Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait lui-même contester la Charte des valeurs québécoises devant les tribunaux s'il estime qu'elle est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés?

RASSURANT

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser

Il n'y a rien d'anormal à ce qu'un gouvernement fasse respecter la loi suprême du pays qu'il gouverne. Évidemment, en prenant l'initiative de cette contestation, le gouvernement Harper ouvre la porte aux traditionnelles récriminations des nationalistes québécois qui y verront un énième blocage du gouvernement canadien contre la volonté souveraine du Québec. Il s'attirera également les foudres de ceux qui ont une foi inébranlable dans l'État; de ceux pour qui la charte mène à un gouvernement des juges et limite le pouvoir des politiciens; de ceux pour qui un gouvernement élu peut faire la loi sans avoir à s'y soumettre. Évidemment, dans un Québec multipartiste, où une majorité de sièges peut être constituée avec moins de 40% des votes exprimés, il est heureux d'avoir une charte des droits et libertés qui protège chaque citoyen contre les dérives de notre système politique. D'autant plus que je ne vois aucun mal à ce que des politiciens fédéraux prennent des mesures pour nous protéger des politiciens provinciaux. Même si tout le monde aura compris qu'en s'opposant au projet de charte québécoise, les conservateurs ont plus de votes à gagner dans le reste du Canada qu'ils en ont à perdre au Québec.

PRÉVENIR DES CONTESTATIONS

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

Il est certain que la prohibition des signes religieux soi-disant ostentatoires pour tous les employés de l'État est contestable et sera contestée. Pour qu'une nouvelle charte puisse s'opposer de façon légitime aux droits et libertés inscrits dans les Chartes canadienne et québécoise existantes, il faudra démontrer que ses dispositions sont motivées par des inconvénients réels et documentés pour le fonctionnement des établissements concernés. Même si les signes religieux peuvent déplaire, ce ne sont pas ces signes qui dérangent le plus, mais les demandes d'accommodements plus ou moins raisonnables: les congés religieux, l'examen médical (ou autre) par la personne du même sexe, la baignade séparée pour les musulmanes, etc. Mais le médecin qui porte la kippa soigne-t-il moins bien les patients? Une infirmière en hidjab s'occupe-t-elle moins bien des malades? Une Charte de la laïcité serait plus défendable: les représentants directs de l'autorité de l'État doivent montrer une neutralité religieuse. En ce qui concerne l'hidjab dans les hôpitaux et écoles, aidons les musulmanes à changer graduellement. La société québécoise n'a pas évolué à coups de prohibitions! Le gouvernement devrait réviser le projet de la Charte avant de plonger le Québec dans de longues et coûteuses contestations.

BRAS DE FER POLITIQUE

Caroline morgan

Traductrice

La question n'est pas de savoir s'il a le droit; s'il le fait, ce sera avant tout pour des raisons politiques. En effet, la Charte des valeurs frappe de plein fouet le multiculturalisme, dogme de l'État canadien depuis plus de 40 ans. Rappelons que le multiculturalisme a été adopté entre autres pour dissoudre la conception des deux peuples fondateurs (devenus trois avec l'ajout des Premières Nations) et de faire de la société canadienne une mosaïque de communautés aux intérêts disparates, décomposant au passage le nationalisme québécois. Dans cette optique, le gouvernement fédéral a tout intérêt à combattre la Charte. De plus, les lobbys religieux, très présents au Canada, feront pression sur le gouvernement. Deux choses pourraient cependant retenir le gouvernement Harper. D'abord, lui-même essaie de recoudre l'identité canadienne, par exemple en remettant la monarchie à l'ordre du jour, en réinstaurant le mot «royal» dans les corps d'armée et en commémorant la guerre de 1812. Ensuite, les sondages ont montré qu'une partie non négligeable de la population canadienne, surtout les électeurs conservateurs, approuvait le projet de charte. Ce sera donc un bras de fer intéressant entre deux conceptions de société, dont l'une, le multiculturalisme, présente des signes manifestes d'usure.

