des billets d’avion et des forfaits dans le Sud de quelques dizaines de dollars. C’est une entreprise locale, dynamique et imaginative, prête à défricher de nouveaux sentiers parce qu’il le fallait pour se tailler une place dans le marché ultra-concurrentiel du voyage.

C’est ainsi qu’elle a incité les Québécois à s’envoler, par exemple, vers toutes sortes d’autres destinations françaises que Paris, comme Marseille, Bordeaux ou Toulouse. Ce n’est pas Air Canada qui, après avoir ajouté, ces dernières années, des vols directs de Montréal vers des destinations qu’Air Transat desservait déjà, comme Marseille ou Lisbonne, ira nier la pertinence de la stratégie. Mais il serait étonnant que ce grand transporteur national, qui doit desservir à la fois les marchés canadien, américain et étranger, ressente la même urgence de développer des trajets européens et des destinations soleil spécialement pour les Québécois.

Et, étant donné les ressources et l’expertise nécessaires pour se lancer dans cette industrie, on n’est pas près de voir d’autres entrepreneurs locaux se vouer à mettre sur pied une entreprise de cette envergure durant plus de 30 ans. Si Transat finit par être vendue, elle laissera un grand vide qui ne sera pas à la veille d’être comblé.

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