Devrait-on autoriser le forage d'un puits de pétrole par l'entreprise Pétrolia en Gaspésie? Le Québec a-t-il avantage à encourager l'exploitation de la filière pétrolière?

Pierre-Olivier Pineau 

Professeur agrégé à HEC Montréal et spécialiste en politiques énergétiques



PLUS DE COHÉRENCE

Il ne faut certainement pas encourager l'exploitation de la filière pétrolière : toutes formes de subvention pour la production d'énergie devraient être abolies, surtout pour les énergies non renouvelables. Par contre, il est déplorable que nous tolérions dans notre société deux types d'incohérences : (1) accorder des permis d'exploration et des permis environnementaux provinciaux, pour ensuite laisser une municipalité (qui, dans le cas de Pétrolia, a largement été consultée et préparée) mettre des entraves ponctuelles et imprévisibles; (2) afficher une grande sensibilité quant à la production d'hydrocarbures, mais ne pas adopter de mesures ambitieuses pour réduire la consommation d'hydrocarbures. S'il est urgent de réduire la consommation de pétrole, Pétrolia agit de manière légitime et son activité n'aura aucune incidence notable sur notre usage du pétrole. Il est donc vain de s'en prendre à elle, alors que le problème se situe en amont : dans notre cadre réglementaire et nos habitudes de consommation énergétique.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec



C'EST QUÉBEC QUI DOIT FIXER LES RÈGLES

Il y a plusieurs décennies, le Québec a légiféré pour réserver au domaine public la propriété des ressources minières et pétrolières de son sol et de son sous-sol. Ce sont des richesses collectives qui appartiennent non pas au propriétaire du lot de surface, mais à tous les Québécois, et il nous revient de déterminer collectivement comment elles seront exploitées au bénéfice de tous. La présence de richesses minières a déjà fait la fortune de plusieurs régions de Québec, notamment en Abitibi et sur la Côte-Nord. On a maintenant des indices sérieux qu'il y aurait de grandes quantités de pétrole en Gaspésie et sur l'Île d'Anticosti. C'est une excellente nouvelle pour l'avenir du Québec. Quel pays ne se réjouirait pas de la présence de pétrole chez lui? Nous pourrons ainsi remplacer par du pétrole québécois celui que nous importons déjà de l'étranger, épargnant ainsi les coûts de transports, la pollution qui s'y rattache et les répercussions sur notre balance des paiements. Il est donc dans l'intérêt public de permettre l'exploitation de cette ressource. Il n'appartient pas à une municipalité particulière, représentant les propriétaires locaux, d'établir les règles de cette exploitation: au besoin, les propriétaires lésés pourront être expropriés ou dédommagés. Seul le gouvernement du Québec est en mesure de fixer les règles d'une exploitation durable de cette ressource, dans le respect de l'environnement et en fonction de l'intérêt général de tous les Québécois.

Louis Bernard

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital 



PAS D'ARGENT PUBLIC

L'État devrait enlever les barrières à l'entrée des entreprises qui veulent investir au Québec dans quelque domaine que ce soit et encourager l'investissement en général, notamment en réduisant l'impôt payé par ceux qui risquent leurs épargnes pour créer de la richesse.  Il en va de même pour les entreprises qui veulent exploiter la filière pétrolière au Québec.  Par contre, il ne faut pas subventionner cette activité très risquée, ni demander à Investissement Québec d'y investir l'argent durement gagné par les contribuables, et il ne faut surtout pas que l'État force la Caisse de dépôt à investir nos rentes futures dans ces projets spéculatifs.  Rappelons que le prix des actions de telles entreprises, comme les québécoises Junex, Gastem et Corridor Ressources, varient grandement.  Elles ont par exemple chuté de près de 90% depuis 3 ans! Les revenus de l'État sont déjà très exposés aux fluctuations du prix des matières premières et du pétrole puisqu'il retire des impôts, taxes et redevances substantiels de ces entreprises, de leurs employés et de leurs fournisseurs. Une exposition accrue à ces risques par la voie d'investissements directs est fort imprudente et pourrait exacerber l'impact d'un effondrement inévitable des cours des matières premières et du pétrole sur les finances du Québec.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Philippe Faucher 

