Le CAA-Québec a constaté que les prix de l'essence ont souvent grimpé à l'approche des congés ou des week-ends en 2012. Croyez-vous que les détaillants gonflent indûment les prix à la pompe?

Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal et spécialiste en politique énergétique



GONFLÉS, MAIS PAS INDÛMENT

Avez-vous remarqué que lorsqu'on entre dans un aréna ou une salle de spectacle, le prix des consommations augmente de manière draconienne? Pourtant, personne ne se plaint, et il y a toujours une file pour acheter un verre de bière à 7 $. Oui les prix sont gonflés, mais les consommateurs sont prêts à payer. Pour l'essence, la situation est similaire. La majorité des consommateurs n'optent pas pour les véhicules les plus économiques et beaucoup font le choix d'habiter assez loin de leur travail, pour des raisons légitimes de confort au foyer, mais cela reste un choix tout de même. De plus, les électeurs choisissent élection après élection des gouvernements qui n'amorcent pas un virage dans les systèmes de transport, et ne développent pas d'alternatives à l'auto-solo. Enfin, ça ne devrait plus être une surprise pour personne que le prix de produits pétroliers suit une tendance à la hausse et que les entreprises de ce secteur sont à but lucratif... donc cherchent les opportunités de faire du profit. Elles en font. C'est à nous de choisir de se sortir de cette situation en révisant an profondeur notre approche à la mobilité.

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse 



POMPER LA PATIENCE

Il est certain que les détaillants d'essence pompent notre patience en augmentant les prix de leurs produits à la veille des longs week-ends et des jours fériés. Pris en otages, les automobilistes qui se déplacent plus souvent et sur de plus longs trajets doivent alors débourser davantage pour se rendre à leur destination. Les augmentations qui sont souvent suivies par des baisses des prix aussitôt les week-ends ou les congés terminés ne sont pas justifiables par des augmentations subites du prix du brut. Ce n'est que l'appétit insatiable des commerçants qui explique ces quasi-extorsions. Bien sûr, les augmentations ne sont pas toujours majeures, mais cela ne les justifie pas pour autant. Les variations du prix de l'essence à la pompe illustrent parfaitement le libre marché non contrôlé de notre système économique. Rares sont les commerçants qui se font taper sur les doigts, sauf lorsqu'il y a évidence d'une collusion à la suite de plaintes des clients. Pour le reste, c'est la confiance envers les institutions qui devraient protéger les automobilistes comme tous les citoyens qui est mise à rude épreuve chaque fois qu'on constate ces augmentations des prix à la pompe injustifiées et facilement explicables par l'appât du gain des commerçants.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



MISÈRE PÉTROLIÈRE

Sans doute, certains détaillants profitent-ils de la diminution de la concurrence et de notre dépendance au pétrole pour augmenter le prix à la pompe, peut-être à certains moments stratégiques. Mais, selon moi, les vrais coupables des prix élevés de l'essence se trouvent ailleurs. Les profits des détaillants se sont accrus de 2% entre 2011 et 2012, ce qui correspond en gros à l'augmentation des prix à la consommation. Par contre, la marge de raffinage a augmenté de 32 % pendant la même période.  Les compagnies pétrolières font des profits indécents. Par exemple, Exxon Mobil (Esso) a vendu en 2011 pour 500 milliards d'essence, générant des profits nets de 10 % : 50 milliards. Mais qui peut raisonner des compagnies, dont le seul souci s'avère le profit, et les spéculateurs sur le prix du brut? Vouloir nationaliser le pétrole est probablement illusoire dans le libre marché nord-américain. La solution à notre misère pétrolière : devenir de plus en plus indépendant de l'or noir. Une décroissance de cette dépendance constitue une urgence. Électrifier les transports publics, favoriser l'achat des voitures hybrides électriques, encourager le transport des marchandises par train électrique devrait devenir une des priorités nationales.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



