Lundi prochain se tiendra la première du documentaire Dérapages, de Paul Arcand, sur l'attitude des jeunes face à la conduite automobile. Il y est notamment question de leur mépris du risque et des conséquences parfois dramatiques de leur témérité. À cette occasion, nous avons demandé à nos collaborateurs et lecteurs de dire comment, selon eux, on pourrait diminuer le nombre de jeunes victimes des accidents de la route.





Jean-Marie De Koninck

Président de la Table québécoise de la sécurité publique.

Surreprésentation des jeunes dans le bilan routier

Malheureusement, les jeunes conducteurs de 16 à 24 ans sont encore surreprésentés dans le bilan routier au Québec. Bien que cette problématique soit répandue dans l'ensemble des pays industrialisés, cette situation est inacceptable. Le Québec travaille constamment à améliorer la sécurité des jeunes, en trouvant des pistes de solution adaptées aux réalités québécoises. La meilleure approche demeure la mise en place d'un ensemble de mesures axées sur la sensibilisation, la législation et le contrôle, déployées en continu et en complémentarité les unes avec les autres, afin d'en retirer le maximum de retombées durables pour la sécurité des jeunes. Le Québec est déjà pourvu d'une législation adéquate. Parmi les nombreuses mesures, trois sont particulièrement porteuses. Le cours de conduite est redevenu obligatoire. L'accès aux pleins privilèges du permis de conduite est maintenant graduel, avec l'augmentation progressive de 4 à 15 du nombre de points d'inaptitude au dossier conducteur. Enfin, le 0 alcool pour les 21 ans et moins entre en vigueur le 15 avril 2012. Autant de mesures qui apporteront des bénéfices significatifs au cours des prochaines années. Dans tous les cas, pour augmenter nos chances de succès, il est primordial d'impliquer les jeunes dans la recherche de solutions.

Jean-Marie De Koninck

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal.

Serge, Karl et Patrick

J'ai souvent entendu parler de Serge. Celui qui jouait des tours ou de la guitare en grattant de bas en haut, car il était gaucher.  Serge pour moi, c'est comme une légende urbaine.  Serge, c'était mon oncle. Décédé il y a quelques décennies d'un accident de voiture. À bord d'une décapotable, il était simple passager, victime de l'inconscience d'un de ses amis. Puis, un jour, j'étais à l'université quand mon collègue de gauche m'apprend que Patrick, un collègue de l'école secondaire, venait de se tuer en voiture. Roulant juste un peu trop vite, sa voiture aurait percuté un arbre. Quelque temps plus tard, j'apprends que Karl, un collègue de l'école primaire périssait dans un accident de voiture. D'un geste innocent, je lui avais écrit un courriel à une adresse que j'avais trouvée sur un moteur de recherche. Sa conjointe m'avait répondu, car elle avait accès à ses courriels. J'avais alors appris que Karl ne connaîtrait jamais son enfant venu au monde quelques mois plus tard. Qu'est-ce qui peut nous éviter des accidents de voiture à un jeune âge ? Je ne sais pas. Mais, de temps à autre, je pense à Serge, Patrick et Karl, et je me dis que le hasard aurait pu faire que ce soit l'un d'eux qui écrive ces lignes à mon sujet. Leur décès aura laissé plusieurs personnes dans le deuil, mais il aura aussi contribué à marquer l'imaginaire des autres. La prévention, la sensibilisation et les expériences personnelles semblent toutes des éléments pouvant contribuer à nous rendre plus prudents sur la route : peu importe notre âge.

Nestor Turcotte

Philosophe.

L'hécatombe routière

La route est devenue un champ de courses. Elle est encombrée de gens distraits, inconséquents, l'esprit ailleurs. Et cela, pour toutes sortes de raisons. J'en retiens une seule : les nombreux gadgets qui s'accumulent dans les voitures utilitaires. En plus de la radio, souvent munie de haut-parleurs très puissants, s'ajoutent  la télé pour les enfants, le GPS pour les perdus, les cadrans qui donnent l'heure, le thermomètre électronique pour la température, le système de CD, les écrans pour indiquer la route, les volants ajustables, les pitons à gauche, à droite, un tableau de bord sophistiqué. Le conducteur, même si la loi l'interdit, possède et utilise son cellulaire, en surveillant la police du coin de l'oeil, tout en essayant de se frayer un chemin dans la cohue de fins de journée, dépassant en zigzag le conducteur qui lui obstrue le chemin sur les grandes artères? Pas besoin d'ajouter à cela l'utilisation de drogue, la consommation abusive de boissons alcooliques, les nombreuses distractions offertes par les panneaux de réclame. Il ne manque rien pour distraire le conducteur. Faut-il imposer de plus lourdes amendes à ceux qui se foutent éperdument du code la route? Évidemment. Mais il faut faire davantage. La technologie peut certes inventer un dispositif codé dans une carte qui ferait en sorte que le dossier routier du conducteur soit fiché. Tout véhicule devrait démarrer avec une carte à puces. Toute voiture en circulation ne pourrait démarrer en utilisant une carte qui n'est pas conforme à la sécurité routière. Il faut trouver un moyen technologique universel pour stopper les tueurs des autoroutes, des carrefours urbains.

Nestor Turcotte

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.

La solution dans le permis probatoire

La statistique que les jeunes détiennent 10 % des permis, mais qu'ils sont impliqués dans 25 % des accidents sera certainement entendue maintes fois au cours des prochains jours. Paul Arcand ne manquera sûrement pas de nous montrer quelques débiles légers la casquette à l'envers, le fond de culotte aux genoux et au vocabulaire digne d'un ours brun. On aura aussi droit aux tragiques victimes dont la vie a été brisée ou terminée par ces Ben-Hur du bitume et aux « si j'aurais su » (la faute grammaticale est volontaire) en gros plans. On peut aussi parier que l'on entendra le mot « accidentogène » quelque part dans le film. Un mot derrière lequel se cache la police pour distribuer à tout vent les lucratives contraventions sur les autoroutes Bonaventure, Ville-Marie et Décarie dont la limite de vitesse se situe à 70 km/h, plutôt que de se poster là où les fous du volant posent vraiment danger. Mais on pourra parler de cela un autre jour... Le 1er juillet, cela fera 50 ans que l'on peut obtenir un permis de conduire à 16 ans au Québec. L'insouciance des jeunes n'est pas une nouveauté et on imagine que le législateur a pris cela en considération à l'époque. Il est vrai que les automobiles et les conditions routières sont différentes aujourd'hui. Il faut donc, à mon sens, donner une bien meilleure formation à tous ceux qui veulent obtenir un permis. L'expérience de conduite étant certainement un facteur important dans l'appréciation des dangers associés à la conduite automobile, des cours de conduite de pointe, de conduite sur neige ou sur simulateur pour situations d'urgence seraient autant d'approches qui permettraient d'améliorer les capacités des jeunes conducteurs. Avec le système de permis probatoire, il semble que ce serait nettement suffisant pour encadrer la conduite des jeunes.

Denis Boucher

Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec.

En finir avec la tolérance

Il n'y a pas une seule journée de la semaine où nos quotidiens ne nous rapportent pas des incidents malheureux survenus sur nos routes et impliquant des jeunes. La vitesse, l'alcool, le téléphone cellulaire, le texto, la bravade, la conduite erratique, ne sont que quelques-unes des causes dont les conséquences sont, soit handicapantes pour le reste de la vie, soit la mort pour les jeunes contrevenants ou, pire encore, pour ceux qui se sont retrouvés par hasard sur leur route. Les publicités mises de l'avant pour la sécurité routière au Québec, il  a quelques années, étaient des plus percutantes. Je les trouvais dures mais elles nous faisaient réaliser qu'un seul petit instant d'inattention pouvait être fatal. La SAAQ avait mis le paquet. Elle voulait nous sensibiliser et nous conscientiser. Il faut croire que les jeunes n'ont pas retiré de ces publicités les enseignements qui s'imposent. Devant le « je m'enfoutisme » de nos jeunes conducteurs, la société doit réagir avec beaucoup plus de fermeté, quitte à retirer le permis de conduire à des contrevenants pour des périodes plus ou moins longues. Et cette sévérité devrait s'étendre également aux téméraires qui se croient « super cool » en faisant du car surfing ou encore du sofa surfing. Un permis de conduire, ça se mérite. L'irrespect et le mépris de certains face au code de la route et à l'endroit de leurs concitoyens m'est devenu intolérable. On ne peut plus se rabattre sur le « excusez-le, il est encore jeune ». Oui, c'est vrai, en fait, trop jeune pour avoir un permis.

Jean Gouin

Jean-Pierre Aubry

Économiste.

Un train de mesures

Il me semble préférable de tenter de réduire les accidents d'automobile causés par l'imprudence des jeunes conducteurs par plusieurs mesures plutôt qu'en misant sur une seule.  Les mesures qui ont pour objectif de sensibiliser les jeunes aux risques et aux conséquences de conduire imprudemment ont toujours leur place. Il faut continuer d'innover dans ce domaine pour trouver des modes de communication  et des messages pour mieux rejoindre le public cible.  Je ne pense pas qu'il faille augmenter l'âge minimal pour obtenir un permis de conduire, mais on peut penser à des mesures pour faire en sorte que les jeunes conducteurs évoluent graduellement vers une pleine autonomie (sans la présence d'un conducteur adulte) en tout temps (versus conduite uniquement de jour) .   Les lois me semblent suffisamment sévères, à l'exception d'une trop lente progression des pénalités pour les récidivistes.  Par contre, les autorités ne prennent pas suffisamment de moyens pour identifier et pénaliser tous les conducteurs, jeunes et plus vieux, qui ne respectent pas les règlements de la circulation.  La lenteur à mettre en place des radars reflète ce laxisme. Finalement, je suis toujours surpris par le fait qu'il y a encore beaucoup  trop de messages publicitaires des grandes compagnies d'automobiles qui encouragent la vitesse au volant.

Jean-Pierre Aubry

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



Enregistrons les données


Il est évident que la sensibilisation et la prévention ne fonctionnent pas avec les jeunes conducteurs. Les accidents mortels et ceux causant de graves blessures ne cessent d'augmenter malgré les efforts des gouvernements et des organismes concernés. Comme pour les conducteurs plus âgés, il y a certains jeunes qui sont plus responsables et qui respectent le code de la sécurité routière. Il serait donc injuste de tous les pénaliser en augmentant, par exemple, l'âge de délivrance du permis de conduire à 18 ou encore 21 ans, comme le suggèrent certains intervenants. Dans certains pays, un appareil qui enregistre les données de conduite est installé dans le véhicule de l'apprenti conducteur. Cette compilation est consultée par l'assureur, qui ajuste les primes à la baisse ou à la hausse, selon les habitudes de conduite de son client. De plus, si un tel appareil était rendu obligatoire ici, les parents pourraient aussi être impliqués, car toutes les données leur seraient disponibles via leur ordinateur. Ainsi, tous y trouveraient leur compte. Le jeune, se sentant surveillé à la fois par ses parents et par l'assureur, qui aurait le loisir d'augmenter sa prime au besoin, n'aurait d'autre choix que de se responsabiliser en conduisant de façon sécuritaire. Donc, une façon simple et peu coûteuse pour la société qui pourrait sauver des vies. Il ne reste qu'à la mettre en place!

Francine Laplante

Femme d'affaires.

Marteler le message

La date du 3 novembre 2006 est gravée à jamais dans ma tête et dans mon coeur. Le téléphone a sonné à minuit trente;  ma soeur hurlait au bout du fil, les policiers venaient de lui annoncer que son fils de 23 ans s'était tué dans un accident de voiture. Tout comme dans les films, les policiers ont sonné à sa porte, ils lui ont demandé de s'asseoir, pour ensuite lui annoncer que Karl n'avait eu aucune chance et qu'il était mort sur le coup. Ils étaient trois dans la voiture; deux sont décédés, dont Karl, qui était le conducteur. Mon neveu, qui était électricien et très responsable, était le père de deux jeunes enfants de 2 ans et de 11 mois. Que s'est-il véritablement passé? La vitesse, la témérité, un dépassement illégal? La seule chose que nous savons, c'est que l'alcool n'était pas en cause. Mince consolation, direz-vous. Mais ce soir fatidique d'automne 2006, la route a fait plus que ces deux victimes : ma soeur et mon beau-frère ont vieilli de 10 ans en une minute et ils ont perdu complètement leur goût de vivre, la soeur de Karl a fait une dépression, sa grand-mère s'est réfugiée dans le silence et elle est décédée de peine moins de deux ans plus tard. Nous sommes une grande famille unie, pour qui la mort de Karl a été un drame indéfinissable. Le seul point positif s'il en est un, c'est que les nombreux cousins, cousines et amis de Karl ont été marqués au fer rouge et sont d'autant plus sur leur garde quand ils sont en voiture. Vous comprendrez que nous aurions préféré un autre moyen que celui-ci pour les sensibiliser contre la vitesse et la témérité au volant. Il n'y a pas de recette miracle, il faut poursuivre la sensibilisation et marteler le message encore et encore puisque certains ne comprennent toujours pas. J'aimerais vous rappeler que la victime de l'accident survenu à Beauharnois cette fin de semaine avait 40 ans et qu'il était dans la boîte arrière d'une camionnette alors que le conducteur roulait à vive allure.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique.

