Le gouvernement Marois a décidé de déposer son premier budget dès le 20 novembre au lieu d'attendre au printemps prochain. D'après vous, est-il urgent de procéder ainsi, comme le soutient le ministre Nicolas Marceau, ou est-ce plutôt une stratégie pour éviter que le gouvernement minoritaire soit renversé au début de 2013?

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal.



DE DEUX MAUX, CHOISISSONS LE PIRE



Toutes les études l'affirment, le cadre budgétaire de la province est particulièrement contraignant. Les perspectives économiques ne sont pas rassurantes et le déficit courant dépasse les 3 milliards de dollars. Il y a deux manières de retrouver l'équilibre budgétaire, réduire les dépenses ou augmenter les impôts. Seule la deuxième option nécessite la présentation d'un budget. Tout juste élu, ce gouvernement ne se résout pas à l'immobilisme que lui commande la disette fiscale et refuse, comme son prédécesseur, de se limiter à gérer la pénurie. Il se débat pour dégager une marge budgétaire afin d'appliquer des réformes prévues à son agenda. En d'autres mots, si ce gouvernement veut se faire accorder un nouveau budget, c'est qu'il souhaite nous forcer à lui donner l'argent qu'il n'a pas pour financer des programmes dont nous ne voulons pas. Après les ballons, au-delà du programme et des faux-fuyants, la présentation d'un budget aura pour seul mérite de rendre claire les intentions et les priorités du gouvernement péquiste. Son action, suite à la sanction arrachée à l'Assemblée Nationale, gagnera en légitimité. Nous saurons également où se logent les partis d'opposition. Il est évidemment trop tôt pour ceux-ci de défaire le gouvernement forçant ainsi le déclenchement de nouvelles élections ; il faudra savoir jouer de l'indignation.

Philippe Faucher

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



RÉORIENTER L'ÉTAT QUÉBÉCOIS



Il est urgent de procéder au dépôt d'un budget pour le gouvernement de Pauline Marois parce que l'État québécois a été dirigé pendant 10 ans par un parti politique qui a démembré de grands pans du modèle québécois hérité des gouvernements précédents depuis la Révolution tranquille. Que ce soit dans les secteurs de la santé, de l'éducation et de l'économie, le Parti libéral de Jean Charest a souvent privilégié l'intrusion du secteur privé dans les institutions québécoises en limitant les interventions de l'État. Cette orientation générale a été combattue en campagne électorale par le Parti québécois qui a promis de remettre sur les rails le modèle québécois dans lequel le gouvernement n'hésite pas à intervenir pour le bien de la population. Par souci de cohérence, le PQ doit immédiatement réorienter l'État québécois. Même si son parti est minoritaire à l'Assemblée nationale, Pauline Marois ne peut pas poursuivre les orientations politiques et économiques contenues dans le dernier budget Bachand. Bien sûr, il y a le calcul politique qui entre en jeu, car il serait surprenant que les partis d'opposition désorganisés et désargentés défassent le budget Marceau pour se lancer dans une nouvelle campagne électorale. Mais c'est pour ne pas avoir les mains liées sur le volant libéral que le PQ doit avant tout déposer un nouveau budget afin de reprendre la route plus à gauche qu'à droite.

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital.



SCÉNARIO PRÉVISIBLE



On savait depuis août dernier qu'après deux mois d'opération, le déficit du gouvernement du Québec se chiffrait à 1,4 milliard de dollars alors que le budget prévoyait un déficit total de 1,5 milliard de dollars pour l'année financière. En se basant sur l'historique des quatre dernières années, on pouvait d'ores et déjà projeter un déficit de 3,2 milliards de dollars pour l'année entière, soit le double du déficit prévu et ceci avant même de mettre en place des promesses jovialistes du Parti québécois telles l'annulation de la hausse des droits de scolarité.  On sait que les syndicats n'accepteraient pas les coupures requises pour redresser la situation budgétaire si elles venaient des libéraux mais venant des amis du PQ, la couleuvre sera plus facile à faire avaler, peut-être en échange d'une tractation d'arrière-scène comme l'octroi d'un (vrai) droit de grève pour les étudiants, l'adoucissement de la réforme du placement syndical ou le durcissement de la loi anti-scab.  On connaît déjà le scénario du film: le budget annoncera des mesures très pénibles, l'opposition déchirera sa chemise, le PQ reculera sur des points mineurs et tous les députés finiront par voter en faveur du nouveau budget, poussant un soupir de soulagement de ne pas avoir à aller en élection avec des coffres électoraux à sec.

