Le gouvernement Marois envisage de reporter d'un an l'atteinte du déficit zéro. Qu'en pensez-vous?

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal

À LA NÔTRE !

La volte-face opportuniste est imminente. Soyons clairs, ce n'est pas le gouvernement qui abandonne son objectif de déficit zéro, c'est au contraire l'objectif zéro qui a abandonné le gouvernement, il y a de cela quelques mois. Le déficit courant est déjà incompressible compte tenu des faiblesses de l'activité économique. Tous les chiffres le confirment; la perspective de croissance de l'économie canadienne n'arrête pas de glisser, elle est aujourd'hui de 1,5% pour 2013 selon la Banque du Canada. La prévision la plus optimiste pour le Québec est d'une croissance de 1,2% selon la Banque Royale, et de 0,8% pour les autres. Le gouvernement connait ces chiffres; chaque point d'écart avec les prévisions budgétaires de l'automne se traduit par des centaines de millions de dollars en moins en revenus de taxes et impôts. C'est pour tenter de rattraper un équilibre budgétaire fuyant que nous avons droit à l'acharnement des annonces de coupures à répétition des dernières semaines. La situation est d'autant plus paradoxale quand on sait qu'une majorité de députés péquistes, par conviction social-démocrate, est favorable à l'application d'une politique de relance. La nouveauté du jour c'est que l'autre moitié est en train de céder devant les récriminations provenant de leurs comtés. Il reste à trouver l'emballage qui convient pour expliquer cette volte-face. C'est sans doute parce que l'alcool fait oublier que l'on demande à la SAQ de «fidéliser» les consommateurs et contribuables captifs que nous sommes.

Philippe Faucher

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke

OBSESSION OU RÉALISME?

Si le gouvernement Marois décidait de reporter l'atteinte du déficit zéro à l'an prochain, qui s'en étonnerait ou s'en offusquerait? En fait, dès le départ, plusieurs auraient espéré que le ministre des Finances, Nicolas Marceau, aille graduellement dans cette marche vers le rééquilibrage des comptes publics. Le gouvernement faisait déjà face à une impasse budgétaire de 1,1 milliard $ pour l'exercice 2012-2013. De plus, le contexte économique mondial difficile mine les perspectives de croissance vigoureuse sur laquelle tablait le gouvernement, si bien que les revenus attendus ne seront décidément pas au rendez-vous. Enfin, les réductions de dépenses imposées -à la hâte-, même si elles devaient se réaliser intégralement, demeureraient probablement insuffisantes pour permettre d'atteindre la cible fixée du déficit zéro. En ce sens, le report à l'an prochain, s'il devait se matérialiser, n'est pas problématique en soi. L'important, c'est le signal que le gouvernement donnera à la population, et tout  particulièrement aux analystes et investisseurs : est-ce qu'il aura la capacité de bien fixer ces cibles cette fois-ci et quels sont les moyens « réalistes » choisis qui permettront de les atteindre... C'est là que réside le réel défi du gouvernement, parce qu'avant tout, l'équilibre budgétaire est une exigence et non une obsession!

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Khalid Adnane

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



PREMIÈRE ÉTAPE ESSENTIELLE

Hypothéquer l'avenir pour « relancer l'économie », c'est ce que le Québec fait depuis 40 ans. Le résultat? Le Québec traîne la dette la plus lourde de toutes les provinces canadiennes, soit 255 milliards de dollars dans le secteur public, l'équivalent de 31 000 $ par Québécois. La cote de crédit de la province est comparable à celle d'une province des maritimes, le taux de chômage y est plus élevé que la moyenne canadienne année après année et les investissements privés sont beaucoup moins élevés. Repousser d'un an l'équilibre budgétaire ne fera qu'aggraver cette situation peu enviable et retarder inutilement le constat inévitable : s'endetter massivement pour relancer l'économie ne fonctionne pas. Malgré cet état de fait, ceux qui s'opposent aujourd'hui au retour rapide à l'équilibre budgétaire seront les mêmes qui vont s'y opposer l'an prochain et l'année suivante aussi. Le déficit zéro est une première étape essentielle à franchir rapidement : la vraie cible demeure de réduire notre endettement public. Si on ne parvient pas à atteindre le premier jalon de la bonne gestion, quelle confiance doit-on avoir pour l'objectif principal? Espérons seulement que Mme Marois ait pratiqué suffisamment son anglais afin de pouvoir expliquer sa décision devant les agences new-yorkaises.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec



UNE PROMESSE DÉJÀ TENUE

L'atteinte du déficit zéro à la fin de la présente année financière est déjà inscrite dans le budget en cours. Cet objectif sera atteint si les prévisions économiques prévues se réalisent et le gouvernement Marois n'envisage pas de modifier cet état de choses. Tout ce qui a été évoqué par Mme Marois, c'est de maintenir le budget actuel même si les conditions économiques venaient à se détériorer davantage, ce qui à mon sens est tout à fait souhaitable. D'ailleurs la Banque du Canada et le Fonds monétaire international préconisent la même chose, craignant qu'une austérité accrue nuise à la reprise économique. Je trouve particulièrement opportun que la première ministre ait fait connaître à l'avance cette position à la fois aux chefs d'entreprises et aux chefs syndicaux de façon à ce qu'il n'y ait pas de surprise à cet égard. La promesse du déficit zéro en 2014 a déjà été tenue dans la préparation du budget actuel et celui-ci devrait normalement être respecté jusqu'à la fin de l'année financière actuelle. Si la situation économique devait changer, les ajustements nécessaires seront faits lors du prochain budget.