Prison pour jeunes

Pauvres jeunes! Ils n'ont même plus droit à l'inexpérience. On les tient responsables de tous les maux du monde. Comme s'ils étaient tous des criminels en puissance. C'est vrai que les statistiques montrent que les jeunes conducteurs sont surreprésentés dans les accidents de la route. Est-ce suffisant pour justifier qu'on discrimine toute une population en fonction de son âge? On en finit plus d'imposer des restrictions aux jeunes conducteurs: cours de conduite, permis d'apprenti, permis probatoire, tolérance zéro en matière d'alcool, limitation des points d'inaptitude. Certains aimeraient même leur imposer un couvre-feu. Pourrait-on laisser les jeunes apprendre à vivre? Jusqu'où irons-nous dans notre quête du risque zéro? Aurait-on oublié que nos jeunes ont aussi des aspirations et des désirs de mobilité? Serait-on devenu trop vieux collectivement pour tolérer les imperfections de la vie en société? Il faudra un jour cesser de croire que chaque accident de la route justifie une loi ou un règlement de l'État. On ne façonne pas un citoyen responsable par la coercition, mais par l'éducation. Dans cette perspective, le film de Paul Arcand apportera davantage à la conscientisation des risques de la route que toutes ces réglementations gouvernementales qui sont en voie de transformer le Québec en prison pour jeunes.

Pierre Simard

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.

À tombeau ouvert

On ne le répétera jamais assez : la vitesse brise des vies. Influencés par ce qu'ils voient à la télé et au cinéma, les jeunes se croient invincibles. Ils ne mesurent pas les risques d'une conduite téméraire.  Avec une population de 8 millions d'habitants, chaque décès ou handicap causé par un accident de la route constitue un véritable drame. Il s'avère donc indispensable de mettre toute la société à contribution afin de diminuer le nombre de victimes : parents, écoles, policiers, gouvernement. Les campagnes de prévention ne doivent pas faire dans la dentelle car informer, c'est protéger. Il faut également prévoir des sanctions plus sévères à l'endroit des fautifs. On devrait pouvoir leur faire rencontrer une personne qu'un chauffeur intrépide a rendue invalide : réfléchir ne tue pas.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.

Mesures multiples requises

Plusieurs initiatives ont déjà été instituées pour diminuer le nombre d'accidents. Les cours de conduite sont redevenus obligatoires après leur abolition intempestive de 1997 à 2010. L'acquisition d'un permis régulier s'effectue de manière graduelle : le permis d'apprenti, puis le permis probatoire, aux conditions sévères, pendant deux ans. Il sera intéressant de voir si ces mesures seront suivies d'une diminution d'accidents chez les jeunes. Augmenter l'âge requis pour l'obtention du permis m'apparaît l'action la moins sensée. Elle priverait de permis les jeunes qui sont responsables et qui en ont besoin pour aller étudier ou travailler, notamment en région. Depuis des lustres, on discute de certaines dispositions qui diminueraient les accidents des jeunes, mais aussi des plus vieux chauffards. Ainsi, le nombre de radars photos devrait augmenter, surtout aux endroits les plus à risque d'accident. Le dispositif antidémarrage sensible à l'alcool devrait faire partie d'équipement standard des nouvelles voitures. La sensibilisation dès le plus jeune âge au Code de la route devrait figurer au programme scolaire. Au secondaire, au moment où le jeune commence à convoiter un permis, il faudrait lui montrer clairement ce que la vitesse, l'absence de la ceinture de sécurité et l'alcool au volant causent comme dégâts matériels et humains.