Les immigrants francophones ont du mal à se trouver un emploi à Montréal parce qu'ils ne parlent pas anglais. Le gouvernement Charest consacre des millions pour financer leurs cours l'anglais. Êtes-vous d'accord avec cette politique? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



LE FRANÇAIS D'ABORD



Une des tâches du nouvel arrivant au Québec, c'est apprendre la langue commune, le français. D'ailleurs, le gouvernement québécois dépensera en 2012-2013 299 millions $ pour franciser et intégrer les immigrants. (On peut se demander si cet argent est bien utilisé et quels sont les résultats, mais il s'agit d'un autre débat.) Parmi ces dépenses, le montant consacré à l'apprentissage de l'anglais s'avère modeste : 2,1 millions $ depuis 2008, même pas 1 % des déboursés annuels. Quoi que l'on fasse ou pense, en Amérique du Nord, la langue commune, c'est l'anglais. Pour plusieurs emplois au Québec, la connaissance de l'anglais est incontournable. Même en France, 53 % des cadres supérieures considèrent que l'anglais constitue un atout. Si les Québécois de naissance apprennent l'anglais, c'est surtout pour pouvoir accéder à certains postes. Si l'on veut que les immigrants s'intègrent aussi bien que les natifs dans l'économie, il convient de leur fournir des outils pour ce faire. Toutefois, l'apprentissage du français demeure prioritaire. Le gouvernement devrait mettre sur pied un système du suivi de cet apprentissage, ce qu'il ne fait pas à ma connaissance. Des évaluations du progrès des nouveaux arrivants pourraient être réalisées à des intervalles réguliers pour s'assurer que ceux-ci acquièrent la langue d'Anne Hébert.

Jana Havrankova

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



NE JOUONS PAS À L'AUTRUCHE



La langue officielle au Québec, c'est le français, mais cela ne signifie pas pour autant que c'est la seule langue qu'il faille parler. Nous sommes dans un pays bilingue et, au Canada, le français est la langue maternelle d'environ 25% de la population. Nous ne pouvons ignorer toutefois le fait que près de 20% de la population québécoise utilise presque seulement la langue de Shakespeare. Ainsi, un immigrant qui s'installe au Québec ne devrait pas se surprendre de devoir connaître l'anglais pour pouvoir travailler à certains endroits. Selon moi, le plus beau cadeau que l'on puisse faire à nos enfants, c'est de les amener à chérir et à utiliser notre langue maternelle, le français. Mais, c'est également de les aider à s'ouvrir sur le monde et de leur permettre de parler une seconde langue, voire une troisième. Cela étant, il n'appartient pas au gouvernement québécois d'investir dans des cours d'anglais pour les immigrants français. Il a cependant le devoir moral de les informer adéquatement. Ces derniers ont également le devoir de s'assurer qu'ils répondent aux critères d'embauche avant de s'installer au Québec, comme nous tous d'ailleurs. En contrepartie, si l'on enseigne l'anglais aux immigrants français en vue de répondre aux besoins du marché du travail et augmenter notre compétitivité, alors pourquoi ne pas le faire également pour les Québécois désireux d'obtenir ces emplois ? On n'en est plus à un paradoxe près.

Jean Gouin

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



CRITÈRES DE SÉLECTION À REVOIR



À la base, il faudrait peut-être revoir nos critères de sélection en immigration. À quoi bon faire miroiter mer et monde à des immigrants si, une fois arrivés ici, ils n'ont pas les compétences ou les connaissances requises pour se trouver un emploi stable et bien rémunéré? Il est carrément injuste sinon irresponsable de permettre à des personnes d'immigrer au pays si l'avenir qui les attend en est un de chômage et d'assistance sociale. C'est une situation où, à la fois, la société québécoise et les personnes immigrantes sont perdantes. L'immigration peut apporter énormément à un pays en autant que les personnes immigrantes puissent contribuer pleinement à leur nouvelle société. Le rôle du gouvernement est de voir à aller chercher des gens qui puissent donner le meilleur d'eux-mêmes. Si, par contre, on a laissé entrer des gens chez nous qui n'ont pas ce qu'il faut pour se trouver un emploi, la pire chose que le gouvernement pourrait faire serait de les abandonner. Nous avons permis à ces gens d'être ici. Il nous appartient donc de nous en occuper de façon à ce qu'ils puissent, un jour, avoir les mêmes opportunités que nous tous. Si ça passe par des cours d'anglais, ainsi soit-il.

Denis Boucher

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.



LE FRANÇAIS N'A JAMAIS ÉTÉ AUTANT PARLÉ



Ainsi donc, depuis 2008, La Presse estime qu'environ 0,5% des immigrants, nouveaux arrivants (depuis moins de cinq ans au Québec) et réfugiés, ont eu droit à des cours d'anglais payés par Emploi-Québec.  Cette nouvelle déclenchera sans doute auprès des anglophobes un concert sur le « déclin » du français et des problèmes d'intégration des immigrants même si, en 2006, on observait pour la première fois qu'une majorité d'allophones (51%) vivant au Québec avaient adopté le français comme principale langue d'usage à la maison, ce qui contraste avec les 39% obtenus en 1996. Il n'y a jamais eu autant de personnes parlant le français au Québec dans toute son histoire qu'aujourd'hui. L'immigration bénéficie à la société d'accueil et aux immigrants eux-mêmes: l'intégration et l'interculturalisme sont des processus d'échange culturel, économique et humain dont la responsabilité (et les bénéfices) revient aux immigrants et à la société d'accueil.  La société d'accueil devrait faciliter l'accès au travail en réduisant les barrières à l'entrée sur le marché du travail telles le salaire minimum et le refus de reconnaître les certificats de compétence étrangers.  L'immigrant, lui, devrait investir dans son avenir en prenant des cours de langue, française, anglaise ou autre.  Après tout, il bénéficiera ainsi de l'augmentation des chances et opportunités de s'intégrer au sein de la société québécoise.

Adrien Pouliot

Mélanie Dugré

Avocate.



CONCILIATION LINGUISTIQUE



Soyons réalistes : si la maitrise de l'anglais écrit et parlé est devenue un critère d'embauche pour les Tremblay et les Gagnon, pourquoi la situation serait-elle différente pour les immigrants qui souhaitent travailler au Québec? Un des objectifs visés par l'immigration est de permettre à des  peuples étrangers de devenir des citoyens québécois et de participer activement au roulement de notre économie, ce qui implique évidemment d'occuper des emplois. Il est de la responsabilité du gouvernement, à titre de terre d'accueil, d'offrir à ces nouveaux arrivants, non seulement des programmes d'insertion sociale, mais aussi des outils qui leur permettront de gagner leur vie au Québec. Ce devoir passe notamment par une plus grande reconnaissance des équivalences scolaires et des diplômes étrangers mais aussi par des formations et des cours, incluant l'anglais, qui aideront les immigrants à trouver du travail. C'est une erreur de penser que l'apprentissage de l'anglais mène immanquablement à l'abandon du français. Dans la mesure où le Québec favorise l'immigration en provenance de pays francophones et que le respect de la Charte de la langue française, incluant l'imposition de sanctions plus sévères pour ses violations,  devient une priorité, je crois qu'il est possible de profiter de la richesse que peuvent offrir les deux langues.

Mélanie Dugré

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



COMPÉTENCE ESSENTIELLE



Cette situation illustre une fois de plus, si besoin était, que la maîtrise de l'anglais (à l'oral et à l'écrit) est une compétence essentielle pour occuper bon nombre d'emplois. C'est particulièrement vrai pour les emplois dans la grande région de Montréal, où habitent la majorité des immigrants du Québec. On peut bien pester contre cet état de fait, mais cela ne changera rien à cette réalité : l'anglais est le latin de notre ère. Cette politique nous enseigne aussi que, lors du processus de sélection, nous aurions tout intérêt à sélectionner des immigrants qui maîtrisent à la fois le français et l'anglais. Quant au fait de savoir si l'État québécois devrait assumer ou non le coût de la formation linguistique des immigrants dans le but de faciliter leur employabilité, j'ai tendance à adopter une opinion pragmatique. Il est évident que si nous vivions dans une société où l'État jouait un rôle limité essentiellement à la sécurité publique et à l'administration de la justice, il n'y aurait aucune logique à ce que les contribuables paient cette formation. Toutefois, dans un monde (comme le nôtre) où l'État se mêle de tout et de rien, je me dis qu'il est préférable de payer pour former de futurs employés que pour verser des prestations d'aide sociale.

