Comment réagissez-vous à la décision du gouvernement Marois de nommer l'ancien chef bloquiste Gilles Duceppe à la tête de la Commission d'enquête sur l'assurance-emploi, dont les autres membres seront également des proches du Parti québécois?

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial



VINGT ANS PLUS TARD...

En 1993, le Bloc québécois se fait élire à Ottawa et forme l'opposition officielle. Lucien Bouchard et sa troupe promettent de régler le problème de l'assurance-chômage en un rien de temps. Bataille rangée : les Québécois les croient et votent massivement pour les députés bloquistes. Le Bloc devait régler le problème, en « se donnant le vrai pouvoir » tout en restant dans l'opposition. Il ne l'a pas fait : on en parle encore aujourd'hui. Ironie du sort, 20 ans plus tard, c'est l'ancien chef du Bloc québécois, grassement pensionné d'un gouvernement et d'un régime politique qu'il voulait quitter à l'époque, qui prend la tête d'un mouvement formé par un gouvernement minoritaire péquiste, appuyé par d'anciens ministres péquistes, afin de régler un problème que les anciens députés du Bloc de 1993 avaient promis de régler et qui ne l'ont pas fait. Combien coûtera cette petite mise en scène? Quel en sera le résultat? Personne ne peut le prédire. À quoi peut bien servir d'élire des députés ministériels à Québec si ces derniers sont incapables de régler les contentieux entre les deux paliers de gouvernement et s'ils doivent recourir à d'anciens députés qui, à l'époque, malgré leur verve et leurs slogans aguicheurs, n'ont pas réussi à le faire? La gouvernance souverainiste? Des mots creux, vides. Tout comme « on se donne le vrai pouvoir » tout en restant dans l'opposition à Ottawa. Jean Garon a raison de dire que les Québécois sont des peureux. Et ils alimentent leurs peurs en mettant en place des gens qui perpétuent cette peur atavique.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UN DOSSIER POLITIQUE

Je me réjouis de la nomination de Gilles Duceppe à la tête de la Commission d'enquête sur l'assurance-emploi parce qu'il s'agit avant tout d'un dossier politique, qui doit être abordé sous son angle politique par l'un des plus imminents politiciens de la scène fédérale au cours des 20 dernières années. Contrairement à ceux qui croient que Gilles Duceppe cherchera à tout prix la confrontation avec  le gouvernement fédéral, je crois qu'il est plutôt un leader pragmatique qui trouvera des solutions concrètes aux problèmes vécus par les chômeurs saisonniers. J'aimerais d'ailleurs que son mandat inclue l'analyse de l'aide sociale accordée aux citoyens aptes au travail. Pourquoi? Parce que l'incitation à la formation, au travail et à l'emploi doit être débureaucratisée afin de connecter les citoyens aptes à travailler aux réalités des besoins des employeurs. En somme, il faut ni plus ni moins défaire une culture sociale et économique inspirée de droits acquis où on a le droit d'être rémunéré à ne rien faire d'utile pour-soi ou pour la société vers une culture où le travail et l'insertion économique et sociale qui en découle sont valorisés voir prioriser. Gilles Duceppe, ayant toute sa vie valorisé des principes moraux de justice et d'intégration sociale, saura relever ce défi de société.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



UNE QUESTION DE CRÉDIBILITÉ

Le dossier de l'assurance-emploi et de la formation de la main-d'oeuvre a une composante économique (efficacité et efficience du programme et de la formation) et une composante politique (qui paie la facture, qui décide des façons de faire et qui fait le travail). Il aurait été souhaitable, notamment en raison de la grande importance de la composante politique, de nommer des commissaires pour seconder le travail de M. Duceppe qui auraient été perçus comme étant relativement indépendants du Parti québécois, de façon à faire sorte que les travaux de cette commission aient une plus grande crédibilité politique, tant à l'Assemblée nationale et au Parlement canadien, qu'au Québec et dans le reste du Canada. En se privant de ce gain de crédibilité, le gouvernement Marois nous laisse malheureusement croire que cette commission produirait un rapport qui serait beaucoup moins en accord avec ce que le Parti québécois entrevoie et propose.  Il ne faudra pas se surprendre que la stratégie du gouvernement Harper, en réponse aux études produites par cette commission, sera de dire que ces rapports sont hautement partisans.  Ceci n'aidera pas le gouvernement du Québec à obtenir le support des autres gouvernements provinciaux et à renforcer sa position pour négocier avec le gouvernement fédéral. Dommage.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