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal



LE PÉTROLE EN OTAGE

La Ville de Gaspé a redéfini à l'échelle du territoire le frileux «pas dans ma cour». Il est désormais interdit de forer à  moins de 2 km d'un puits de surface et à moins de 10 km d'une rivière. Encore une fois, des élus invoquent le recours opportuniste à la précaution pour se constituer à peu de frais une notoriété électoralement rentable. On devient ministre pour moins que ça !  Par ailleurs, la population est inquiète. Ce n'est pas en faisant intervenir les tribunaux que l'on rétablira la confiance. Un nouveau cadre réglementaire est indispensable. Comme je l'ai déjà mentionné dans La Presse, il faut s'assurer que les régions et municipalités où se réalise l'extraction en retirent des bénéfices tangibles. Les entreprises doivent respecter les milieux naturels et les contrats contenir des clauses portant sur la remise en état des lieux suite à l'exploitation. L'adhésion populaire sera plus forte si une part des revenus est consacrée au soutien aux énergies propres. Finalement l'industrie des hydrocarbures devra s'engager à compenser, sur l'ensemble du cycle de production, pour les émissions de GES. Le respect de ces quatre conditions participe à la dimension durable de l'accommodement visant à accroître notre autonomie énergétique.

Philippe Faucher

Paul Daniel Muller

Économiste



MENACE À NOTRE QUÉBEC ASSISTÉ!

Il faut absolument bloquer ce projet ! S'il se réalisait, le Québec deviendrait un producteur de l'infâme substance. Nous diminuerions le déficit de notre balance commerciale interprovinciale, qui résulte notamment de l'importation d'hydrocarbures de l'Ouest canadien. Pis, nous perdrions notre supériorité morale qui nous autorise à faire la leçon à l'Alberta, avec ses sables bitumineux, tout en bénéficiant de la péréquation tirée en grande partie de sa richesse pétrolière. Si nous produisions du pétrole au Québec, cela réduirait le sentiment d'urgence qui motive l'électrification des transports. Cette industrie naissance, mais déjà lourdement subventionnée à grands coups de « volonté politique », subirait un revers. Avec un investissement par une pétrolière québécoise, détenue en partie par Investissement Québec, nous ne pourrions plus si facilement associer l'industrie pétrolière aux multinationales et la détester en bloc. La pauvre Gaspésie deviendrait un peu plus autonome, un peu moins dépendante des aides de toutes sortes financées par les contribuables des autres régions du Québec et du Canada. Péril à l'horizon pour tous les consultants, fonctionnaires, politiciens et organismes de développement économique à trois lettres qui s'échinent, à grand coup de subventions (des « contributions non remboursables » dans la novlangue), à faire venir en Gaspésie des entreprises qui s'établiraient naturellement ailleurs. Non, vraiment, ce projet doit à être bloqué : il menace trop notre confort moral et la routine du Québec assisté.

Paul-Daniel Muller

Gaëtan Lafrance 

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



L'ETHICAL QUÉBEC

En référence au livre Ethical Oil de l'Albertain Ezra Levant, le Québec serait-il éthique en n'exploitant pas son pétrole ? Compte tenu de mes écrits sur l'après-pétrole, je serais porté à dire que c'est un faux débat au Québec. Si un pétrole éthique existe, n'est-ce pas celui que l'on doit garder en terre le plus longtemps possible et n'extraire que pour les usages essentiels, avec la plus grande précaution? Or le Québec a les moyens de réduire sa dépendance envers le pétrole. Mais le fait de réduire la consommation n'enlève pas aux Québécois leur devoir moral de participer à l'effort planétaire de fournir les sources d'énergie les moins polluantes, si tel est le cas. Produire chez soi de l'aluminium et du magnésium à partir de renouvelables plutôt qu'en Chine a une valeur environnementale. Consommer localement évite les risques écologiques lors du transport, pourquoi le kilomètre alimentaire est un credo accepté, mais pas la production pétrolière et gazière? Si produire du pétrole chez nous a moins d'impact environnemental que celui issu des sables bitumineux, où est l'éthique de ne rien faire? Cela dit, quatre conditions préalables sont nécessaires pour que le Québec ait une attitude éthique dans ce secteur : a) avoir une politique musclée d'autosuffisance énergétique, b) impliquer l'état, c) résoudre la loi des mines, d) favoriser la connaissance. À l'ère des grandes compressions, encore plus drastiques au ministère des Ressources, rien n'indique que l'efficacité énergétique et l'expertise dans les ministères ne soient bonifiées dans l'horizon prévisible. Pour la loi des mines, au lieu de séparer le problème, le Parti québécois s'entêtera-t-il encore à débattre des redevances, la voie royale pour brouiller les cartes ? Pour la connaissance, il est intéressant de constater que le suivi scientifique indépendant soit une initiative de Pétrolia. Un gouvernement étique? À suivre.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