Caroline Morgan

BIEN SÛR !

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec

Et pourquoi pas!  Si notre gouvernement provincial ne veut pas protéger nos droits et libertés individuels et va même jusqu'à les empiéter contrairement à sa propre Charte et la Charte canadienne, alors remercions le ciel (de façon ostentatoire ou non...) que notre gouvernement fédéral se dresse dans son chemin pour nous défendre.  Et j'apprécierais aussi que le gouvernement provincial fasse de même si le fédéral se mettait à son tour à adopter des lois aussi liberticides.

AUCUN RECUL ACCEPTABLE

Georges Paquet

Diplomate canadien à la retraite

Même si on pense que c'est l'objectif poursuivi par le gouvernement Marois, il me paraît important que le gouvernement fédéral conteste lui-même, devant les tribunaux, la Charte des valeurs québécoises, si cette Charte contenait les propositions déjà formulées. Le respect des droits de la personne n'est pas optionnel. Les droits et libertés inscrits dans les chartes les plus récentes ne sont que la formulation en des termes renouvelés de ce que les générations précédentes ont cru bon de codifier à leur façon. Il faut savoir que la reconnaissance et la codification des droits individuels, reconnaissant à chacun la jouissance de droits égaux et inaliénables, ont de tout temps préoccupé les humains. Les dirigeants et chefs d'État, selon les moyens et les connaissances de l'époque, ont voulu que soit reconnu ce droit de chacun d'exprimer son opinion et d'afficher sa croyance religieuse. C'est par des gains répétés que l'individu a pris une place de plus en plus honorable et respectée dans la société. La reconnaissance de son individualité, de son droit au respect de même que de la liberté d'exprimer son opinion et ses croyances religieuses a été formulée de façon de plus en plus précise au cours des siècles. Aucun recul ne devrait être acceptable.

Archives, LeDroit

Georges Paquet

DANGER D'UN CLIVAGE

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

Si le gouvernement fédéral désire entamer une procédure officielle de contestation d'un projet passablement populaire au Québec, que ce soit celui de la Charte ou un autre projet qui soulève autant de passion, il devra d'abord s'assurer des conséquences potentielles de cette décision. La politique, c'est une suite d'actions et de décisions basées sur des calculs. L'équipe Harper devra calculer si le nombre de votes gagnés dans le reste du Canada compensera les votes perdus au Québec si jamais une réelle contestation judiciaire prend forme. Par ailleurs, il faudra mesurer l'effet de clivage qui pourrait résulter d'un tel processus. En effet, si l'ensemble du reste du Canada se campe derrière l'idée multiculturaliste anti-charte du gouvernement Harper et qu'une majorité de Québécois se braque contre cette même démarche, on pourrait faire renaître, au Québec, une flamme souverainiste et cela engendrerait un effet profondément indésirable pour les conservateurs. Une décision d'un tribunal canadien allant dans le sens de la non-conformité de la Charte (alors que le projet gagne des appuis au Québec) pourrait amener de l'eau au moulin de ceux qui avancent que le Québec ressemble de moins en moins au reste du Canada. Si M. Harper veut créer de la discorde et de la division, ce serait un excellent moyen...

CONTESTATION À PRÉVOIR

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

Il est évident que le gouvernement Harper va contester la Charte des valeurs québécoises, car elle va toucher les libertés religieuses qui sont enchâssées dans la Charte des droits et libertés du Canada. Comme le Québec est une province régie par le gouvernement fédéral, pour qui la religion semble très importante, la Charte proposée par la première ministre Marois se retrouvera inévitablement devant les tribunaux. D'accord ou pas avec la proposition de PQ, nous pouvons nous demander pourquoi les élus votent des lois si elles peuvent être contestées en justice par d'autres paliers de gouvernement.