FAUSSE PERCEPTION

La perception voulant que les détaillants gonflent artificiellement les prix à la veille des longs congés semble ne pas être fondée. C'est du moins la conclusion d'une étude menée par un économiste de l'université York qui a analysé les prix de l'essence dans 11 villes canadiennes sur une période de quatre ans. Les hausses de prix font souvent les manchettes, mais jamais les baisses. Par ailleurs, la marge bénéficiaire des détaillants est demeurée constante et fort modeste ces dernières années en dépit des hausses répétées du prix de détail. Alors que le prix moyen à la pompe a augmenté de 36,7 cents de 2009 à 2012, la marge brute des détaillants est restée essentiellement la même, autour de 5,5 cents le litre, selon les données officielles de la Régie de l'énergie. Il faut aussi noter que plus de 85% du prix à la pompe est composé de taxes et du prix du pétrole brut, deux variables sur lesquelles  les détaillants n'ont aucun contrôle. La hausse des prix de l'essence suscite parmi les automobilistes des réactions émotives bien légitimes. Mais ils devraient diriger principalement leur grogne vers les gouvernements, lesquels prélèvent près de 50 cents de taxes sur chaque litre d'essence vendu au Québec.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



LUTTE POUR LA RENTE PÉTROLIÈRE



De prime à bord, on aurait pu penser, il y a quelques décennies, que ce serait les grands producteurs de pétrole qui allaient s'accaparer de la rente sur cette ressource rare et en forte demande.  Mais les gouvernements des pays dont on extrait de leur sous-sol le pétrole ont pris une part importante de cette rente par le biais de redevances.  Pour ce faire, ils ont même formé ouvertement des cartels, comme l'OPEP.  Plusieurs grandes entreprises productrices de pétrole se sont alors tournés vers un contrôle conjoint des capacités de raffinage pour se réapproprier une partie de cette rente sur le pétrole.  Moins de capacité et moins de concurrence ont impliqué une plus grande capture de cette rente et une plus grande stabilité de celle-ci.  Ce qu'on voit depuis quelques années, c'est une capture plus systématique de cette rente par le biais du réseau de distribution, où il y a de moins en moins de distributeurs indépendants.  Moins de concurrence permet une plus grande efficacité de l'oligopole à s'accaparer d'une partie de cette rente.  Selon moi, beaucoup de fluctuations dans les marges de profits du réseau de distribution, que ce soit entre les régions ou pendant diverses périodes de l'année, n'ont pour but que de masquer plus ou moins consciemment cette marche vers une plus grande capture de la rente.  On parle de guerres des prix; je parlerais plutôt de jeux de cache-cache qui ont peu d'effet sur la tendance à moyen terme des prix et des marges bénéficiaires.

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital 



DES HAUSSES INJUSTIFIÉES?

Pourquoi le CAA-Québec conclut-il que huit vendredis sur 52, la hausse serait « injustifiée »?  Elle se fonde sur le coût et les marges au détail prélevées.  Or, on enseigne dans les cours d'économie 101 que le prix de vente d'une denrée n'a rien à voir avec son coût, mais dépend plutôt de l'offre et de la demande.  Une des meilleures façons de s'assurer du plus bas prix possible pour une denrée ou un service est d'en encourager la production en facilitant la concurrence entre les fournisseurs et l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché.  Au contraire, mettez des barrières à la concurrence et les prix pourraient être « artificiellement » gonflés.  Ces barrières peuvent être multiples : normes environnementales, moratoires, permis, réglementation contraignante, etc., que l'on retrouve abondamment dans l'industrie pétrolière.  Un autre facteur important sur le prix,  c'est le prix minimum imposé pour éviter les guerres de prix (!) et les taxes: taxe d'accise fédérale sur l'essence (10,0 cents/litre), taxe provinciale sur les carburants (18,2 cents/litre), taxe sur l'essence (Grand Montréal, 3 cents/litre), et enfin la TPS et la TVQ qui s'appliquent par-dessus toutes les autres taxes.  Rappelons que, le 1er avril 2013, la taxe provinciale sur les carburants augmentera de 1 cent/litre pour la quatrième année consécutive... Une augmentation « justifiée »?