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



CARTES SUR TABLE



C'est une excellente idée d'avoir une présentation du budget cet automne. Plusieurs raisons d'ordre budgétaire se cumulent pour justifier ce choix : 1) le ralentissement notable de la croissance économique,  2)  la difficulté de rencontrer les cibles de dépenses courantes pour 2012-13; 3) des révisions importantes aux dépenses en infrastructure et 4) de nouvelles dépenses liées à certaines promesses électorales que le gouvernement a décidé d'honorer pleinement ou en partie. Il est aussi important que Mme Marois et son équipe cessent de regarder en arrière et tentent de mettre la faute sur le précédent gouvernement. La présentation du budget, tôt en début de mandat, les forceront à prendre en charge de la gestion du gouvernement et à en assumer la pleinement la responsabilité. Cet exercice les forcera aussi à ajuster le cadre financier utilisé durant la campagne électorale à un environnement plus réaliste et à des estimations plus précises des effets de certaines promesses électorales sur les revenus et dépenses du gouvernement.  Le plan budgétaire aura également pour effet d'imposer une plus grande disciple chez les membres du cabinet de Mme Marois. Et si cela permet de réduire la probabilité d'avoir d'autres élections dès le printemps prochain, c'est tant mieux.

Jean-Pierre Aubry

Marc Simard

Professeur d'histoire au cégep Garneau à Québec.



L'IMPOSSIBLE ÉQUATION



Bien que le sens commun commande le contraire, il faut donner le bénéfice du doute au ministre Marceau et accepter son argument à l'effet que la présentation d'un budget le 20 novembre, en avance de quatre mois, est une nécessité financière et non pas une manoeuvre partisane. De toute façon, les partis d'opposition auront plusieurs autres occasions de renverser ce gouvernement d'idéologues et d'intégristes, que ce soit en raison de sa névrose linguistique ou de son biais  anti-entrepreneurial. Coincé entre son obsession du gel des tarifs des services publics et des finances en piteux état, le gouvernement Marois en profitera pour peaufiner son image de champion de la gauche en haussant les taxes et en faisant payer les «riches». Mais ce populisme fiscal se révélera incapable de redresser les comptes publics sans qu'on égorge la classe moyenne, puisque nos riches ne sont pas assez nombreux, ni qu'on sabre dans les dépenses gouvernementales, ce qui déplaira à la base du PQ agrippée aux mamelles de l'État. Le résultat risque d'être assez déplaisant pour les apôtres du modèle québécois et les tenants de la souveraineté : une dette publique qui continue à enfler; le PQ déserté par sa gauche au profit de Québec solidaire et défait en chambre au printemps de 2013; et la mise en place d'un nouveau gouvernement minoritaire, mais libéral ou caquiste, ou encore de nouvelles élections.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



LA MEILLEURE OPTION



Si le gouvernement Marois devait attendre de déposer un budget en mars, il y a de fortes chances pour que l'opposition en profite pour déclencher des élections. Le Parti libéral serait certainement tenté d'aller le plus rapidement possible devant l'électorat et ainsi bénéficier de la lune de miel que l'on observe souvent après l'élection d'un nouveau chef. La CAQ, qui aimerait certainement profiter de l'absence d'un chef à la barre du Parti libéral jusqu'au printemps, sait aussi qu'elle aurait à défendre l'odieux d'avoir entrainé un scrutin quelques semaines seulement après l'élection du Parti québécois. Mme Marois a bien compris que la meilleure façon de ne pas perdre le pouvoir à la suite d'un budget est de le déposer immédiatement. C'est ainsi qu'elle peut aussi espérer continuer à gouverner au-delà du printemps avec la très faible majorité qu'elle détient. À moins, bien sûr, que quelques députés de la CAQ transfèrent leur allégeance vers le PLQ. Considérant que ce scénario est hautement improbable, Mme Marois, en faisant quelques accommodements pour donner une apparence d'ouverture envers les partis d'opposition, n'a pas à être inquiète d'être renversée. Du moins pour le moment.

Denis Boucher

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



LA STRATÉGIE DE LA SURVIE



Qui se lance en politique a pour objectif premier de prendre le pouvoir. Et, une fois au pouvoir, décisions, faits et gestes constituent les armes des politiciens pour y demeurer le plus longtemps possible. En politique, pour garder le pouvoir, il faut être un bon stratège et personne n'est assez naïf pour croire que Mme Marois ne fera pas le nécessaire pour conduire les affaires de la province pendant au moins deux ans. Personne n'est assez naïf non plus, pour croire que le Parti libéral du Québec ou la Coalition avenir Québec profiteront de la première occasion pour renverser le gouvernement minoritaire que dirige Pauline Marois. Ce faisant, on ne peut qu'admirer Mme Marois,  qui a décidé de déposer un premier budget dès cet automne. Pour se maintenir en place, le Parti québécois devra puiser dans son arsenal stratégique et  devra aussi, à l'occasion, faire des alliances circonstancielles avec les partis de l'opposition. Les chefs de partis savent mieux que quiconque que l'on ne peut brandir impunément la menace de recourir au processus électoral pour tout et rien à la fois. La stratégie de la survie en politique n'est d'ailleurs pas le seul apanage du parti au pouvoir. Tout vient à point à qui sait attendre, les politiciens en savent quelque chose, car ils ont beaucoup à perdre. Le temps n'aime pas que l'on travaille sans lui.

