Quelle est votre évaluation des 100 premiers jours du gouvernement Marois? D'après vous, quel est son meilleur coup, et sa plus grande erreur?

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



UN BON DÉPART



À moins d'exiger un parcours sans faute, on peut dire que le gouvernement Marois a connu un bon départ. La qualité des ministres choisis a surpris agréablement la plupart des observateurs, à la seule exception de Daniel Breton qui est déjà parti. Déjà, deux projets de loi importants ont été adoptés à l'unanimité. D'autres ont été déposés et généralement bien reçus. Le budget des deux prochaines années a été adopté en gardant l'objectif du déficit zéro et en augmentant légèrement la progressivité de notre système fiscal. La transition administrative s'est faite paisiblement, même si les changements de fonction ont été nombreux. Par contre, des erreurs qui auraient pu être évitées ont été commises, dont la nomination d'André Boisclair à la fonction publique. Mais elle a été corrigée rapidement: faute avouée est déjà à moitié pardonnée. Quant aux promesses électorales qui n'ont été que partiellement ou incomplètement réalisées, certains s'en désoleront et d'autres s'en réjouiront, car elles n'étaient pas toutes réalistes ou populaires. En somme, le gouvernement Marois est maintenant bien placé pour entreprendre en 2013 la deuxième phase de son court mandat. C'est sur cette phase qu'il sera ultimement jugé.


Robert Asselin

Directeur associé de l'École supérieure d'affaires publiques et internationales à l'Université d'Ottawa.



TRÈS MAUVAIS DÉPART



À mon avis, le gouvernement Marois connaît un très mauvais départ et il fait fausse route sur quelques grands dossiers qui auront une incidence majeure sur l'avenir du Québec. D'abord, il faut beaucoup de perspicacité pour dégager une vision économique de ce gouvernement. En quelques mois, on a multiplié les mauvais signaux. Frileux sur le plan du développement des ressources naturelles, mais très à l'aise à taxer davantage ceux qui paient déjà le plus d'impôts en Amérique du Nord, voilà un gouvernement qui n'a pas l'air trop à se préoccuper d'où viendra la création de la richesse. Encore plus dommageable est cette philosophie qui se dégage de ce gouvernement que la richesse est une faute, une anomalie dont on doit se sentir coupable, et cette obsession à tout vouloir niveler vers le bas. Qui plus est, en cédant aux carrés rouges, le gouvernement Marois est en train de faire un tort irréparable à nos universités, un pôle pourtant central de notre développement économique. En leur imposant des coupures rétroactives, on accentuera le sous-financement chronique dont elles souffraient déjà. Il ne faudra pas s'étonner si elle deviennent les enfants pauvres au pays, avec des conséquences tragiques pour le Québec. S'il y a bien un secteur dans lequel on devrait investir pour assurer notre avenir, c'est bien celui-là. À quoi bon se draper dans le dogme des droits de scolarité bas si cela a pour effet de diminuer la qualité de l'éducation et l'intensité de recherche qui conduit inéluctablement à l'innovation et à la compétitivité? Bref, c'est un bien mauvais départ!

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



BREF ÉCLAT, LONGS ZIGZAGS



Après une brève ouverture glorieuse menée tambour battant - la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly 2, l'abolition du prêt à l'industrie de l'amiante et l'abrogation de la loi 12 limitant le droit de manifester -, la valse-hésitation s'est installée. D'abord, le gouvernement a rompu une promesse électorale : la taxe santé qui devait disparaître demeurera pour la majorité de la population. Tous les gouvernements renient leurs promesses, dira-t-on. Celui-ci ne devait-il pas gouverner « autrement »? Ensuite, ce gouvernement a montré qu'il aimait beaucoup taxer le passé : imposer rétroactivement les gains en capital et les dividendes (il a reculé là-dessus), imposer la taxe sur les vins et spiritueux achetés par les restaurateurs avant l'entrée en vigueur de la nouvelle taxe, obliger les universités à couper plus de 100 millions $ dans la présente année financière. Mais c'est l'intention d'assurer une carrière durable et profitable à André Boisclair qui a constitué le sommet des gaffes. Certains commentateurs font valoir que le gouvernement est à l'écoute de la population et modifie ses politiques en fonction de l'opinion publique. À l'occasion, cela se justifie, mais à répétition, ça sent l'improvisation ou le populisme, ou les deux.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



ET VOGUE LA GALÈRE!