Louis Bernard

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



NORMAL D'AJUSTER LE TIR

L'atteinte du déficit zéro a été prévue il y a déjà longtemps et les prévisions se basaient sur des facteurs économiques  susceptibles de fluctuer dans le temps. Comme un coup de départ au golf, plus on vise loin, plus la petite erreur devient grave au fur et à mesure qu'on s'éloigne du point d'origine. L'économie s'est dégonflée en 2008 et la reprise s'est fait attendre, le dollar canadien a atteint et même dépassé la parité avec le dollar US et les taux d'intérêt ont été maintenus incroyablement bas depuis déjà trop longtemps; ces trois facteurs ont fait en sorte que les prévisions du gouvernement ne se sont pas matérialisées. C'est donc normal d'avoir à ajuster le tir. Le but reste là, mais l'échéancier doit être aussi flexible que les facteurs qui influencent les calculs. De toute façon, dans l'ordre des priorités de l'État, surtout dans le contexte de la réforme de l'assurance-emploi et du cynisme envers la classe politique, l'atteinte du déficit zéro ne devrait pas figurer en tête de liste. Les infrastructures en piètre état, l'anémie économique des régions, l'incurie des administrations municipales et le besoin apparent d'une réforme du mode de financement électoral (voire du fonctionnement électoral dans son ensemble) devraient être sur le dessus de la pile du gouvernement, bien avant l'atteinte du déficit zéro.

Stéphane Lévesque

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



PLUS DE RÉALISME À MOYEN TERME

Si l'économie est plus faible que prévu, il n'y a aucun problème de prendre une année de plus pour atteindre l'équilibre budgétaire. C'est même souhaitable de le faire si cela évite de mauvaises compressions et aide à un retour plus rapide vers le plein emploi. Gardons également en mémoire que le déficit zéro planifié pour 2013-2014 impliquait, en fait, un surplus de 1 milliard de dollars selon les normes comptables habituelles (sans l'ajout d'une dépense négative pour tenir compte des versements au Fonds des générations). Par contre, il faut que le gouvernement refasse rapidement un plan budgétaire à moyen terme plus crédible, avec des hypothèses économiques plus conservatrices et avec des provisions pour éventualités plus importantes.  Ce nouveau plan doit tenir mieux compte des déficits actuariels des régimes de retraite des employés dont il est directement responsable, ainsi que des déficits actuariels des régimes de retraite des autres employés du secteur public québécois dont il est indirectement responsable (municipalités, universités...).  Le problème le plus important n'est pas d'avoir ou non une année de retard, mais de s'assurer que la situation financière du gouvernement à moyen et à long terme est très bonne et que le Québec ne vit pas au-dessus de ses moyens alors qu'il est frappé par un vieillissement accéléré de sa population, qui a pour effet de ralentir sa croissance économique et d'augmenter  les dépenses en santé.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



LOI DÉFICIENTE

Le report anticipé de l'atteinte de l'équilibre budgétaire par Mme Marois montre que la Loi sur l'équilibre budgétaire de 2001, adoptée à la suite des importants efforts des contribuables imposés par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, est fondamentalement déficiente (en plus d'avoir été édentée en 2009) et devrait être renforcée pour empêcher que les politiciens ne se défilent quand vient le temps de prendre des décisions difficiles.  D'abord, elle ne restreint pas les hausses des dépenses si les recettes suffisent à les couvrir.  Deuxièmement, le gouvernement peut tout simplement hausser les taxes et impôts pour couvrir son manque de volonté de contrôler ses dépenses.  Troisièmement, la loi ne prévoit pas quoi faire avec des revenus spéciaux non budgétés (comme le cadeau de 2,2 milliards $ de M. Harper sur l'harmonisation de la TPS/TVQ).  Un quatrième problème est que loi couvre le déficit comptable et non l'augmentation de la dette, qui croît beaucoup plus vite que le déficit. Les contribuables ont droit à une vraie loi les protégeant contre les politiciens clientélistes qui ne sont pas capables de s'empêcher de piger dans le plat de bonbons pour acheter des votes et faire plaisir à leur électorat aux frais de la classe moyenne.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



VÉHICULER NOS PRÉOCCUPATIONS

Pour certains, c'est la nuit qui porte conseil. Pour notre première ministre, il semble que ce soit la rencontre avec les chefs syndicaux qui a eu cet effet. Avant cette rencontre, Mme Marois disait vouloir atteindre l'équilibre budgétaire à tout prix. À moins disait-elle de circonstances hors de son contrôle. Or qu'on le veuille ou non, il semble que la traditionnelle rencontre avec les chefs des grandes centrales syndicales reléguée aux oubliettes par Jean Charest ait inspiré Mme Marois afin de possiblement reporter d'un an le déficit zéro qu'elle scandait sur toutes les tribunes. Devons-nous être inquiets du fait que la première ministre du Québec soit, semble-t-il, ainsi influencée par les dirigeants syndicaux? Pas cette fois-ci selon moi, car la grande majorité d'entre nous sommes contre les compressions à même nos programmes sociaux. Contrairement à vous et moi les syndicats semblent avoir une oreille attentive au bureau de la première ministre du Québec. Ces organismes représentant ensemble plus de 1 million de travailleurs se sont mandatés en quelque sorte afin de véhiculer nos préoccupations face aux décisions prises par le gouvernement qui touchent la majorité d'entre nous. Loin de moi l'idée de prétendre que les syndicats ont toujours raison, mais force est d'admettre que cette fois-ci, ils sont intervenus là où, nous les citoyens, ne le pouvons pas.