Une grande enquête dresse un constat inquiétant des habitudes de vie des adolescents québécois: mauvaise alimentation, activité physique insuffisante, problème croissant de surpoids, comportements sexuels à risque, consommation croissante de drogues. Faut-il s'alarmer de cette situation? Comment renverser cette tendance?

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



ACTION!



Au Québec, la proportion des jeunes avec un excès de poids s'est accrue de 55 % depuis 25 ans : environ un jeune sur cinq en souffre. Les causes et les solutions sont connues, mais cette prise de conscience n'aboutit pas à une action conséquente. Qui ne sait pas encore qu'il vaut mieux être actif que sédentaire? Qu'il convient d'avoir une bonne alimentation : moins de calories de meilleure qualité, moins de sel, moins de gras animal? Le temps des études et de la sensibilisation est terminé. Désormais, il faudra déployer un certain dirigisme qui sera peut-être jugé intrusif. Ainsi, il faudrait rendre obligatoire l'activité physique jusqu'à l'université (cela se pratique dans d'autres pays). Instaurer des visites des infirmières itinérantes dans les écoles pour dépister rapidement les enfants en surpoids. Taxer davantage les aliments clairement nocifs : croustilles, boissons gazeuses, bonbons, etc., et les étiqueter : « Attention : calories vides, néfastes pour votre santé ». Apprendre aux gens à cuisiner de manière simple et efficace pour les besoins de tous les jours. Aménager les espaces publics pour promouvoir l'activité physique. Nous n'avons pas le choix d'agir : nous allons bientôt crouler sous le poids financier, sociétal et personnel des maladies chroniques liées à l'obésité.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Francine Laplante

Femme d'affaires.



OÙ SONT LES PARENTS?



Les résultats de cette étude sont profondément inquiétants, mais non surprenants. Nos jeunes sont étourdis par tous les messages véhiculés dans les divers médias. Ils sont branchés 24 heures sur 24 sur un monde virtuel dans lequel aucune valeur morale traditionnelle n'est véhiculée. On leur dit qu'ils peuvent avoir encore plus, qu'ils peuvent être plus performants rapidement et sans efforts, qu'ils peuvent être plus beaux et plus belles, qu'il n'y a pas de mal à vouloir essayer, qu'il faut profiter de la vie à 100 milles à l'heure... De l'autre côté de la médaille, ces jeunes adolescents sont censés avoir des parents; où sont-ils? L'autorité parentale, l'implication et l'encadrement n'existent plus? Nous devons nous questionner sérieusement sur ce que signifie mettre un enfant au monde; c'est un contrat à vie et nous avons le devoir de guider nos enfants et les mettre au centre de nos intérêts. Nos enfants ne sont pas nos amis, nous avons un rôle éducatif à faire auprès d'eux, nous ne devons pas être cool et fermer les yeux sous prétexte qu'ils doivent faire leurs propres expériences. Nos enfants ont besoin d'être éduqués, encadrés, guidés et, surtout, ils ont besoin d'être aimés par un père et une mère. Ces enfants ont été conçus par un homme et une femme qui sont tous les deux nécessaires à son éducation. Des amis, ils en ont assez; c'est de parents dont ils ont besoin.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



LE POUVOIR PARENTAL



L'enfance et l'adolescence sont des étapes cruciales pour l'adoption de saines habitudes de vie. Les repas en famille, les plats cuisinés à la maison, l'appréciation des aliments frais et nourrissants sont devenus, c'est le cas de le dire, une denrée rare. Il faut voir les lunchs des enfants, quand ils en ont un, pour se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond. Pendant ce temps, la console vidéo a pris la relève des parties de ballon ou de hockey dans la rue. Le centre commercial est, lui, devenu le terrain de jeu des ados. Je sais que l'on me dira que les parents sont à la course, que ce n'est pas évident de préparer un repas tous les soirs, que bien manger coûte cher et qu'on ne peut surveiller constamment sa progéniture. Pourtant, les aliments frais coûtent bien moins cher que les aliments préparés. On peut cuisiner des repas savoureux rapidement. Il faut savoir tenir tête aux enfants et leur apprendre à apprécier des goûts différents. Le pouvoir parental existe pour donner à ses enfants les outils requis pour réussir. Cela inclut de ne pas souffrir de maladies conséquentes à des facteurs non héréditaires tels une mauvaise alimentation, un manque d'exercice, les drogues ou le tabac. Ce n'est pas facile d'être parent, mais ce n'est certainement pas plus facile d'être obèse ou drogué à 12 ans.