Hésiter, lancer des idées impromptues ou des ballons d'essai, revenir sur des décisions annoncées, renoncer à certains engagements idéologiques, faire des compromis avec les partis de l'opposition, ajuster ses politiques au contexte économique, avouer ses erreurs, etc. Est-ce cela, faire de la politique autrement? En tout cas, le gouvernement Marois navigue en eaux troubles depuis 100 jours. Tellement que certains analystes se demandent s'il y a un pilote à la barre du navire péquiste qui tangue parfois dangereusement. Peut-être que le meilleur coup et la plus grande erreur de Pauline Marois résident justement dans la manière de diriger de cette femme habituée aux négociations? Elle ne fait pas taire ses lieutenants, même si elle les rappelle à l'ordre de temps à autre. Elle s'adapte aux situations extrêmes d'un parti minoritaire dans un contexte économique difficile sans mener son embarcation vers des récifs trop risqués, tel l'iceberg de l'indépendance. Bref, après 100 jours, les contestataires traditionnels du PQ gardent une certaine réserve devant les manoeuvres de la première ministre et les partisans péquistes restent sur leur appétit de réformes majeures de la fiscalité ou de politiques gouvernementales. Une femme à la tête de la belle province mène la barque autrement. Et vogue la galère!

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec.



EN DEMI-TEINTE



Cent jours après son accession au pouvoir, c'est l'heure d'un premier bilan pour le gouvernement Marois. Au départ, l'élection du Parti québécois a suscité beaucoup d'inquiétude : certaines se sont dissipées depuis, d'autres sont persistantes. En fait, le gouvernement Marois n'est pas facile à suivre. En gérant par essais et erreurs, il a parfois donné l'impression de ne pas avoir les compétences requises pour gérer le Québec. Nous avons donc eu droit à trois mois de politique en demi-teinte. Son meilleur coup? Avoir mis en veilleuse quelques engagements électoraux, tout en ayant le courage de maintenir le retour à l'équilibre budgétaire pour 2013-2014. Sa plus grande erreur aura été de prendre des décisions précipitées dans plusieurs dossiers, donnant trop souvent l'impression de ne pas savoir où il va. Si on peut attribuer ces erreurs de jeunesse à un gouvernement nouvellement élu, il est par contre difficile de pardonner au gouvernement Marois son copinage politique. La nomination discutable de Daniel Breton à l'Environnement et les parachutes dorés accordés à André Boisclair et Nicolas Girard risquent de faire un tort considérable à ce gouvernement qui promettait de laver plus blanc que blanc.

Pierre Simard

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



LA FIN DE LA RÉCRÉATION



La campagne électorale a été marquée par un manque de réalisme. Les quatre parties politiques qui ont fait élire des députés ont fait beaucoup de promesses souvent basées sur de l'information incomplète et même biaisée. Ils ont tous présenté des cadres financiers qui suggéraient un retour et un maintien de l'équilibre budgétaire qui ne seraient pas trop difficiles à réaliser  et qui seraient sans réduction de services. Tous ces partis n'avaient pas voulu tenir compte durant la campagne électorale du fait que la croissance économique ralentissait déjà par rapport aux prévisions contenues dans le dernier budget Bachand. La fin de la récréation n'a pas été sonnée dans les premiers jours de l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Mme Marois. Ce fut une erreur importante. Au contraire, on a voulu se lancer très rapidement dans la réalisation des promesses électorales malgré le ralentissement de la croissance et en ne tenant pas compte du fait que le gouvernement était minoritaire.  Le budget Marceau a sonné la fin de la récréation. On a enfin réalisé les contraintes impliquées par le ralentissement économique ainsi que la fragilité de la situation financière du gouvernement. Il a fallu renoncer, du moins pour un certain temps, à certaines promesses et même faire volte-face dans certains dossiers. Le «meilleur coup» du gouvernement Marois a été, selon moi, d'avoir adopter, après un mauvais départ, une approche beaucoup plus réaliste sur l'environnement économique et sur la capacité du gouvernement à maintenir les services offerts à la population. La prochaine étape sera de réaliser que le contrôle des dépenses publiques compatible avec le retour et le maintien de l'équilibre budgétaire ne pourra se faire sans réduction de services.

Jean-Pierre Aubry

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial.



IMPROVISATION ET INCOHÉRENCE



Le mot «bilan» a des origines italiennes. Il vient de «bilancio» qui signifie «balance». Si je regarde, le plus objectivement possible, le gouvernement élu le 4 septembre dernier, force m'est de constater que «ça ne balance pas» du tout. On ne compte plus les reculs de ce gouvernement, lui qui nous avait promis mer et monde dans sa plateforme électorale de septembre dernier. Ce gouvernement frise la fraude tellement il n'a pas respecté ses engagements : admission aux cégeps anglophones qui ne sera pas soumise à la loi 101, recul sur la taxe santé, recul sur les tarifs du bloc patrimonial d'Hydro-Québec, recul sur les redevances minières, etc. Seuls les étudiants et les carrés rouges reçoivent la grosse part du gâteau. Le gouvernement annonce des nouvelles places en garderie pour les enfants de 4 ans, mais pour l'an prochain...Prix de consolation : la loi 1 et l'autre sur le financement des partis politiques. Deux lois adoptées sans bruit... et à la sauvette. L'affaire Breton et l'affaire Boisclair ont démontré la faiblesse de jugement du nouveau chef d'État québécois. Ce matin, une autre affaire risque de faire couler beaucoup d'encre : l'affaire Nicolas Girard. Je laisse aux lecteurs le soin d'en discuter entre eux, autour de la dinde de Noël. Ces trois affaires ne peuvent que laisser l'électeur pantois. Bref, 100 jours d'improvisation; 100 jours d'incohérence; 100 jours de «je-sais-pas-trop-où-je-m'en-vais. Étonnement : le silence concerté de Parizeau et de Bernard Landry. L'ancien premier ministre Lucien Bouchard a bien sonné l'alarme. On n'a que très peu rapporté ses propos. Le Québec arrive au mur. Préparons-nous : ça va faire mal ! Visiblement, ce gouvernement est «débalancé». Il a beau faire un bilan, mais la balance penche davantage d'un côté. Des élections? Ça ne saurait tarder après la nomination du prochain chef libéral. Un bon ministre? Sylvain Gaudreault.

