L'apparition presque miraculeuse du patriarche physiquement diminué du clan Kennedy, «oncle Teddy», a été le moment marquant de la journée d'ouverture de la convention du Parti démocrate, à Denver. Et le niveau de solidarité du clan Clinton avec Barack Obama déterminera dans une large mesure les possibilités qu'aura celui-ci d'entrer à la Maison-Blanche. Ce n'est pas pour rien si l'intervention majeure de Hillary Clinton devant les délégués démocrates, hier soir, était vue (et appréhendée) comme un tournant de la précampagne.

En politique, le passé a dans les grandes nations un poids considérable que, vu d'ailleurs, on sous-estime toujours considérablement. Et même aux États-Unis, ce berceau républicain, il existe une telle chose que des dynasties familiales quasi monarchiques.

C'est un double phénomène qui est largement méconnu, au Canada et en particulier au Québec, parce que nous n'avons pas le même rapport à l'Histoire: ici, quel candidat aux plus hautes responsabilités politiques citera Laurier ou Mackenzie King dans le texte, comme Lincoln ou Roosevelt sont évoqués de façon courante aux États-Unis? Et nous avons moins encore de ce que l'on appelle des «grandes familles», dont l'influence durable en politique ou en économie serait respectée, et non pas cyniquement raillée ou même carrément haïe.

Bref, pour le meilleur et pour le pire, la dynastie Kennedy et la protodynastie Clinton pèsent lourd chez les démocrates. De sorte que, s'il veut accéder à une existence politique autonome, Barack Obama devra se dégager de l'«ombre» que lui fait la première et de l'«étreinte ambiguë» que lui sert la seconde, estime avec perspicacité le New York Times.

D'ailleurs, l'adversaire ne s'y trompe pas.

Le Parti républicain entretenant une longue tradition de victoire à n'importe quel prix (cela dit sans juger en bloc tous les présidents républicains, parmi lesquels il y en a eu de grands), c'est avec délectation qu'il se jette sur tout ce qui sépare Obama du «passé» américain.

L'inlassable questionnement sur ce qu'on pourrait appeler la fibre identitaire du candidat démocrate relève de ce type d'assaut. Et il faut avouer que les stratèges de John McCain ont ici beau jeu, le «drôle de nom et le passé familial de Barack Obama faisant de lui une cible idéale. D'où la substance de l'allocution de Michelle Obama, lundi, qui n'a rien fait d'autre que tisser (avec une remarquable intelligence) des liens entre son époux et The Great American Story, celle des masses laborieuses aspirant à un avenir meilleur pour la génération qui suit.

Le GOP a également retenu et payé du temps d'antenne télé pour faire l'éloge de Hillary Clinton, dans le but évident d'alimenter l'antagonisme qui a sévi pendant la course à l'investiture, certes, mais aussi de creuser un gouffre entre Obama et le «passé», encore, celui du Parti démocrate.

Au fond, l'affaire est assez simple. À cause de la couleur de sa peau, l'attention est tout entière accaparée par la remarquable première que constitue l'irruption d'un candidat noir dans la course à la Maison-Blanche. (Et ceux qui auraient envie de vilipender de façon anticipée, pour ainsi dire, le conservatisme bigot des Américains feraient bien de méditer sur le sort qui attendrait un candidat d'origine maghrébine dans une course à L'Élysée, ou un candidat d'origine turque au Bundestag, ou un candidat homosexuel à l'Assemblée nationale.)

Cependant, dans les faits, Barack Obama propose quelque chose d'aussi troublant que son identité raciale: la transmission du flambeau à une autre génération. Comme ce fut le cas avec John Kennedy, en 1960. Comme le sénateur Edward Kennedy l'a pertinemment noté, lundi. Et comme le met en évidence, par effet de contraste, l'âge de John McCain.

Dans une grande nation où le passé a un poids, ce n'est pas non plus une mince affaire.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion