Le PDG de Couche-Tard, Alain Bouchard, estime que le contexte hautement concurrentiel des dépanneurs, leurs marges extrêmement serrées et la nature même de leurs activités ne sont pas compatibles avec la syndicalisation de ces commerces. Êtes-vous d'accord avec sa vision? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



CUL-DE-SAC



Le cas Couche-Tard me rappelle mes premiers jours en tant que recruteur syndical. Il n'est pas toujours vrai de prétendre que les salariés contactent eux-mêmes une organisation syndicale afin d'y adhérer. Certaines campagnes de syndicalisation sont lancées par les recruteurs eux-mêmes qui, en manque de dossiers, doivent littéralement se trouver du travail. Couche-Tard est un beau défi pour un recruteur. Fleuron de l'économie québécoise, cette entreprise est la «victime» idéale afin qu'un syndicat se retrouve à la une et fasse connaître sa vision d'un monde du travail idéal et prospère pour les futurs membres, créant du même coup et sans frais une campagne publicitaire qui aidera à la syndicalisation d'autres groupes plus importants. Je ne suis pas contre le fait d'être syndiqué, mais je suis le premier à me demander si un dépanneur ou une grande chaîne en regroupant plusieurs a les reins assez solides pour supporter une telle démarche. Avec un énorme taux de roulement, Couche-Tard est-elle la bonne «cible» pour une centrale syndicale afin d'acccroître son membership?  Des dizaines de milliers de dollars provenant des cotisations syndicales perçues aux membres en règle de l'organisation sont et seront investis. Tout cela finira en queue de poisson, car les employés se décourageront de voir que ni la centrale syndicale ni le gouvernement ne pourront absolument rien faire légalement si l'entreprise décide de fermer des succursales. En fin de compte, qui sortira gagnant de cette aventure?

Donald Riendeau

Avocat et conseiller en éthique et gouvernance.



LE MEILLEUR INTÉRÊT À LONG TERME



Chacun y voit son intérêt à court terme. Pour les actionnaires, la syndicalisation de Couche-Tard représente des salaires plus élevés, moins de flexibilité dans la gestion et potentiellement une productivité réduite. Pour les employés, il ne fait aucun doute que la syndicalisation apportera de meilleures conditions. Pour les organisations syndicales, la syndicalisation d'un aussi important nombre d'employés représente un pactole que l'on n'a pas vu depuis longtemps. Il faut cependant rechercher le meilleur intérêt à long terme pour Couche-Tard en tenant compte des impacts sur les actionnaires, les employés mais aussi les autres parties prenantes. N'oublions pas que Couche-tard, RONA et CGI sont parmi nos dernières multinationales québécoises. Il faut leur donner les moyens de survivre dans un monde de la finance où lorsque les ratios sont moins bons, cela peut signifier la vente de l'entreprise à des intérêts étrangers ou pour certaines entreprises devenir la proie d'une offre hostile d'achat. Advenant ces scénarios, les profits et les impôts sortiront du Québec, tous les Québécois en sortiront perdants. Est-ce nécessaire de syndicaliser Couche-Tard en ce moment? Le risque en vaut-il la chandelle à long terme?

Photo fournie par Donald Riendeau

Donald Riendeau.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



L'ILLUSION DE LA SYNDICALISATION



Couche-Tard est un fleuron québécois dont le chiffre d'affaires et les profits font saliver les centrales syndicales. Néanmoins, l'industrie du dépanneur est fragile. On rapportait récemment qu'entre janvier 2008 et septembre 2011, plus de 1000 dépanneurs québécois ont dû fermer boutique. La contrebande de cigarettes et les règlementations gouvernementales sur la vente de produits (ex. : bière, lait) font que les marges bénéficiaires sont souvent très minces. Peut-on réellement croire que la syndicalisation des Couche-Tard permettra aux employés d'améliorer leur sort? On peut en douter! D'abord, parce que la syndicalisation n'est pas un bien gratuit pour l'employé : elle implique des cotisations et du temps à consacrer à des actions militantes. Ensuite, parce qu'en alourdissant le fonctionnement des dépanneurs, on incite les propriétaires à revoir l'allocation des ressources entre leurs facteurs de production. Ainsi, pour conserver une marge bénéficiaire acceptable, ils chercheront à obtenir le même supplément de production avec moins de travailleurs. Ce faisant, on peut présumer que ce sont des milliers d'emplois, souvent occupés par des étudiants, qui disparaîtront. Les bénéfices de la syndicalisation ne sont souvent qu'une illusion entretenue par des bureaucraties syndicales dans leur insatiable quête de revenus de cotisation.

Pierre Simard

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



UN SYNDICAT, PAS ESSENTIEL



Le syndicalisme est né à une époque où les enfants travaillaient dans les mines et les travailleurs n'avaient aucun droit. Cette époque est fort heureusement révolue en Occident. Le retour du pendule a éventuellement mené à des abus syndicaux dont les descriptions de tâches rigides et les avantages sociaux sans fin. Il est vrai que les patrons ont accepté ces conventions, mais souvent afin d'offrir la parité des avantages que les gouvernements accordaient à une époque où on ne semblait pas encore avoir lu la définition des mots dette et déficit. J'ai été syndiqué pendant une très courte période de ma carrière. L'objectif du syndicat semblait d'être en état constant de confrontation avec la partie patronale. Le climat était mauvais et finalement tout le monde y perdait. J'ai aussi travaillé au sein d'une grande entreprise pharmaceutique où il n'y avait pas de syndicat. Tout se faisait dans le but de motiver les employés, de leur accorder leur juste part des succès de l'entreprise et de les encourager à se dépasser. Tout cela pour dire que le climat de travail ne s'impose pas à coup de griefs, de grèves et de conventions collectives. Quand on regarde la liste des dix meilleures entreprises où travailler, on se rend compte que certaines sont syndiquées et d'autres pas. Preuve qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un syndicat pour créer un milieu de travail stimulant et respectueux des employés tout en ayant une entreprise prospère.

Denis Boucher

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



UNE GLACE MINCE



Dans l'ensemble du secteur privé, les syndicats ont fait faire des gains appréciables à leurs membres dans les secteurs d'activité où les marges de profits étaient relativement élevées et où il y avait relativement peu de concurrence.  Dans la dernière décennie, on a vu de nombreuses entreprises fermées parce qu'une concurrence plus vive les a empêchées d'avoir une rentabilité suffisante à cause de coûts unitaires en main-d'oeuvre plus élevés que leurs concurrents.  On a même vu des entreprises ayant un taux de rentabilité suffisant être fermées et être transférées ailleurs parce que leur haute direction voulait réaliser un taux de profit encore plus élevé.

Si la syndicalisation des dépanneurs de Couche-tard implique une hausse non négligeable des coûts unitaires de cette entreprise,  plusieurs de ses dépanneurs fermeront sous les pressions de la concurrence et les grands perdants seront les personnes qui y travaillent.  On pourrait éviter de tels résultats si la syndicalisation pouvait à la fois permettre d'augmenter conjointement  la rémunération et la productivité des employés. Malheureusement, cela est très peu probable. La syndicalisation engendrera probablement moins de flexibilité au gestionnaire, une plus grande difficulté de rémunérer les employés les plus performants et un climat de travail plus tendu. En bout de ligne, je ne suis pas certains que les employés fassent des gains monétaires et non monétaires appréciables, surtout dans un environnement où il y aura relativement moins de travailleurs que dans le passé à cause du vieillissement de la population. Les travailleurs qui auront à voter pour ou contre la syndicalisation devront bien réfléchir avant de prendre leur décision.

Jean-Pierre Aubry