Nestor Turcotte

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



PROMESSES NON TENUES



Le gouvernement péquiste ne m'a guère impressionné jusqu'à maintenant. Pauline Marois, en campagne électorale, promettait, entre autres choses, de gouverner autrement. Au cours des 100 premiers jours de son mandat, Mme Marois n'a pas été en mesure de nous démontrer comment elle compte changer la perception négative que la plupart d'entre nous avons envers toute la classe politique. En ne respectant pas plusieurs de ses promesses électorales, c'est plutôt le contraire qui s'est produit. Comme pour les libéraux de Jean Charest en 2003, le gouvernement du PQ a promis mer et monde. Mais une fois élu, il a découvert que le déficit laissé par le précédent gouvernement était, semble-t-il, plus important que prévu. Prenons comme exemple la promesse d'abolir la controversée taxe santé. Ce coup de marketing fabuleux a réussi, à lui seul, a aller chercher des dizaines de milliers de votes pour le gouvernement Marois. La double nomination d'André Boisclair est aussi un élément qui me laisse perplexe et me porte à croire que madame Marois est mal conseillée et a agi exactement comme tout gouvernement qui profite de son statut afin de nommer des amis du parti à des postes clés. Cynisme et méfiance sont encore et toujours au rendez-vous.

Mélanie Dugré

Avocate.



NOTE DE PASSAGE



Les péquistes ont connu un début de mandat fougueux et confus. Tous excités d'être enfin au pouvoir après une longue période de punition sur les bancs de l'opposition, les ministres se sont précipités, chacun leur tour, avec des annonces, certes enthousiastes et remplies de bonnes intentions, mais parfois mal ficelées et souffrant d'une logique déficiente, laissant ainsi une impression de cafouillage qui les a par moments obligés à reculer sur des engagements électoraux. Eux qui se sont offusqués à grands cris et à coups de poing sur la table des cas de copinage devenus légion chez les libéraux, ils ont eux-mêmes subtilement trempé le gros orteil dans cette soupe nauséabonde en offrant sur un plateau d'argent des postes bonbons à André Boisclair et Nicolas Marceau, affaiblissant leur crédibilité de vierges offensées. Le gouvernement Marois reste néanmoins déterminé à transmettre le message qu'il a les deux mains sur le volant et qu'il est apte à gouverner la province. Sa marge de manoeuvre est toutefois extrêmement mince en raison de son statut minoritaire et il est souvent condamné à louvoyer entre les divers obstacles pour atteindre ses objectifs, notamment en ce qui concerne le renforcement de la loi 101. Je qualifie donc ce bilan des 100 premiers jours d'étonnamment acceptable et attends impatiemment la suite des événements.

Mélanie Dugré

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital.



PLUS DE MAUVAIS QUE DE BONS COUPS



Deux bons coups : on a conservé l'objectif du déficit zéro... bien que je doute fort que cet objectif ne soit atteint de façon durable. D'abord parce que le PQ ne veut pas vraiment réduire le rôle de l'État et ne veut pas déplaire à ses traditionnels alliés syndicaux, mais aussi parce que l'atteinte apparente du déficit zéro en 2013-2014 repose en grande partie sur le cadeau non récurrent de 2,2 milliards $ de M. Harper pour l'harmonisation de la TPS/TVQ.  Qu'arrivera-t-il en 2014-2015 quand cette manne cessera de tomber d'Ottawa? L'autre bon coup vient de la décision d'autoriser le vérificateur général à effectuer des vérifications d'optimisation auprès, notamment, d'Hydro-Québec.  Cette entreprise d'État monopolistique honteusement inefficace pourrait, selon Claude Garcia, générer au moins 2,1 milliards $ de plus de profits par année si ses opérations étaient aussi bien gérées qu'une entreprise privée. Les mauvais coups sont nombreux.  En plus de lois qui s'avéreront inefficaces ou carrément inutiles, ce sont les cafouillages et reculs trop nombreux pour énumérer ici qui surprennent par l'amateurisme de l'équipe en place.  Le clientélisme péquiste donne des haut-le-coeur et les nominations partisanes qui récompensent les ti-namis n'auront fait qu'accentuer le cynisme de l'électorat. Dieu merci, la situation minoritaire du PQ l'a forcé à diluer son programme électoral interventionniste et liberticide.

Adrien Pouliot