Pâques n'étant plus une fête religieuse pour la plupart des Québécois, y a-t-il encore lieu de la célébrer? N'est-ce plus que l'occasion de profiter d'un week-end de congé comme tant d'autres? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



UN TEMPS D'ARRÊT



La ferveur religieuse n'est certainement plus ce qu'elle était du temps où l'Église exerçait une influence omniprésente dans la vie des québécois. Je laisserai aux historiens, sociologues et anthropologues le soin d'expliquer pourquoi les Québécois ont délaissé la religion mais le constat est évident pour tous. Que l'on soit catholique pratiquant, croyant non pratiquant, adepte d'une autre religion ou simplement athée, on ne peut nier l'influence et l'impact de la religion catholique sur les valeurs de notre société. Que l'on croit ou non à la mort du Christ sur la croix et à sa résurrection, Pâques est une fête qu'il est important de célébrer tout autant que Noël et l'Action de Grâce. Ces moments sont importants puisqu'ils nous permettent un temps d'arrêt dans l'incessante course folle de la vie moderne et qu'ils nous donnent l'occasion de s'asseoir en famille et entre amis afin de partager et de célébrer. Si le caractère religieux de Pâques est de plus en plus escamoté, il ne faut quand même oublier que cette fête nous permet de mettre de l'avant des valeurs que nous aurions certainement intérêt à pratiquer davantage puisqu'elles rendent notre société meilleure.

Denis Boucher

Raymond Gravel

Prêtre.



UNE FÊTE POUR TOUS



C'est évident que cette fête est d'abord religieuse et chrétienne, mais tout le monde peut y trouver son compte, car Pâques qui veut dire «Passage» , emprunte le cycle lunaire et se célèbre toujours après la première pleine lune du printemps. Toute la vie est faite de «passages» : on naît, on grandit, on se transforme, on évolue et puis, on meurt. La question qu'on se pose est la suivante : la mort est-elle le dernier passage de la vie? Certains diront oui! D'autres non! Il semble que la nature elle-même nous indique que la mort n'a pas le dernier mot sur la vie. Lorsque arrive le printemps, tout ce qui semblait mort renaît : les fleurs, les arbres, les insectes, les oiseaux migrateurs reviennent, les animaux qui s'étaient terrés tout l'hiver sortent de leur hibernation. La vie reprend son cours...C'est le printemps, c'est la vie nouvelle; c'est le passage de la mort à la vie. Au 18e siècle, le philosophe français Antoine Lavoisier ne disait-il pas : « Rien ne se perd, rien ne se crée; tout se transforme ». Il est vrai que certains passages sont plus difficiles que d'autres : la mort en est un! Qu'on soit croyant ou pas, la vieillesse, la maladie, la souffrance sont ou seront le lot de la majorité d'entre nous. C'est pourquoi, il nous faut nous poser toutes les questions soulevées par cette réalité : Qu'est-ce que la vie? La mort est-elle un droit ou une conséquence de la vie? La souffrance est-elle un mal nécessaire? La fête de Pâques nous invite à réfléchir sur le sens de la vie, et cette réflexion n'est pas réservée seulement aux croyants et aux chrétiens. Célébrer Pâques, c'est nous rappeler que le Vendredi Saint précède toujours le dimanche de Pâques; mais il s'agit aussi d'un passage. Comme le disait bien l'exégète français Jean Debruynne : « La mort et la résurrection de Jésus sont un passage. On ne s'installe pas dans le passage...Le passage est fait pour passer ». Aujourd'hui, de plus en plus de gens, croyants ou pas, s'interroge sur la fin de vie, sur la souffrance et sur la mort. Dans la situation où le passage s'éternise, peut-on et doit-on l'aider à passer? Joyeuses Pâques!

Raymond Gravel

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



CONGÉS PAYÉS



Malgré le fait que j'ai été élevé par des parents croyants pour qui les fêtes religieuses revêtaient une certaine importance, Pâques ne symbolise rien d'autre pour moi que l'occasion d'avoir deux jours de congé payés. Il faut dire, par contre, que cette fête est tout de même l'occasion de visiter mes parents tout en prenant un bon repas en famille. C'est là tout pour moi ce qui reste des traditions reliées à cette fête. Les nombreux scandales entourant l'Église catholique auront fait en sorte qu'il m'est difficile de croire en cette institution et les fêtes telle que Pâques, ainsi qu'aux valeurs qu'elle véhicule. Ce n'est pas tant les scandales qui me laissent perplexe mais plutôt le fait que l'Église tente par tous les moyens de les cacher.  L'hypocrisie et les mensonges ne devraient pas faire partie du mode de vie catholique. C'est écrit dans la Bible! Pourtant, le Vatican et l'Église en font usage et ne s'en gênent même pas. Je vais donc profiter des mes journées de congé payées en ayant une pensée particulière pour les personnes que j'aime, tout en me disant, bien malgré moi, que Pâques est une fête importante pour certaines personnes que je respecte malgré tout.