Jean Gouin

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



CADEAU DE NOËL



Des motifs officiels et officieux justifient la présentation de ce budget précoce, sinon précipité. D'abord, il semble qu'il faille rassurer les marchés et les agences de notation, ces grands nerveux que l'on doit cajoler en tout temps. Autrement, c'est la décote et l'augmentation du fardeau de la dette. (Il y a quelque chose de malsain dans cette dépendance à ces institutions qui se fichent des pays et des gens.) Ensuite, pour pouvoir adopter des mesures de redressement des finances du Québec dès janvier 2013, le budget doit être déposé avant la fin de l'année. Un cadeau de Noël pour décourager « les riches » de trop dépenser pour les Fêtes. Mais il se pourrait que ces soi-disant riches se fatiguent de payer pour les incuries des gouvernants à tous les niveaux : incapacité de traquer efficacement le travail au noir, de restreindre l'utilisation des paradis fiscaux, de gérer les coûts des programmes, des infrastructures et des services. Par ailleurs, le gouvernement calcule que son budget passera à cause de la dispersion des partis d'opposition, qui seraient malvenus de le faire tomber si tôt après les élections. Toutefois, espérons que l'opposition examinera ce budget pour le juger à sa juste valeur et aura le courage de voter en conséquence.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



STRATÉGIE



J'imagine que Pauline Marois a ses raisons pour précipiter ainsi le dépôt de son tout premier budget à titre de première ministre du Québec. Elle pourrait invoquer l'urgence d'agir afin d'assainir les finances publiques laissées dans un état pitoyable par son prédécesseur. Le gouvernement péquiste, en jaugeant l'opinion publique, peut aussi conclure que nous ne voulons pas retourner aux urnes de sitôt. Le PQ pourrait ainsi faire porter l'odieux d'un scrutin hâtif aux partis d'opposition si ceux-ci votent contre son budget. Comme en politique, tout est question de stratégie, Mme Marois et ses conseillers font probablement le pari que la date du 20 novembre est le moment idéal afin de déposer un budget qui se voudra populaire pour la majorité des électeurs issus de la classe moyenne. La balle sera donc dans le camp du PLQ, de la CAQ et de QS qui devront tenir compte de nos préoccupations.

Joëlle Dupont

Étudiante en sciences humaines au cégep de Lanaudière.



DE BONNE GUERRE



Bien sûr, personne n'est dupe : présenter un budget dès le 20 novembre vise évidemment à éviter que le PQ tombe au printemps, alors que le PLQ aura eu le temps d'élire un nouveau chef. Néanmoins, on ne peut nier qu'avec les récentes révélations concernant les finances publiques et le climat d'incertitude économique qui règne depuis trop longtemps, ce budget ne peut qu'être salvateur. L'une des choses pouvant le plus nuire à l'économie est l'incertitude, et une direction claire pour les mois (possiblement les années) à venir permettra au secteur financier de s'orienter. Peu importe si on est en accord ou pas avec les mesures qui seront présentées, rien ne peut être pire que de n'avoir aucune idée de ce qui s'en vient! Sans compter que le Québec a absolument besoin d'un plan effectif permettant de redresser l'économie provinciale au plus vite. Le ministre Marceau semble être en voie de devenir le nouveau héros du déficit zéro : espérons que sa cape ne se déchirera pas en vol.

Joelle Dupont

François Bonnardel

Député caquiste de Granby.



UN JEU DANGEREUX



Deux mois après la formation d'un gouvernement minoritaire, le Parti québécois a annoncé plus tôt cette semaine qu'il déposerait un budget le 20 novembre prochain. La Coalition a appris la nouvelle par les médias, sans avoir été consulté d'aucune façon. En théorie, il pourrait y avoir de bonnes raisons de présenter un budget rapidement: après des semaines d'improvisation, de déclarations corrigées et de vagues énoncés, la population et les observateurs économiques devaient être rassurés quant aux moyens que le gouvernement compte déployer pour atteindre ses objectifs -- notamment celui de revenir rapidement à l'équilibre budgétaire. Mais il y a aussi des mauvaises raisons d'agir de la sorte, et au premier chef le calcul cynique d'un gouvernement qui semble vouloir faire adopter son budget non pas sur ses mérites, mais en espérant que les partis d'opposition n'oseront pas renvoyer le Québec en élection moins de trois mois après la dernière.  Il faudra évidemment attendre de voir le budget avant de se prononcer sur son contenu, mais le Parti québécois joue un jeu dangereux.

François Bonnardel