Il s'agit du premier enregistrement vidéo rendu public de l'interrogatoire d'un détenu au camp carcéral de Guantanamo. On y voit Omar Khadr, 16 ans, interrogé par un agent du Service canadien de renseignement et de sécurité; cela se passait en 2003, six mois après qu'il eut présumément lancé une grenade vers un soldat américain qui en est mort. Les images de l'interrogatoire sont presque banales : on n'y voit ni torture ni brutalité de quelque sorte.

Ce qu'on y voit, par contre, c'est un adolescent qui exhibe ses blessures, qui ne sait pas sur quel pied danser, qui ne comprend pas très bien ce qui lui arrive, qui geint, qui pleure, qui appelle littéralement à l'aide Le jeune Khadr - né à Toronto d'un père qui, lui, savait pertinemment ce qu'il faisait en plongeant son fils dans cet enfer - apparaît comme un enfant et une victime, en somme.

Apparemment, les avocats canadiens d'Omar Khadr, qui se sont battus pour que ces images soient rendues publiques, comptent ainsi émouvoir l'opinion publique afin de faire pression sur le gouvernement de Stephen Harper; celui-ci a jusqu'à maintenant refusé d'intercéder auprès de Washington.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est réussi : ces images émeuvent profondément, en effet.

Le jeune Khadr correspond parfaitement à la définition de l'enfant soldat telle que l'entend l'ONU ainsi que diverses organisations vouées à la défense des droits. Cela seul suffirait à considérer l'attitude d'Ottawa dans ce dossier comme proprement scandaleuse. (Hier, le cabinet du premier ministre a répété qu'il ne comptait pas intervenir.)

Mais s'il faut d'autres motifs d'indignation, il est facile d'en trouver. Ainsi :

Les circonstances dans lesquelles Khadr a été appréhendé en Afghanistan sont peu limpides et on soupçonne des manipulations politiques dans la procédure d'enquête.

Omar Khadr est le seul ressortissant d'un pays occidental toujours détenu à Guantanamo; il l'est depuis maintenant six ans, a été maltraité, et doit subir en octobre un procès à la légitimité douteuse.

À trois reprises, la Cour suprême des États-Unis a imposé des rebuffades à l'administration Bush, notamment en ce qui concerne le statut constitutionnel de Guantanamo.

Aux États-Unis, on admet de plus en plus ouvertement que Guantanamo a été une erreur, aujourd'hui transformée en boulet politique; et les candidats quasi désignés à la présidence, Barack Obama et John McCain, promettent tous deux de fermer le camp carcéral.

Bref, il ne s'agit pas de savoir si la famille Khadr est sympathique : elle ne l'est pas du tout. Il ne s'agit pas non plus de faire le procès de Guantanamo : cela regarde d'abord les Américains et, maintenant que le mal est fait, vider cette étrange prison n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Non, la seule question est de savoir quelle cohérence morale le premier ministre du Canada peut, dans le cas précis d'Omar Khadr, invoquer pour justifier sa persistance dans l'inaction.

Nous, nous n'en voyons aucune.

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