Que pensez-vous du coup d'éclat de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) qui a procédé jeudi matin à l'arrestation, entre autres, de l'ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, et de l'homme d'affaires Tony Accurso?

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



PERSONNE À L'ABRI

L'Unité permanente anticorruption (UPAC) se devait de procéder à des arrestations au moment où elle aurait réuni suffisamment de preuves pour aller de l'avant. Il n'y aucune surprise à y avoir à cet égard. Par ailleurs, ce qui est surprenant, c'est l'ampleur des arrestations survenues dans la région de Laval ce matin. On est à procéder à l'étêtage d'une culture d'attribution de contrats fondée sur la corruption via les enveloppes brunes. Le message est maintenant clair. La société vous a à l'oeil. Ceux qui ont péché par appât du gain n'auront qu'à bien se tenir, l'UPAC ira cogner à leur porte. Plus personne ne sera à l'abri de la justice. Ce qui rendra dissuasive l'adhésion à une culture de corruption à grande échelle, c'est que cette Unité anticorruption a un caractère permanent. Il y a quelques années, lors de la création de l'UPAC, le ministre de la Justice de l'époque, Jacques Dupuis, clamait sur toutes les tribunes publiques qu'il fallait laisser le temps à l'UPAC de faire ses devoirs. L'UPAC est en train de les faire et comme citoyen, je suis soulagé. Enfin, les choses bougent. On ne pourra venir à bout de la corruption du jour au lendemain, mais le message est lancé : on ne transgresse pas la loi.

Jean Gouin

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



DE LA POUDRE AUX YEUX

En fait, je ne suis pas impressionné et je ne crois pas que cette double arrestation constitue un coup d'éclat. C'est, pour l'instant, de la poudre aux yeux, du pain pour le peuple affamé. Ce sera un coup d'éclat quand on saisira toutes les possessions que ces prévenus ont acquises grâce à de l'argent sale. Ce sera un coup d'éclat quand on les condamnera à séjourner à l'ombre pour un bon bout de temps (et ce, j'ose espérer, sans traitement de faveur...). Si on a condamné et emprisonné Conrad Black, un riche homme d'affaires qui se croyait au-dessus des lois, on devrait être capable de faire de même pour Vaillancourt, Accurso et les autres qui devraient suivre. Le pire des scénarios serait qu'on leur impose des amendes, disons de quelques millions. Accurso vaut officiellement plusieurs millions et officieusement probablement dix fois plus. Même chose pour l'ex-maire de Laval. On peut dresser un parallèle avec les joueurs de hockey professionnel qui reçoivent des amendes de 50 000 $ pour des tentatives de meurtre alors qu'ils gagnent plus de trois millions par année en moyenne. C'est ridicule et sans effet dissuasif, dans le milieu du hockey comme en politique, pour les autres éventuels truands qui seraient tentés de les imiter. L'importance des sanctions doit être proportionnelle à la gravité des crimes. Ces bandits ont ruiné les bases de notre démocratie, miné la crédibilité de toute la classe politique en plus d'avoir volé le peuple. Qu'y a t-il de plus grave?

Stéphane Lévesque

Francine Laplante

Femme d'affaires



RÉVOLTANT

Peut-on vraiment se réjouir de l'arrestation de l'ancien maire Vaillancourt et de ses présumés complices dans le crime? Comment être autrement que choqués de voir notre démocratie à ce point entachée par les actions d'un groupe, d'avoir des preuves concrètes des vols perpétrés durant deux décennies, d'avoir été victimes d'une corruption qui donne des haut-le-coeur, d'être passés pour les dindons de la farce, de nous être fait endormir par de belles paroles, des promesses, des investissements, des développements? Je pense que nous devrions plutôt marcher la tête basse aujourd'hui, et nous questionner sur notre volonté à vouloir changer les choses et d'exercer notre droit de parole. Où étions-nous toutes ces années? Qui d'entre nous s'est déjà rendu dans une réunion du conseil municipal lavallois pour s'informer et questionner les élus? Qui est allé voter à toutes les élections municipales des 20 dernières années qui ont reporté au pouvoir le maire et son équipe? Tous les ans, nous avons payé nos taxes municipales les yeux fermés, certes en rouspétant un peu sur les augmentations et sur la mauvaise gestion, mais sans jamais oser nous lever, sans monter aux barricades, ni exiger des comptes rendus. Espérons maintenant que nous tirerons une leçon de cette mégacorruption qui aura coûté des millions et des millions de dollars! Et souhaitons-nous d'agir pour changer les choses réellement. C'est toute une mentalité qu'il faut changer, mais aurons-nous le courage de nos convictions?

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



UN MESSAGE FORT

En matière de sensationnalisme, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) ne s'en laisse pas imposer par la commission Charbonneau. L'arrestation de personnalités publiques pour cause d'activités criminelles est toujours spectaculaire. Chaque fois, c'est le mythe du politicien et du fonctionnaire désintéressés et motivés exclusivement par l'intérêt public qui en prend pour son rhume. Si, pour l'instant, tout ce bon monde dispose de la présomption d'innocence, il faut avouer que l'UPAC vient d'envoyer un signal fort à ceux qui seraient tentés d'abuser de leur pouvoir pour piller le bien public. Jusqu'ici, plusieurs d'entre eux estimaient sans doute que le bénéfice anticipé de leur crime était largement supérieur à la probabilité de se faire prendre et d'en payer le prix. Ils devront refaire leur calcul... Le simple fait de voir des collègues parader les menottes aux poignets devant les caméras de télévision sera de nature à décourager les ambitions spoliatrices de plusieurs. Mais même si le message est fort, il faut rester vigilant. Ces scandales ne sont pas que des incidents passagers : l'État s'avèrera toujours un foyer propice aux abus.

