Les discussions fédérale-provinciales qui se tiennent à Québec jusqu'à vendredi inquiètent les producteurs agricoles. Les consommateurs aussi devraient s'en préoccuper.

On ne pleurera pas sur la couleur de la margarine, qui était devenue une espèce de gag récurrent. Les fabricants ont désormais le droit, comme dans le reste du Canada, de blondir le produit pour qu'il ressemble à du beurre. Il faut toutefois éviter que d'autres aliments puissent se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas.

Au Québec, les termes qui servent à désigner des produits laitiers ne peuvent pas être utilisés à n'importe quelle sauce. Par exemple, une préparation à base de soya moulée en forme de tranche de fromage ne peut pas porter un nom ambigu comme «tranche de cheddar». Dans d'autres provinces, notamment en Colombie-Britannique, c'est tout à fait permis.

À la limite, un fabricant de simili-fromage pourrait se plaindre que la réglementation québécoise nuit à ses ventes ici. Il plaiderait que son produit se vendrait beaucoup mieux s'il portait le nom de cheddar, de suisse ou de mozarella, et exigerait que notre réglementation soit modifiée. Pour quiconque apprécie le fromage, c'est une absurdité sans nom. Le fromage est un aliment qui se fabrique avec du lait coagulé, pas avec de l'huile de soya. Mais dans un contexte où la priorité va à l'élimination des obstacles au commerce, l'argument pourrait tenir la route.

Cette histoire de pseudo-fromage n'est qu'un exemple. Si les textes qui sont sur la table ne sont pas modifiés, toutes nos règles sur l'étiquetage et la composition des aliments pourraient être contestées, affirme l'Union des producteurs agricoles. Même les nouvelles normes sur la présence du lait dans le yogourt, qu'on nous promet pour bientôt, pourraient être remises en question par d'autres provinces. Si une telle brèche existe, il faut se dépêcher de la colmater. Québec doit pouvoir faire respecter ses propres exigences de qualité et d'authenticité, et se garder le droit d'en adopter de nouvelles aux besoins.

Le ministre de l'Agriculture a demandé des précisions aux textes proposés, mais il ne se montre pas très inquiet. Évidemment, comme c'est Jean Charest qui a pris l'initiative de rapprocher les provinces, le ministre Lessard serait mal venu de déchirer sa chemise en public. Espérons qu'il saura se montrer vigilant en coulisses.

L'Accord sur le commerce intérieur (ACI) ne fait pas les manchettes à tous les jours, mais son poids est bien réel. L'histoire de la margarine est un cas éloquent. La Cour suprême elle-même avait confirmé, au printemps 2005, que le Québec avait le droit d'interdire qu'elle soit colorée. Mais quelques mois plus tard, un groupe d'experts de l'ACI a décrété que ce règlement causait préjudice à l'industrie de la margarine, et demandé qu'il soit aboli. Et c'est ce qui a prévalu.

Notre penchant pour la bonne chère n'est pas différent de celui que nous avons pour la musique francophone : c'est une partie intégrante de notre culture. Et la gastronomie québécoise, comme sa chanson, est une industrie en plein essor de plus en plus appréciée à l'étranger. Peut-on imaginer un seul instant que Québec signerait un accord ouvrant la porte à la l'élimination des quotas de musique francophone à la radio, sous prétexte qu'ils nuisent aux ventes des artistes canadiens-anglais? Impensable. L'intégrité des aliments vendus dans cette province doit être protégée avec la même passion.

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