Le maire de Québec, Régis Labeaume, veut renverser le rapport de force avec les employés municipaux. Il souhaite que les municipalités puissent réformer leurs régimes de retraite, et aient aussi le droit de décréter un lock-out et de dresser une liste de services essentiels, comme c'est déjà le cas à Calgary, Ottawa et Winnipeg. Le gouvernement Charest devrait-il accéder à la demande du maire Labeaume, appuyée par la Fédération québécoise des municipalités? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



EN POSITION DE FAIBLESSE



Lorsqu'on constate l'avance considérable qu'ont prise les employés municipaux sur l'ensemble des salariés québécois, y compris ceux qui travaillent pour le gouvernement du Québec et celui du Canada, il est difficile de ne pas être au moins partiellement d'accord avec la position du maire Labeaume. Pourquoi les municipalités devraient-elles être soumises au Code du travail sans pour autant jouir de tous les instruments de négociation qui sont disponibles aux autre employeurs? Après tout, les municipalités n'ont pas la capacité, comme les gouvernements, d'adopter des lois spéciales pour mettre fin aux négociations qui se révèlent infructueuses. Elles sont donc en position de relative faiblesse par rapport à leurs employés syndiqués et cette faiblesse s'est fait sentir non seulement en ce qui concerne les conditions de travail, mais peut-être encore davantage quant aux avantages sociaux , dont ceux de la retraite. En effet, les coût de la retraite ne se font pas immédiatement sentir et sont reportés à un avenir plus ou moins lointain. Entre temps, les dirigeants municipaux qui les ont approuvés auront quillé leurs fonctions. Et comme une municipalité, contrairement à une entreprise privée,  ne peut pas faire faillite il n'y a pas de frein véritable à la tentation de régler le présent au détriment du futur. Quant au système d'arbitrage imposé aux policiers et aux pompiers, il doit être conservé, mais il  pourrait être utile de réviser la manière dont sont choisis les arbitres. Au total, donc, les propos du maire Labeaume, tels qu'ils ont été rapportés dans les journaux, méritent d'être considérés sérieusement non seulement par le gouvernement mais aussi par le milieu syndical et l'ensemble de la société québécoise.


Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



LORSQUE LE JUPON DÉPASSE



Le temps est aux réformes, clame Régis Labeaume. Permettez-moi de rire! Il y a dix ans, plus de 200 municipalités disparaissaient à la suite des regroupements forcés par le gouvernement du Québec. Nos élus provinciaux et municipaux nous avaient alors présenté les fusions comme le remède à tous nos maux urbains. Une planification centrale du gouvernement provincial, jumelée à une centralisation des pouvoirs municipaux, était censée réduire les coûts et faire exploser le développement économique des villes québécoises. Mais que s'est-il passé? Comme plusieurs l'avaient prédit, on a surtout récolté une hausse des taxes, une baisse de la qualité des services et une intensification de la bureaucratie. Aujourd'hui, force est de constater que ce sont surtout les administrations et les syndiqués des villes fusionnées qui ont bénéficié de cette réorganisation. L'ambition du maire Labeaume de renverser le rapport de force entre la Ville de Québec et ses employés est louable. Mais il y a quelque chose d'ironique à utiliser l'argument de l'essoufflement des contribuables lorsqu'on amorce la construction d'un amphithéâtre de 400 millions $ puisés à même les fonds publics. Désolé, mais je ne suis pas certain que nos chefs syndicaux se plieront de bonne grâce aux incantations de notre bon maire. Lorsque le jupon dépasse...

Pierre Simard

Mélanie Dugré

L'auteure est avocate.



MARCHER SUR DES OEUFS



Le déséquilibre dans le rapport des forces entre l'administration et les employés municipaux est un secret de Polichinelle. Pourtant, le maire Labeaume a choisi de crever cet abcès et d'aborder franchement le problème en invitant les syndicats à une discussion à coeur ouvert sur le sujet. Cette démarche démontre d'emblée une ouverture et une certaine bonne foi. Si ce coloré maire ne fait pas l'unanimité, il faut néanmoins lui reconnaître un cran, une audace et un courage de se salir les mains dans des dossiers délicats et sensibles. J'entretiens toutefois quelques doutes quant à la pertinence du moment choisi pour amener ce débat sur la place publique. La cour des syndicats est déjà pleine avec le conflit étudiant, duquel ils se sont volontairement mêlés sans que personne ne leur torde le bras, et la loi 33 qu'ils ont accueillie comme une douche froide; à ce rythme, un sentiment de persécution pourrait poindre à l'horizon. Est-ce que les solutions avancées seront par ailleurs les bonnes? Cela reste à confirmer. Mais à voir la longueur des gants blancs qu'ont revêtus les différents ministres appelés à commenter les propos du maire, ils seront nombreux à surveiller leurs pas et à marcher sur des oeufs dans ce dossier.

