Le ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, exige des universités qu'elles réduisent leur budget de 5%, soit 140 millions, avec quatre mois à écouler pour l'année en cours. Selon vous, est-ce une demande justifiée?

Marc Simard

Professeur d'histoire au cégep Garneau, à Québec.



LES FOSSOYEURS



Sous prétexte de quelques cas de «mauvaise gestion» et de concurrence entre les universités pour attirer de la clientèle, une coalition (étudiants, gauche bien pensante et Parti québécois) a entrepris de planter le dernier clou dans le cercueil des universités québécoises. Depuis plus de 20 ans, les étudiants criaient au sous-financement et réclamaient un «réinvestissement massif» en éducation. Ces expressions sont disparues de leur lexique quand le gouvernement Charest leur a fait savoir qu'une partie de la solution proviendrait de leurs poches. Ils se sont alors transformés en spécialistes de l'administration des universités, dénonçant leur «mauvaise gestion» avec la complicité de journalistes ravis de contribuer à leur «lutte». La gauche et les syndicats, baignant dans ce climat de mépris du savoir et de la culture qui afflige le Québec depuis toujours, les ont soutenus dans ce putsch civil qui a abouti au renversement du gouvernement Charest et à l'annulation de la hausse des droits. Le gouvernement péquiste a achevé le travail. Dès son assermentation, le ministre de l'Enseignement supérieur a remis en doute la «thèse du sous-financement». Le ministre des Finances et le président du Conseil du Trésor viennent de jeter la dernière pelletée de terre : non seulement les budgets de nos universités ne seront-ils pas augmentés, mais ils seront amputés. Cette troïka de demeurés aura fait en moins d'un an plus de tort à notre système d'éducation que tous ses adversaires historiques.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



À LA TRONÇONNEUSE



Réduire de façon importante les dépenses d'opération des universités alors qu'il ne reste qu'un tiers de l'exercice financier risque de faire plus de mal que de bien. Les compressions ne vont pas se faire aux ciseaux à bois, mais à la tronçonneuse. Le seul cas où une telle approche ferait du sens est celui où il y aurait d'importants gaspillages dans les opérations de ces institutions, ce qui ne me semble pas être le cas. Par contre, si le gouvernement est de cet avis, ne devrait-il pas commencer par mettre à la porte les gestionnaires responsables de tels gaspillages? Des incompétents peuvent faire d'énormes dommages avec des tronçonneuses.  Le gouvernement a raison de vouloir faire des importants gains d'efficience à long terme dans ses opérations, mais cela prend du temps et implique à la fois le développement de nouvelles stratégies au niveau agrégé et des milliers de petits gestes dans une multitude d'unités de production. L'approche du gouvernement va plutôt impliquer des baisses dans la quantité et la qualité des services offerts par les universités ainsi que des hausses de coûts à plus long terme dans plusieurs cas.

Jean-Pierre Aubry

Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.

LA QUALITÉ DE L'ENSEIGNEMENT EN SOUFFRIRA



La victoire des étudiants commence tranquillement à avoir un goût amer.  S'il est vrai que les universités ont à revoir une partie de leur gestion, on ne peut penser sérieusement qu'il est possible de retrancher 140 millions alors que l'année financière tire à sa fin et que de nombreux engagements sont déjà pris. Inévitablement, cette ponction se fera au détriment de la qualité d'enseignement.  Comme il est pratiquement impossible de couper dans les postes existants au sein des universités, cela va assurément se répercuter sur l'engagement de nouveaux professeurs. L'embauche de nouveaux professeurs va être reportée, ils seront remplacés par des chargés de cours dans des classes toujours surchargées.  On ne se surprendra pas, comme c'est déjà le cas, à voir des classes de maîtrise de 60 étudiants, par manque de ressources physiques et professorales. Certes, la dérive immobilière des dernières années est en partie responsable de la piètre situation financière, mais il ne faudrait pas oublier que c'est aussi le manque de ressources qui les a obligés à s'éloigner de leur mandat en croyant par l'investissement dans la pierre pouvoir mieux soutenir leur mission d'enseignement.  Malheureusement, tout cela a mal tourné et on en fait les frais aujourd'hui. Il y a un coût à la qualité d'enseignement que les étudiants n'ont pas voulu endosser.  Comme pour le reste,  le nouveau gouvernement ne tiendra pas ses promesses.  Doit-on en être surpris?