Alain Vadebonvoeur

Médecin urgentologue.



RESSUSCITER PÂQUES


Je voudrais bien m'y efforcer, je n'ai rien contre ceux qui pensent autrement, mais rien n'y fait: le congé de Pâques est tout simplement dans mon esprit... un long congé, à une époque de l'année où il commence à faire bon aller dehors, où on en profite aussi pour nettoyer le garage et prendre du temps pour nos proches, par exemple recevoir la belle-famille, tradition immuable depuis vingt ans chez nous. Bon, vous me direz que l'aspect religieux prend le bord. Savez-vous quoi? J'imagine que vous n'avez pas tort. Bien entendu, Pâques, pour moi, c'est aussi le « souvenir » de la mort de Jésus et de sa résurrection, j'ai eu une sorte d'éducation catholique, du moins ce qui en restait à l'époque, dans les années 1970. Mais j'ai probablement plus de souvenirs provenant du film de Franco Zeffirelli (ou même de Jesus-Christ Superstar, que des amis avaient monté sur la scène de l'école primaire, à l'époque) que des cours de religion proprement dits. J'aimerais bien affirmer que les valeurs d'humanisme et de tolérance qui tendent, je crois bien, à inspirer plusieurs de mes choix et mes actions, trouvent une résonnance toute particulière durant le congé Pâques, là en contact avec une source de l'idée de respect d'autrui et de la tolérance, communient donc avec le pardon chrétien, mais même cela... je ne pourrais pas, pour rester bien honnête. Je n'ai pas dit que ne surgissent pas quelques résonnances ici et là : une idée qui me vient, une image, un lien, un cri. Pourquoi pas, puisque notre manière d'appréhender le monde vient en partie de là, mais bon... d'autres diront que ça nous vient de tellement d'autres traditions, chrétiennes ou non. Et fermons bien entendu l'oeil sur l'accumulation d'horreurs que l'Église catholique a aussi semées sur son passage durant les siècles à venir. Alors qu'est-ce je vous dirais, de Pâques, à brûle-pourpoint? D'abord, foncièrement, est-ce que ce que je suis convaincu que tout ça a tellement d'importance? La bible ayant trouvé sa forme définitive bien des siècles après les événements décrits, on comprend qu'il s'agit là d'une vaste allégorie, à partir de choix délibérés entre plusieurs récits, certainement en fonction d'objectifs beaucoup plus complexes que la seule transmission de la foi. Alors, référer aujourd'hui à ces dates éloignées comme à de faits réels, cela ma paraît un peu... quoi? Absurde? Alors que reste-t-il de Pâques, tout de même? Certainement l'allégorie, vaste et résonnante, celle d'une des plus belles histoires qui aient été jamais comptées, inspirante et fondatrice, fondamentale aussi dans l'évolution de l'occident, même s'il est aujourd'hui fort difficile d'y adhérer. Quoique, signe que c'est une histoire fort importante, beaucoup de gens, dont moi, se posent aujourd'hui la question : quel est son sens réel? Et ça, c'est déjà beaucoup. C'est même l'essentiel : revisiter, requestionner, réinterpréter. Faire revivre. C'est bien de ça dont on parle, non? La résurrection?

Dr Alain Vadeboncoeur

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



RÉFLÉCHIR SUR LE MESSAGE DE JÉSUS



Que l'on soit croyant ou non, certains enseignements de Jésus se révèlent d'une grande actualité. Dans notre société fragmentée et abonnée en bonne partie à la performance, à la vitesse, à la productivité, à la compétition, un arrêt de quelques jours pour réfléchir sur ce qui est important n'est pas inutile. Quelques temps de méditation solitaire, familiale ou communautaire peut accomplir un certain ménage de printemps dans nos esprits tiraillés entre mille obligations réelles ou imaginaires. Alors que le fossé entre les riches et les pauvres s'élargit, la préoccupation que manifestait Jésus envers les pauvres est tout contemporaine. Alors que les itinérants se multiplient dans les rues de nos villes, ne devrait-on pas songer à l'accueil que Jésus prônait pour les plus démunis? Alors que l'on profère souvent des jugements hâtifs, ne devra-t-on pas réfléchir à la notion du pardon? À propos des mensonges privés et publics, Jésus ne disait-il pas que « la vérité fera de vous des hommes libres »? « Paix à tous, croyants et incroyants. » (André Comte-Sponville, dans L'esprit de l'athéisme) Joyeuses Pâques!

Jana Havrankova

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.