Mélanie Dugré

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



UN CHANGEMENT INÉVITABLE



Pour retourner à l'équilibre budgétaire, les gouvernements (fédéral et provinciaux) devront analyser, dans un contexte de rémunération globale, si la rémunération des employés du secteur public canadien, incluant les coûts de leur régime de pension, est concurrentielle avec celle du secteur privé et ne pose pas des pressions indues sur les contribuables dont les revenus viennent en majorité du secteur privé. Si c'est le cas, ils devront trouver des solutions pour réduire ces pressions. Ces solutions pourraient prendre la forme de hausse de taux de cotisation des employés à leur régime de pension (se rapprocher d'une répartition des coûts 50%/50%) , de réduction des bénéfices  de pension et même de réduction de salaires ou d'autres bénéfices. Une telle démarche a déjà été incluse dans les derniers budgets du gouvernement fédéral et du gouvernement de l'Ontario. Le gouvernement du Québec ne pourra échapper à cette tendance; en fait, on voit déjà son positionnement à cet effet.  Cette démarche devra s'étendre à la gestion de l'ensemble des municipalités canadiennes. De façon plus générale, il faut repenser le financement des municipalités pour qu'elles puissent fonctionner de façon plus autonome et gérer sur le moyen et le long terme les services qu'elles offrent à leurs citoyens.  Les municipalités devront également être en mesure d'offrir à leurs employés une rémunération compatible avec le marché de l'emploi, sans être obligées de verser une rente monopolistique à certains groupes de travailleurs.

Jean-Pierre Aubry

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal. Il s'exprime à titre personnel.



CELA DOIT SE FAIRE CORRECTEMENT



Le maire Labeaume fait preuve de lucidité et d'un sens des responsabilités en formulant cette demande et le gouvernement Charest se doit d'y répondre favorablement et ce, rapidement. En effet, n'importe quelle analyse un tant soit peu sérieuse des comptes publics montre que les municipalités foncent tout droit vers un mur (certaines y sont déjà!) sur la plan financier. Afin de redresser la situation elles devront forcément réduire les coûts de leur masse salariale, y compris les coûts reliés aux régimes de retraite, puisqu'ils s'agit de leur plus important poste budgétaire. Par contre, le respect des contrats est un des piliers essentiels de l'économie de marché libérale. Il faudra donc s'assurer que les municipalités utilisent ces nouveaux outils afin de négocier des conditions de travail différentes avec leurs employés, pour l'avenir. À l'inverse, il serait injuste de modifier rétroactivement les conditions de travail. On peut en effet affirmer que des employés municipaux ont accepté les salaires qu'ils ont acceptés parce que ceux-ci incluaient un bon régime de retraite, à être honoré dans plusieurs années.

Michel Kelly-Gagnon

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



AU MAUVAIS MOMENT



La commande est grosse pour le maire Labeaume qui veut imiter les villes de Calgary, Ottawa et Winnipeg, qui ont réformé les régimes de retraite de leurs employés municipaux, et qui, au moment opportun, peuvent décréter un lockout et exiger que certains services essentiels soient respectés. D'un autre côté, le coloré maire de Québec ne doit pas s'offusquer du fait que les employés municipaux s'opposent fermement et fortement à cette demande. Non pas que cette demande ne soit pas sensée en période de crise économique, mais, bien plus, parce que les syndicats l'ont négocié de bonne foi, au vu et au su de la population que ces mêmes employés municipaux desservent. La ville de Québec n'avait qu'à refuser les demandes syndicales, si elle ne voulait pas se retrouver dans une telle situation. Il va falloir beaucoup de doigté pour éviter une confrontation majeure, surtout par les temps qui courent. Je ne crois pas que le gouvernement de M. Charest donnera suite à la demande du maire Labeaume, du moins pour l'instant. Le gouvernement a les mains pleines avec le conflit étudiant qui sévit et le bruit des casseroles qui l'accompagne. La dernière chose que MM. Charest et Labeaume veulent, c'est que ce tintamarre envahisse, soir après soir, les rues de la Vieille Capitale.

Jean Gouin

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



PAS À COUPS DE LOCK-OUT



À la façon dont les négociations se déroulent entre la Ville de Québec et ses pompiers, on serait en droit, sans vouloir froisser quiconque, de se demander s'il serait vraiment sage de transférer encore plus de pouvoirs à M. Labeaume. Certes, un plus grand nombre de services pourraient être déclarés essentiels, mais cela ne requiert pas nécessairement de tout virer à l'envers pour y arriver. M. Labeaume a certainement raison d'être inquiet de l'épée de Damoclès que représentent les régimes de retraite des employés municipaux. Cela est vrai non seulement à Québec mais aussi partout ailleurs. Il a, en ce sens, le courage de vouloir s'attaquer à un problème qui n'ira qu'en s'empirant et deviendra totalement ingérable d'ici quelques années. Ce n'est toutefois pas à coups de lock-out ou en voulant mettre les syndicats à genoux que l'on réussira à changer ces acquis syndicaux que les municipalités elles-mêmes ont autrefois accordé avec une insouciance consternante. En relations de travail comme en relations de couple, il vaut mieux discuter que de se chicaner. Cela donne toujours de meilleurs résultats.

Denis Boucher