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Bottari 

Préposé aux bénéficiaires



PAS DE CONCURRENCE

Je suis à la fois fasciné et médusé lorsque le prix du litre d'essence augmente de façon quasi simultanée dans chacun des points de vente du Québec. J'aimerais bien que l'association qui représente les stations-service nous explique comment elle s'y prend afin que chaque exploitant fixe le prix du litre au même niveau que son concurrent. Bien que la preuve ait été faite que certains commerçants font de la colllusion, nul n'a été en mesure de prouver que cela se fait à l'échelle provinciale. Rares son les commerçants qui ne font pas dans la concurrence comme le fait l'industrie de pétrole. La définition même de la libre entreprise prétend que la concurrence avec les autres commerces vendant le même type de marchandise fait en sorte que l'un baissera son prix afin d'attirer plus de consommateurs que son plus proche rival. Cela ne s'applique pourtant pas lorsqu'il s'agit du litre d'essence. Pourquoi est-ce ainsi? Notre société étant dépendante de cet or noir, les pétrolières et les gouvernements qui engrangent des milliards en profits et en taxes ne se gênent pas pour nous soutirer un maximum de nos dollars si difficilement gagnés.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



POURQUOI PAS UN CONTRÔLE DES PRIX?

Le débat sur le prix de l'essence revient régulièrement. Y a-t-il collusion entre les détaillants? Oui, puisqu'il y a déjà eu collusion entre les détaillants de la région de l'Estrie. Ceux-ci ont été condamnés par le tribunal de la concurrence du Canada et mis à l'amende. Mais à long terme, la solution se trouve ailleurs. Je crois à un contrôle des prix par le gouvernement du Québec. La venue d'un oléoduc provenant de l'Alberta permettra-t-elle de mieux contrôler les prix? De les baisser, diront les partisans de l'importation du pétrole albertain, plutôt que de continuer à importer du pétrole provenant de l'étranger (Algérie, Vénézuéla, etc.). La Régie de l'énergie du Québec a-t-elle le pouvoir décréter un contrôle des prix? Oui, dans un rapport qui date de juillet 2011, la Régie suggère, à l'instar des provinces de l'Atlantique de contrôler la fluctuation des prix quotidiens en fixant un prix plancher et un prix maximum. Toutefois, cette méthode ne permet pas de diminuer substantiellement les prix auprès des consommateurs. À Montréal, les prix seront toujours plus élevés parce que les taxes finançant le transport en commun y sont plus élevées de 4 à 5% comparativement à Québec.

Photo

Jean Baillargeon

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



STRATAGÈME

Bien que les porte-parole des pétrolières soutiennent le contraire, je suis convaincu qu'un certain stratagème de fixation des prix fait partie du plan de mise en marché de l'essence. Les fluctuations sont trop importantes et également trop prévisibles pour n'être que liées au hasard. Je trouve, en outre, que les prétextes utilisés pour justifier les hausses de prix sont souvent dénués de toute subtilité. Comment peut-on avancer que le prix à la pompe augmente à cause de l'instabilité au Moyen-Orient ? La région est instable depuis des décennies ! Quand on invoque la baisse des stocks pour augmenter le prix à la pompe, c'est tout aussi bidon (beau jeu de mots, quand on parle d'essence!). L'OPEP décrète elle-même l'ouverture ou la fermeture des vannes pour provoquer la baisse des stocks, générant donc par le fait même une hausse artificielle des prix qui n'a rien à voir avec la disponibilité réelle de la ressource. Par ailleurs, on a vu dans le passé des événements ponctuels faire grimper les prix à la pompe le jour même alors que le pétrole prend des semaines pour passer du puits à la pompe. C'est donc dire que le cout de production n'a pas de lien direct avec le prix de vente. Dans de telles conditions, on peut comprendre que les pétrolières en profitent pour prendre les consommateurs en otage lors de périodes de hausse de la demande.