RECRÉER UNE SOCIÉTÉ PUBLIQUE

J'ai déjà été consultant pour le secteur minier et ce que détestaient les entreprises, c'était d'avoir à affronter des règlements qui se contredisent tant au niveau municipal, que provincial ou fédéral. Lorsque deux règlements se confrontent ou s'annulent, l'intérêt public est mal desservi. Dans le cas de la municipalité de Gaspé face à l'entreprise Pétrolia, on peut comprendre les citoyens d'être nerveux et de s'opposer au projet d'exploration pétrolière, cela fait partie du volet d'acceptabilité sociale d'un projet. Le gouvernement du Québec a le devoir de clarifier rapidement les règles du jeu afin de moderniser autant les lois d'exploration minière que gazière ou pétrolière au Québec. Par ailleurs, après la dissolution des défuntes SOQUIP et SOQUEM, il serait temps de recréer une nouvelle société publique gouvernementale, une Société des ressources naturelles québécoises (SORENAQ), dont la mission serait non seulement de veiller au développent harmonieux de nos ressources naturelles sur notre territoire, mais aussi de conseiller les élus municipaux et provinciaux sur les enjeux de cette industrie au Québec. La SORENAQ nous permettrait de réinvestir collectivement dans le savoir-faire de l'industrie de l'exploration et de l'exploitation minière et pétrolière en intégrant comme partenaire les municipalités du Québec. Tout ceci, afin de partager l'expertise retrouvée, et ce, dans le respect des communautés locales.

Photo

Jean Baillargeon

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke 



DES DÉTAILS, VRAIMENT?

Encore une fois, on assiste à cet éternel dilemme opposant développement économique et protection de l'environnement. D'un côté, Pétrolia, une compagnie québécoise qui convoite l'exploitation d'une ressource stratégique dans la région de Gaspé.  De l'autre, la population locale qui s'inquiète et qui aimerait bien être rassurée quant aux conséquences de cette exploitation sur son environnement, en l'occurrence, son eau potable. Pendant ce temps-là, que dit le gouvernement? Qu'il faut « arrêter de parler pour parler, et que ce qui bloque dans cette affaire, ce sont «des détails, des perceptions ». Vraiment? Pour une région qui a un besoin criant de projets de développement économique, la décision de bloquer le projet de Pétrolia est loin d'être un détail, ça relève plutôt de l'audace. La Ville de Gaspé et ses citoyens sont conscients de l'envergure de ce projet et de ses retombées économiques potentielles sur la région (et sur le Québec). Ce qu'ils demandent, c'est un engagement efficace de leur gouvernement afin de trouver une solution qui, tout en permettant à Pétrolia d'exercer ses droits d'exploitation (et par le fait même, dynamiser l'économie régionale), offrira plus de garanties sur la protection et la sauvegarde de leur environnement. C'est loin d'être des détails!

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Khalid Adnane

Michel Kelly-Gagnon 

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



POUR INVERSER L'EXODE

D'entrée de jeu, rappelons que le gouvernement a déjà donné son aval au projet en juin dernier. « Devrait-on autoriser le forage? » soulève la question de ce « on » abstrait. Qui d'autre doit encore autoriser le projet? Et pourquoi les règles semblent-elles toujours changer en plein milieu de partie? Le Québec souffre de « vetocratie » : chaque élu, chaque lobby, chaque résidant du coin possède implicitement un droit de veto. La présence de pétrole au Québec, d'une valeur pouvant atteindre 400 milliards de dollars, a pourtant de quoi réjouir. Pour la Gaspésie, c'est une occasion d'inverser pour de bon l'exode des dernières années, et de se développer sans dépendre de Québec, qui plus est. On ne parle pas ici d'expropriations, ni même de fracturation hydraulique, puisqu'il s'agit d'un forage conventionnel. Même sur le plan environnemental, l'INRS assurera le suivi des faibles risques. Le gouvernement a pour rôle d'établir des règles claires et prévisibles sur les redevances, sur la protection de l'environnement, sur les consultations préalables à un projet, etc. Ensuite, comme le dit le ministre Pierre Duchesne à propos de son Sommet, on aimerait avoir l'unanimité, mais un consensus suffit pour aller de l'avant.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



