Le projet de loi indépendant contre l’obsolescence programmée présenté la semaine dernière à l’Assemblée nationale est une belle idée… qui devra surmonter beaucoup d’obstacles avant de devenir réalité. Le gouvernement Legault ne devrait cependant pas se laisser intimider. S’il se décide à pousser pour l’adoption d’une telle loi, il ne ramera pas seul.

De plus en plus d’objets de toutes tailles, souvent électriques ou électroniques, se brisent prématurément sans qu’il soit possible de les réparer, parce qu’ils ne sont pas conçus pour ça, que les pièces ou les outils ne sont pas disponibles, ou qu’il est moins coûteux de les remplacer.

On parle alors d’obsolescence « programmée », car même si les fabricants ne cherchent pas à nuire à leurs clients, ils n’en sont pas moins responsables de mettre en marché des produits si frustrants.

« Obsolescence » est d’ailleurs un terme presque trop élégant pour désigner cette réalité terriblement vulgaire, qui inspire des gros mots aux consommateurs et envoie des tonnes de déchets toxiques dans l’environnement.

Le projet de loi, rédigé par des étudiants en droit de l’Université de Sherbrooke à l’initiative du chargé de cours Jonathan Mayer, tombe donc à point.

Le texte, court mais ambitieux, imposerait trois nouvelles obligations aux fabricants. Ceux-ci devraient afficher la durée moyenne de fonctionnement de leurs appareils domestiques en y apposant une « cote de durabilité », permettre que les pièces, outils et services de réparation soient disponibles, et honorer la garantie même si l’appareil a été entretenu par un réparateur extérieur à leur réseau.

L’idée est d’ajouter ces dispositions à la Loi sur la protection du consommateur afin de renforcer la protection de la garantie légale, qui stipule déjà qu’un bien doit « servir à un usage normal pendant une durée raisonnable ».

Non, ce ne sera pas évident pour un petit marché d’à peine plus de huit millions d’habitants d’imposer ses conditions aux multinationales de la téléphonie cellulaire, de l’informatique, de l’outillage ou de l’électroménager. Mais l’initiative mérite d’être poussée plus loin.

Le projet de loi déposé mardi dernier par le député indépendant Guy Ouellette a déjà reçu l’appui de tous les partis de l’opposition et suscité l’intérêt du gouvernement.

La députée Lucie Lecours, qui est adjointe parlementaire de la ministre de la Justice pour la protection des consommateurs, a en effet participé à la conférence de presse lors du dépôt du projet de loi. Mme Lecours ne veut pas avancer d’échéancier, mais elle qualifie le projet de loi d’intéressant et promet de le soumettre à l’Office de la protection du consommateur ainsi qu’au ministère de la Justice, dont relève l’OPC.

Et si la CAQ traîne les pieds, son aile jeunesse va la pousser dans le dos. La Commission de la relève de la CAQ a déjà adopté une résolution visant à réduire la TVQ sur les services de réparation pour lutter contre l’obsolescence programmée. Elle veut maintenant la faire inclure dans le cahier de propositions qui sera soumis au conseil général du parti, à la fin mai, afin qu’elle soit adoptée et intégrée à la plateforme du parti.

Même le Bureau de normalisation du Québec (BNQ), que les étudiants n’ont pas consulté avant de le désigner responsable d’établir les fameuses cotes de durabilité, estime que c’est parfaitement faisable. Concevoir des normes et déterminer comment donner des attestations fait partie du quotidien du BNQ, nous dit l’organisme, qui évalue le délai de mise en place à un peu moins de deux ans.

Oui, ce projet de loi indépendant conçu par des étudiants est atypique et unique au Canada. Mais il s’inscrit dans un puissant courant alimenté par l’indignation des consommateurs et de tous ceux qui se préoccupent de l’environnement.

On l’a vu au Québec avec la demande d’action collective récemment autorisée contre Apple au nom des propriétaires d’iPhone 5, 6 et 7, qui ont vu leur appareil ralenti par une mise à jour du fabricant.

On l’a aussi vu en France, qui a interdit l’obsolescence programmée dans une loi.

Et ce n’est pas tout.

Une vingtaine d’États américains ont déjà présenté des projets de loi pour faire reconnaître le droit de réparer (right to repair).

La sénatrice et candidate à l’investiture démocrate Elizabeth Warren a fait monter les enchères le mois dernier en proposant d’adopter une loi fédérale garantissant ce droit pour les coûteux équipements agricoles.

Même le gendarme américain de la concurrence s’en inquiète. La Federal Trade Commission (FTC) a lancé un appel de données sur les obstacles à la réparation, en vue d’un atelier public l’été prochain.

Tout cela prendra du temps, d’autant plus que les grands fabricants ne manqueront pas de résister. On peut toutefois espérer que certains, plus allumés, y verront une occasion d’affaires, et prendront les devants avec des produits durables et facilement réparables. Mais pour en arriver là, il faut maintenir la pression avec des projets de loi comme celui déposé à Québec.

« Une loi adoptée dans un seul État [américain] pourrait suffire à faire sauter le barrage », écrivait le New York Times au début du mois dans un éditorial réclamant le droit de réparer. C’est encourageant : 38 des 50 États américains comptent moins de 8,5 millions d’habitants. Si l’on suppose qu’un seul de ces « petits marchés » puisse faire le boulot, pourquoi pas le Québec ?

> Consultez le projet de loi 197.

> Voyez l'action collective autorisée contre Apple.

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