RAMER DANS LE MÊME SENS

Il faut être drôlement naïf pour s'insurger contre les nominations partisanes telles que celle de Gilles Duceppe. Le gouvernement a déjà fait connaître son opinion et ses intentions en ce qui concerne la réforme de l'assurance-emploi. On sait que notre première ministre est farouchement opposée aux modifications du programme fédéral, que plusieurs régions du Québec seront durement touchées et que le PQ a tout à gagner en montant aux barricades contre la réforme Harper. Ceci étant dit, bien qu'on mette sur pied une commission d'enquête sur la question, il est impensable que des commissaires y soient nommés sans que le gouvernement sache, au préalable, qu'ils rameront dans le même sens que les décideurs qui les ont nommés. Les commissaires auront le mandat de mettre en lumière tous les côtés négatifs voire nuisibles (pour le Québec) des changements apportés, le tout dans le but d'exiger soit le retrait pur et simple du Québec du programme d'assurance-emploi, soit des assouplissements accompagnés de transferts fédéraux. Dans une équipe sportive, dans une armée, dans une entreprise privée, on fait la même chose. Quand un nouveau patron arrive, il s'assure que ses officiers tireront tous dans le même sens : cela va de soi. Comment peut-on penser gérer avec une certaine direction et, surtout, avec une vision à long terme si les subalternes sont libres de tirer la couverture chacun de leur côté? C'est le prix à payer pour qu'un gouvernement puisse avoir un plan, une vision.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



LE MESSAGER ET LE MESSAGE

Quel est le but de cette commission? Provoquer la chicane avec Ottawa ou examiner l'état actuel de l'assurance emploi et d'en proposer des modifications ou une réforme? On aurait pu souhaiter une nomination plus neutre, moins manifestement orientée vers « la gouvernance souverainiste » de Mme Marois, plus crédible aux yeux de l'ensemble de la population. Bien entendu, Gilles Duceppe connaît bien les rouages à Ottawa et sa compétence est indéniable. Mais les conclusions de la Commission seront toujours teintées de suspicion, sinon de certitude, que le but réel en est de convaincre les « nationalistes mous » qu'Ottawa ne se soucie pas des intérêts du Québec et de les inciter à pencher vers l'indépendance. Toutefois, les constats quant aux modifications à l'assurance-emploi apportées par le gouvernement fédéral seraient similaires sous la direction de n'importe qui. Ces changements nuiront aux régions du Québec où plusieurs industries dépendent du travail saisonnier. Même les fédéralistes le reconnaissent. Cependant, une telle conclusion, et surtout les remèdes proposés, sortant de la bouche d'un indépendantiste notoire, se prêteront difficilement à leur acceptation par les non-souverainistes et à la discussion avec Ottawa. Par ailleurs, le gouvernement Harper est-il ouvert au dialogue, peu importe qui présentera le message?

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP



LES BOULETTES


Comme première femme aux commandes du Québec, Mme Marois était censée faire de la politique différemment. On en reparlera une prochaine fois. Pour l'instant, c'est la routine : on récompense les fidèles, on occupe Gilles Duceppe pour prévenir le putsch et on confie le crayon à des amis. En politique, vaut toujours mieux écrire les recommandations du rapport avant de commencer l'enquête. En réalité, ce qui m'étonnera toujours chez les politiciens, c'est leur conviction profonde que les électeurs sont des imbéciles. Comme si la nomination de l'ancien chef bloquiste à la tête de la Commission d'enquête sur l'assurance-emploi passerait comme une lettre à la poste; comme si personne ne voyait que le gouvernement péquiste fait passer ses intérêts partisans devant ceux des citoyens. Même si un politicien reste un politicien, je m'attendais quand même à un gouvernement Marois plus subtil; à autre chose que des boulettes à chaque semaine. Dans le fond, ce n'est pas que je déteste les boulettes, c'est seulement qu'à la longue, je trouve ça indigeste.

Pierre Simard

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke



COMPÉTENCES ÉTABLIES !

La décision de Pauline Marois de nommer l'ancien chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, à la tête d'une future « Commission nationale sur l'emploi et la main-d'oeuvre » est pleinement justifiée. Que les autres partis déchirent leur chemise sur cette question et traitent Mme Marois et le PQ de copinage (et le reste) relève bien plus du spectacle politique. Oh que la mémoire est trop courte parfois! Par ailleurs, sur le strict plan de cette nomination, personne ne peut remettre en doute les compétences de M. Duceppe en cette matière puisqu'il connaît très bien ce programme fédéral ainsi que les différentes mutations qu'il a subies dans les dernières années. Par contre, le choix de l'équipe qui l'entourera - des personnes avec la même affinité idéologique et presque les mêmes positions sur ce programme- peut s'avérer une lacune. En effet, dans ce genre de processus de consultation, la pluralité et la diversité des avis constituent une richesse considérable pour le commissaire lorsque viendra le temps de faire la synthèse de toute cette démarche. Mais, en attendant, donnons une chance à M. Duceppe, il a le caractère nécessaire pour éviter le piège de la « pensée unique »!

Photo

Khalid Adnane

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



GOUVERNER AUTREMENT

Lorsque le PQ formait l'opposition officielle, chacune des nominations faites par le PLQ était scrutée à la loupe et dénoncée vigoureusement s'il y avait apparence de partisanerie.  Maintenant qu'il est au pouvoir, le PQ, bien que minoritaire, nomme qui bon lui semble à des postes clé.  Pas question pour moi de m'interroger sur les compétences des Boisclair et Duceppe de ce monde. Ils ont évidemment les qualifications nécessaires afin d'occuper un poste de « haut gradé' » au sein de l'appareil gouvernemental québécois. Quant à moi, Mme Marois ,féroce critique du défunt gouvernement Charest, devrait prêcher par l'exemple en laissant de côté les bons amis du PQ pour ces postes de prestige. Le PLQ, quant à lui, devrait se taire car sous son règne, les nominations partisanes sont devenues légion. Quant à nous, contribuables, nous aurons beau dénoncer ces agissements sur toutes les tribunes, nous n'y pouvons rien car l'élite politique est complètement déconnectée de la réalité. Le PQ n'a visiblement pas la même définition que moi de son slogan électoral « Gouverner autrement ».