Pierre Simard

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM

LA FIN D'UNE ÈRE? 

Comment bouder son plaisir devant l'arrestation aux aurores ce matin de deux présumés « méchants », vilipendés depuis des mois dans nos journaux et sur nos écrans? Voici donc conduits au poste de police Gilles Vaillancourt, un homme politique qui a dirigé les destinées de la deuxième plus grande ville du Québec pendant 23 ans, et Tony Accurso, un homme d'affaires, dont la vie aurait été une de ces histoires de self-made-men si prisées en Amérique du Nord, s'il n'avait pas été associé aussi étroitement à différents scandales de corruption et de collusion, au parfum de mafia. Deux arrestations retentissantes qui viennent couronner le travail de mois d'investigations journalistiques et d'enquêtes policières, dans un climat de suspicion généralisée envers précisément des politiciens et des hommes d'affaires aux moeurs douteuses. 

Mais au même moment où l'on se dit que nous allons pouvoir respirer, que les « méchants » sont sous les verrous et que même les grands de ce monde sont finalement pris, on se prend à penser que toute cette mise en scène peut en cacher une autre. Au moment où l'on peut constater que voilà une bonne leçon de démocratie, on se demande si ce n'est pas le procès d'une façon de faire la politique et les affaires qu'on est en train de dresser. Car cette vague d'arrestations dans les municipalités, de démissions à la suite de témoignages à la commission Charbonneau, et même du suicide d'un fonctionnaire, ne pourra vraiment servir de leçon démocratique que si ces pratiques, que l'on dit traditionnelles, et que Gilles Cloutier incarne à merveille, mais qui sont des pratiques éminemment mafieuses, sont également dénoncées et condamnées. Espérons que ces arrestations vont marquer la fin d'une ère, et de nous débarrasser pour de bon de la mafia qui gangrène les affaires et la vie publique de notre société.

Yolande Cohen

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



PREUVES SOLIDES 

Il est clair que l'UPAC détient des preuves solides ayant menées à  l'arrestation, entre autres, de Gilles Vaillancourt. Communément appelé le roi de Laval, M. Vaillancourt semble avoir contribué plus que de façon accessoire à un stratagème érigé en système. Selon les accusations portées à son endroit, l'ex maire de Laval était à la tête d'une organisation criminelle dédiée à la corruption et au vol pur et simple de l'argent des contribuables. L'enquête menant à ces 40 arrestations aura été longue et ardue, mais en fin de compte, les forces policières ont réussi ce coup de filet en s'assurant d'amasser des preuves solides. Certains accusés dont Gilles Vaillancourt pourront plaider non coupable ou tenteront de négocier avec le procureur de la couronne une peine plus clémente. La justice, qui est la même pour tous, semble-t-il, devrait dans ce cas bien précis ne pas fléchir et succomber aux arguments des avocats de la défense et imposer une sentence exemplaire afin de décourager de futurs «magouilleurs» de la même espèce. Il faut démontrer une fois pour toutes que notre système judiciaire n'est pas de deux poids deux mesures.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

C'ÉTAIT UNE QUESTION DE TEMPS

Compte tenu de l'information dont nous disposons (témoignages à la commission Charbonneau, les nombreuses perquisitions à Laval, le développement dans l'administration de la Ville de Laval), il fallait bien en arriver à des arrestations.  C'était donc une question de temps avant que de tels gestes soient posés par les autorités judiciaires. L'inverse aurait-été surprenant et nous aurait induit à poser des questions sur l'efficacité de l'UPAC. J'espère que les preuves qu'ils ont accumulées sont solides et qu'elles impliqueront la condamnation de personnes qui ont fraudé directement des municipalités du Québec et donc indirectement des citoyens du Québec. Que la justice suive son cours.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



INSTITUTIONS À REPENSER

L'arrestation pour « gangstérisme » du maire de Laval, la troisième plus grande ville du Québec ainsi que l'un des plus grands entrepreneurs en construction du Québec, confirment ce que tout le monde savait depuis longtemps: nos institutions publiques sont extrêmement faibles au niveau de la gouvernance et cela ouvre la porte au crime organisé, à la collusion et à l'organisation de la corruption en système bien rodé qui peut rester en place pendant plusieurs décennies. Parions que notre système de justice, déjà très encombré ne pourra mener à terme les procès qui s'écouleront sur plusieurs années, comme c'est le cas déjà avec les motards criminalisés et la mafia. Avec le rapport Léonard, Laval peut se consoler, car elle n'est pas un cas unique, puisque Montréal, la plus grande ville du Québec est aussi frappé par la collusion et la corruption érigées en système. La solution à moyen et long terme ? Il faut créer dès maintenant une commission (une autre !) sur l'avenir de nos institutions publiques afin de rétablir la confiance de la population. Pas besoin d'attendre le rapport de la commission Charbonneau dans un an et demi. Nous avons maintenant assez d'éléments pour comprendre le problème, mettons-nous à la tâche pour repenser nos institutions publiques.