UNE TRADITION

Les fêtes de Pâques et de Noël ont certes perdu de leur caractère religieux mais demeurent, dans l'esprit de beaucoup de Québécois, une tradition qui obéit à certains rituels, tels que les réunions autour d'un copieux repas (jambon à Pâques, dinde et bûche à Noël), la chasse aux oeufs en chocolat, les échanges de cadeaux, etc. Ce sont des occasions de se réunir en famille pour partager d'agréables moments qui deviendront plus tard de précieux souvenirs. Ces célébrations nous permettent aussi de conserver un lien privilégié avec le passé. Elles font partie de notre héritage. Joyeuses Pâques!

Francine Laplante

Femme d'affaires.



FAIRE LE PLEIN D'ÉNERGIE ET DE SAGESSE



Le congé pascal est pour moi le moment idéal pour reprendre mon souffle et me recueillir sur les évènements qui ont marqué les premiers mois de l'année. Je profite de ce moment pour faire le plein d'énergie et de sagesse, afin de continuer ma route le plus sereinement possible. Il y a, dans cette Semaine sainte, quelque chose d'inexplicable qui vient apaiser mon âme et mon coeur. Je suis croyante catholique critique,  j'adhère aux règles fondamentales de la vie: le respect, l'amour, le partage, l'empathie et je crois que nous devons aimer inconditionnellement nos enfants. Je crois que nous devons leur inculquer des bases solides en leur transmettant les valeurs profondes qui nous ont été laissées en héritage par notre culture chrétienne. En ce dimanche de Pâques, j'assisterai à la messe en compagnie de mes enfants. Par la suite, nous partagerons le diner avec leur seule grand-maman qui vit encore, pour finalement se retrouver en famille autour d'une table à déguster le repas pascal traditionnel que ma défunte mère se faisait un devoir de préparer pour ses douze enfants. Je veux d'abord et avant tout que mes enfants se souviennent de la douceur de ces moments et qu'ils aient à leur tour, un jour, le goût de les transmettre à leurs enfants. Être croyante pour moi c'est croire en la beauté de la vie et en la bonté de l'être humain. Bon congé pascal!

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.



LE PLAT DE BONBONS



J'ai lu sur internet que Pâques est « une fête religieuse qui commémore le passage de la Mer Rouge pour la religion juive [...] la résurrection de Jésus pour la religion chrétienne [...] et une fête païenne qui annonce l'éveil du printemps. » Heureusement que je suis branché! Comme beaucoup de Québécois, j'ai été élevé dans la religion catholique. Néanmoins, dans mon esprit, Pâques est essentiellement une fête de famille où on oublie ses soucis quotidiens et son régime alimentaire, pour se gaver d'oeufs et de lapins en chocolat. C'est sûrement la faute du capitalisme si j'ai des blancs de mémoires! Je sais que plusieurs bonnes âmes dénoncent la surconsommation et le mercantilisme associé aux festivités pascales. Gardez quand même le coeur à la fête! On peut toujours se trouver une bonne raison pour festoyer. Par exemple, à l'occasion du long week-end de Pâques, nos politiciens et bureaucrates font relâche. Imaginez : quatre jours pendant lesquels ils ne dépenseront pas vos impôts pour votre bien! Dites-vous que Pâques est l'une des rares occasions où vous aurez l'impression d'être le seul à piger dans le plat de bonbons. Voilà une bonne raison pour se régaler!

Pierre Simard

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



À NOUS DE CHOISIR



Les congés reliés aux fêtes religieuses sont de moins en moins utilisés pour faciliter la participation des chrétiens à la célébration des offices religieux qui les accompagnent.  Ainsi en est-il de Noël, et de Pâques (le Vendredi saint).  Il en est de même pour les dimanches.  La population est moins homogène, moins pratiquante et  plus attachée à un plus grand éventail de cultures et de religions (incluant l'athéisme). En passant, le choix collectif d'avoir un jour additionnel de congé le lendemain de Pâques au lieu du Vendredi saint est très révélateur de la baisse tendancielle de la pratique religieuse au Québec.  Les autres jours fériés ( Jour de l'An et son lendemain,  le lendemain de Noël, la fête de la Reine/le Jour des patriotes, 24 juin et premier juillet,  Jour de l'Action de grâce) sont également utilisés par plusieurs comme de simples journées de congé. On apprécie tout spécialement les fins de semaine de trois jours. C'est la responsabilité des personnes ou des familles de profiter de ces congés pour organiser des rencontres, pour  fraterniser, pour participer à de célébrations religieuses ou civiques ou tout simplement pour se reposer d'un rythme de vie effréné. Il est cependant clair qu'on s'éloigne d'un mode de célébration où une grande proportion de la population suit à peu près la même séquence d'activités familiales et communautaires.

Jean-Pierre Aubry