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette et ex-député bloquiste de Repentigny



L'HOMME DE LA SITUATION

S'il y a quelqu'un au Québec qui peut être à la tête de la future Commission nationale sur l'emploi et la main d'oeuvre, c'est bien Gilles Duceppe. Son expérience dans le système fédéral, comme chef du Bloc Québécois, pendant plus de 20 ans, sa grande sensibilité, notamment envers les travailleurs, son sens du devoir et des responsabilités qui en découlent, son honnêteté, son souci de la justice et de la dignité des personnes, font de lui le candidat le plus compétent pour défendre les intérêts du Québec à Ottawa. Les hauts cris d'indignation du chef de la CAQ, François Legault, à l'Assemblée Nationale sont tout simplement disgracieux. Parler de copinage et de nomination partisane, dans ce cas précis, est démagogique et malhonnête. Lorsqu'il s'agit d'un dossier aussi important que celui de l'emploi et de la main-d'oeuvre, il faut que le responsable à ce poste soit d'une intégrité exemplaire, et c'est le cas de M.  Duceppe. De plus, avec le gouvernement majoritaire de Stephen Harper, il faut quelqu'un de solide pour confronter l'idéologie étroite et conservatrice de ce premier ministre qui se croit investi d'un pouvoir divin. Quand François Legault dit : « On n'a pas besoin de ça, Gilles Duceppe, pour faire de la chicane! », moi je dis à François Legault: au contraire, on n'a besoin de lui pour défendre le Québec qui, malheureusement, fait encore partie du régime fédéral, à cause de vire-capot et d'opportunistes comme lui. Personnellement, je préfère la clique à Marois que celles de Fournier ou de Legault.

François Bonnardel

Député caquiste de Granby



CONCLUSIONS CONNUES D'AVANCE

La décision du gouvernement péquiste de nommer Gilles Duceppe à la tête d'une commission sur l'emploi et la main-d'oeuvre (et celle appréhendée d'autres amis du régime, selon La Presse d'aujourd'hui) est une décision très mal avisée. Le gouvernement Marois, en mettant à la tête de sa commission une figure de proue du mouvement souverainiste, entache sérieusement la crédibilité du Québec dans ses rapports avec les autres provinces mécontentes des décisions fédérales. Les conclusions de M. Duceppe, qui a passé sa carrière sur les banquettes de l'opposition à Ottawa au sein d'une formation souverainiste, sont connues d'avance. La Coalition avenir Québec a dénoncé l'approche du gouvernement fédéral  qui constitue une intrusion dans des sphères de compétence provinciale et qui a procédé à ces changements sans avertissement et sans consultation. Mais au lieu de jeter de l'huile sur le feu avec des nominations comme celles de Gilles Duceppe, le gouvernement du PQ aurait été mieux avisé d'engager un réel dialogue avec les autres provinces afin de convaincre Ottawa de revenir sur ses décisions. Faut croire que la gouvernance souverainiste, au PQ, a pris le pas sur la gouvernance pour le mieux-être de tous les Québécois.

photo archives La Voix de l'Est

Le député François Bonnardel persiste et signe: Montréal est en mauvaise posture.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital



LES COPAINS SOUVERAINISTES

Pouvez-vous imaginer le tollé si le gouvernement fédéral mettait en place une commission d'enquête pour examiner le programme de garderies à 7 $ du Québec? Mais le PQ ne s'enfargera pas devant le partage des compétences constitutionnelles pour démontrer que le fédéral n'agit que pour nuire au Québec. Pourquoi pas alors une commission payée par les contribuables, dont 70 % ne sont pas indépendantistes? Il faut par contre s'assurer à l'avance des conclusions.  Quelle horreur en effet si la commission concluait que les modifications proposées ont pour but de mieux définir ce qui constitue un emploi convenable ainsi que ce qu'est une recherche d'emploi adéquate pour s'assurer que les prestataires cherchent activement un emploi et acceptent tout emploi convenable - bref, mieux gérer un programme supporté par nos taxes. Nommons donc nos copains souverainistes et, pour avoir l'air « équilibré », ajoutons un ex-fonctionnaire fédéral... qui n'a rien d'impartial, ayant déjà demandé au gouvernement du Québec de mettre en place son propre régime d'assurance-chômage! Pendant ce temps, l'économie du Québec stagne, la dette augmente, les taxes aussi, nos infrastructures croulent, on piaffe aux urgences et les étudiants ne savent pas écrire leur français.  Rome brûle pendant que Néron joue du violon : c'est ça, la gouvernance souverainiste.

Photo d'archives

Adrien Pouliot