Daniel Gill

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



GOUVERNER RÉTROACTIVEMENT



Par cette coupe budgétaire inattendue, le gouvernement démontre qu'il ne croit pas au sous-financement des universités, et pas beaucoup plus à son sommet sur l'enseignement supérieur. Les discussions sur l'enseignement universitaire à peine commencées, il assène un coup dur aux universités en leur demandant de sabrer les dépenses de la présente année financière. Comment sont-elles censées s'y prendre? La plus grande partie des budgets étant consacrée aux salaires et aux avantages sociaux, doivent-elles congédier les professeurs ou d'autres employés? Réduire l'aide aux étudiants? Exiger que les universités réduisent leur budget pour l'année en cours de plus de 100 millions $ s'avère injuste pour les universités et inquiétant pour l'ensemble de la société. Le gouvernement manifeste une fâcheuse tendance : imposer rétroactivement. D'abord, il projetait une imposition rétroactive des dividendes et du gain en capital, mesure abandonnée devant les protestations du public. Puis, au moment d'augmenter les taxes sur le vin et les spiritueux, il a obligé les restaurateurs de faire un inventaire et de payer les taxes sur des produits achetés parfois plusieurs années plus tôt. Il demeure vrai que les universités pourraient envisager certaines réductions budgétaires : moins de campus extérieurs, partage de certains programmes, réduction des projets immobiliers. Mais cela devait faire partie des discussions au sommet, non?

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital.



COMPRESSIONS COLOSSALES



Les compressions à accomplir en quatre mois sont colossales, surtout quand on pense que plus de 70% des coûts d'une université représentent du salaire. Les universités affirment  qu'elles sont déjà sous-financées et fondent leur plaidoyer sur l'analyse comparative des subventions reçues par les autres universités canadiennes. Malheureusement, nous sommes dans un système où il n'y a pas de vrai mécanisme de prix librement consenti qui sous-tend la transaction entre l'élève et l'établissement et qui nous dirait tout de suite si les universités sont vraiment sous-financées. Une très grande partie des droits de scolarité est en effet payée par un tiers (l'État) qui ne reçoit pas les services et qui paie avec de l'argent qui ne lui appartient pas (celui des contribuables). Dans un marché où les étudiants paient eux-mêmes (quitte à recevoir directement un crédit d'impôt remboursable de l'État pour les aider à défrayer ces frais), le « sous-financement » de l'université, c'est-à-dire la faiblesse de ses revenus, entraînerait une gestion plus efficace pour réduire les coûts ou une meilleure offre aux clients pour justifier une hausse des droits de scolarité.  Sans l'arbitrage des prix, les universités doivent s'en remettre au marché politique et au lobbying pour gagner leur cause auprès de l'État.

Adrien Pouliot

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



MANQUE DE COURAGE



Le gouvernement fait fausse route en demandant aux recteurs d'universités de réduire leurs dépenses de 5% d'ici les quatre prochains mois. Où croyez-vous que les dirigeants des universités vont couper? Ce sont fort probablement les services directs aux élèves qui vont écoper de cette décision. Ces coupes, bien que justifiées, ne sont pas raisonnables, car elles ne surviendront pas au bon endroit. Un gouvernement courageux aurait tenté de récupérer ces sommes en réduisant les salaires et nombreux avantages pour le moins discutable de toutes sortes offerts, entre autres, aux recteurs d'université. La très grande latitude de dépense laissée aux personnes dirigeant nos universités devrait être revue. Le gouvernement qui octroie des dizaines de millions à ces établissements devrait pouvoir diriger lui-même les sommes d'argents aux bons endroits, soit aux services directs aux élèves. Sans quoi ce sont les étudiants, les cours ainsi que le corps enseignant qui en souffriront et les cadres de haut niveau continueront de se voter de généreux salaires et avantages tout en appliquant les compressions exigées par le gouvernement péquiste.