Denis Boucher

Mélanie Dugré

Avocate et mère de trois garçons.



NOURRIR UNE PASSION



Être jeune représente une étape à la fois magnifique et difficile de la vie. Elle n'est probablement magnifique qu'avec le regard nostalgique des souvenirs, car les deux pieds dedans, elle est souvent bien ingrate avec ses changements hormonaux et ses questionnements existentiels. La jeunesse est faite d'expériences et de découvertes que les jeunes doivent apprendre à faire en n'hypothéquant pas leur avenir et leur santé. Vivement que reviennent les cours d'éducation sexuelle au programme scolaire et que soient ouvertement abordés les risques, comme les bonheurs, inhérents à une vie sexuelle active. Malbouffe, sédentarité, abus d'alcool et de drogues ont à mon avis un remède qui, sans être infaillible, possède un excellent taux de succès : le sport. Mes petits joueurs de hockey de 4 et 7 ans, désireux de se surpasser sur la glace, qui posent des questions sur les qualités nutritives des aliments qu'ils consomment et qui engloutissent lentilles et brocolis sans ronchonner, en sont une preuve vivante. En fait, au-delà du sport, le secret est la passion; de n'importe quoi mais de quelque chose. Parce que nourrir une passion donne envie de construire plutôt que de s'autodétruire. Notre mission, donc: transmettre la passion à nos jeunes.

Mélanie Dugré

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



L'ÉTAT NE PEUT TOUT FAIRE



Mais qui est donc responsable de la condition physique et mentale de nos jeunes? La société? Le gouvernement? Ou simplement vous et moi, les parents? Une nouvelle tendance s'est installée depuis quelques années. Incapables de se prendre en main, nous nous fions sur le gouvernement afin de régler tous nos problèmes. Lorsque j'étais jeune, je passais le plus clair de mon temps à jouer dans un parc, été comme hiver. Certes, à cette époque, l'internet n'était pas disponible. Les restaurants servant de la malbouffe commençaient à peine à percer le marché québécois. Les drogues, quant à ellesm n'étaient pas aussi disponibles qu'elles ne le sont aujourd'hui. Les comportements sexuels à risque étaient tout aussi fréquents qu'ils ne le sont maintenant. Or mque s'est-il donc passé avec notre système d'éducation qui devrait aussi dicter la conduite de nos enfants, tout comme les parents qui sont les premiers responsables de l'éducation de leur progéniture ? En se fiant toujours aux autres, nous devenons peu à peu une société dépendante des lois instaurées, semble t-il, afin de tracer le futur de nos jeunes. Mais les lois ne sont-elles pas répressives? Est-ce là vraiment la meilleure façon d'éduquer les futurs bâtisseurs de notre société? L'État ne peut tout de même pas décider de tout!

Joëlle Dupont

Étudiante en sciences humaines au cégep de Lanaudière.

ENCORE ET TOUJOURS: L'ÉDUCATION



Je n'ai pas le recul historique suffisant à déterminer si les mauvaises habitudes des jeunes sont réellement un phénomène nouveau. Mais c'est un constat qui ne peut plus être nié. Est-ce inquiétant? Je dirais plus affligeant, attristant. Plus que mener à différents troubles de santé physique et psychologique, ces comportements privent une trop grande majorité de jeunes des bienfaits immesurables qu'on ressent lorsqu'on mène une vie saine. Ce sentiment d'habiter un corps sain, fort, un esprit alerte, d'avoir une énergie physique et mentale quasi infinie. C'est un cadeau que trop peu de gens, jeunes et moins jeunes, s'offrent. Sans surprise, le seul moyen de renverser la vapeur est une véritable prise de conscience collective (juste ça!). Chez la jeunesse, c'est un changement complet de mentalité (cesser de voir l'exercice comme une torture, d'envisager la malbouffe comme l'alimentation «cool» et le plaisir gastronomique suprême, etc.) qui est nécessaire. Et le seul moyen pour cela reste le même que pour tous les problèmes sociaux : l'éducation. C'est à la maison, dès la petite enfance, que tout doit commencer. Mais avant ça, il faudrait outiller les parents convenablement, ce qui n'est généralement le cas, malheureusement.

Joelle Dupont