PLUSIEURS VOLETS

C'est une question à plusieurs volets. Premièrement, est-ce que l'entreprise Pétrolia représente la meilleure option pour l'exploitation de ce gisement ? Il faudrait s'assurer de l'expertise dont dispose cette compagnie, particulièrement au niveau du respect des normes environnementales, car c'est sur ce point précis que les opposants au projet s'acharneront sans doute. Deuxièmement, quand on dit « en Gaspésie », parle-t-on d'une exploitation sur terre ou dans le Saint-Laurent ? L'exploitation d'un gisement exige l'installation d'infrastructures nécessaires au transport du pétrole, or l'économie de la Gaspésie repose en grande partie sur le tourisme. Conséquemment, il faudrait s'assurer au préalable, par des études d'impact sérieuses et indépendantes, que les gains réalisés par l'exploitation de la ressource pétrolière n'engendreraient pas des pertes trop significatives au niveau touristique. Troisièmement, puisque le Québec désire relancer ses régions, comment pourrait-on justifier qu'on investisse massivement dans l'industrie minière grâce au Plan Nord sans investir dans l'extraction du pétrole gaspésien ? On sait que l'industrie de la pêche, un des moteurs économiques de la Gaspésie, souffre. Alors, si on revitalise le Nord qui vivait des forêts, pourquoi ne pas aider l'Est qui vivait de la pêche? Si on mettait ce projet sur pied en évitant l'embauche de travailleurs « fly in / fly out », ce serait une bonne façon de rendre moins indigeste la réforme de l'assurance-emploi que le gouvernement Harper vient de forcer dans la gorge des travailleurs de cette région.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



NATIONALISATION

À la suite des analyses rigoureuses sur l'impact environnemental d'un futur puits, et seulement si la preuve est faite que l'écosystème ne sera pas affecté négativement, le gouvernement du Québec devrait procéder au forage. Je dis bien le gouvernement, et non pas l'entreprise privée. Il est clair selon plusieurs experts que le sous-sol québécois regorge de ressources potentielles. Or, plutôt que facturer de ridicules redevances aux compagnies privées, pourquoi ne pas simplement nationaliser l'exploitation des industries du pétrole et des gaz de schiste? Ainsi, tel Hydro-Québec, chaque cent de profit viendrait grossir les coffres de l'État qui, comme nous le savons tous, en a grandement besoin. Il faudra que le gouvernement fasse preuve d'un grand courage afin d'affronter le lobby de ces multinationales assoiffées de profits. En fin de compte, nous en seront tous gagnants. Création de milliers d'emplois de qualité et profits seront au rendez-vous. Il serait intéressant de connaître l'opinion du public sur une éventuelle nationalisation.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



LES AGITATEURS D'ÉPOUVANTE

Au Québec, on trouve toujours une raison valable pour retarder un projet visant l'exploitation de nos ressources pétrolières et gazières. On préfère appliquer le principe de précaution et se vautrer dans l'immobilisme. Si un projet présente des effets potentiellement néfastes, il faut immédiatement l'arrêter. Comme si on pouvait éliminer tous les risques associés à une quelconque activité; comme si décourager l'exploitation de la filière pétrolière était la garantie d'un développement durable. Le Québec précautionneux condamne nos promoteurs à être l'otage des groupes de pression. Les agitateurs d'épouvante ont même ainsi réussi à élever au rang de « choix de société » la protection de leurs dadas et privilèges. Il serait peut-être temps que le Québec sorte de sa torpeur et prenne conscience que notre immobilisme présente aussi un risque : celui de s'enliser dans la pauvreté.

Pierre Simard

Karel Mayrand

Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki

PRÉCAUTIONS À PRENDRE

Des réserves potentielles de pétrole ont été identifiées au Québec dans le golfe Saint-Laurent, en Gaspésie et à Anticosti. Certains affirment prématurément que le Québec possède des milliards de barils de pétrole commercialisables et qu'il faut se lancer tête baissée dans l'exploitation pétrolière. Nous avons la chance de pouvoir prendre le temps de faire les choses comme il faut, puisque ce pétrole demeurera sous terre et que son prix ne fera qu'augmenter au cours des prochaines années. Avant de se lancer dans l'exploration pétrolière sur notre territoire, il convient de s'assurer que cette activité se fera selon les plus hauts standards de sécurité et de protection de l'environnement, et que cette filière énergétique évitera la précipitation qui a entaché la filière du gaz de schiste. Il faut en outre assurer qu'un cadre réglementaire adéquat est en place et que l'acceptabilité sociale de cette activité est assurée. Il faut également présenter un plan qui assurera l'atteinte des objectifs de lutte aux changements climatiques du Québec malgré le développement d'une industrie pétrolière. Les réserves de pétrole du Québec appartiennent à tous les Québécois. C'est à eux de déterminer comment elles doivent être exploitées, dans leur intérêt et celui des prochaines générations.

Karel Mayrand