Archives

Michel Kelly-Gagnon

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



UN PRÊT REMBOURSABLE



Il semble que la situation n'est pas facile pour les immigrants francophones arrivant au Québec. Une province telle que la nôtre, aux prises avec le fait que le français est la langue prédominante, et l'ère de la mondialisation, qui exige dans bien des cas la connaissance de l'anglais. Lorsque ces nouveaux arrivants débarquent ici en espérant un emploi, personne ne leur a mentionné qu'une fois sur quatre, l'emploi convoité exige de parler l'anglais. Comme je l'ai déjà mentionné auparavant, je suis fils d'immigrants italiens ayant étudié en anglais uniquement. Malgré cela, je suis en accord avec le fait que le français doive être l'unique langue de travail. Mais la réalité du marché du travail étant tout autre, le gouvernement devrait d'abord s'assurer de la qualité du français parlé et écrit des immigrants francophones et ensuite, s'il y a lieu, leur remettre un montant d'argent sous forme de prêt remboursable afin qu'ils puissent apprendre l'anglais, et ce uniquement si l'employeur l'exige. Chemin faisant, la personne immigré sera informée que le français demeure la langue officielle du Québec et que l'anglais ne sera toléré que lorsque la situation le justifie.

François Bonnardel

Député de Shefford.



RÉGIONALISER L'IMMIGRATION



Plusieurs signaux d'alarme ont déjà été lancés au gouvernement libéral concernant la lente dérive que constitue l'anglicisation de Montréal. À chaque fois, il a tout fait pour banaliser cette réalité plutôt que de prendre les moyens nécessaires à renforcer notre langue, notamment dans les milieux de travail et les commerces. Nous en avons un autre exemple ce matin : lorsque le gouvernement paie des cours d'anglais à des immigrants nouvellement débarqués au Québec, il choisit la solution la plus facile mais la moins rentable pour la vitalité de notre langue commune. Il est plutôt contradictoire que d'un côté, la connaissance du français soit un des premiers critères de sélection de nos immigrants mais que de l'autre, le gouvernement veut les intégrer au marché du travail en leur offrant des cours d'anglais! Bref, ce n'est pas du tout la bonne façon de saisir le problème, d'autant plus que le Québec devrait mettre bien plus d'efforts pour régionaliser son immigration. Comme les milieux de travail anglophones se situent essentiellement à Montréal, le gouvernement ne fait rien pour renforcer leur présence en régions par des cours d'anglais payés par les contribuables. Plusieurs régions connaissant une pénurie de main-d'oeuvre, nous devrions combler ce manque par une meilleure intégration des immigrants en régions.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.



UN GÉNOCIDE CULTUREL



Le gouvernement du Québec doit oeuvrer à protéger et à promouvoir le français langue officielle du Québec. En investissant l'argent des contribuables québécois dans des cours d'anglais, au lieu de cours de français, il déroge à ses responsabilités. Il agit en traître. Il entraîne la population qu'il représente dans un véritable génocide culturel. Depuis son entrée au pouvoir en 2003, Jean Charest a contribué au recul du français de façon vertigineuse en autorisant les écoles passerelles, en sabrant dans la francisation des immigrants, en introduisant l'anglais intensif au primaire, en encourageant l'anglicisation des milieux de travail. C'est ainsi que Montréal a perdu sont statut de deuxième plus grande ville de langue française au monde et que des citoyens se voient contraints de recourir à un traducteur pour un parent malade. Avec les millions de dollars consentis par le gouvernement du Québec à l'anglicisation de l'État, on comprend qu'il n'ait pas de scrupules à hausser les frais de scolarité des étudiants. Vivement des élections!

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



LA RÉALITÉ ÉCONOMIQUE



Il y a trois jours, le gouvernement du Québec annonçait un renforcement de sa police de la langue. Aujourd'hui, on apprend que ce même gouvernement consacre des millions au financement de cours d'anglais pour les immigrants francophones. Bel effort de cohérence! Malgré tout, on ne peut que saluer cette initiative visant à favoriser l'intégration des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Bien que la loi 101 décrète que le français est la langue du travail au Québec, il y a une réalité économique à laquelle on ne peut échapper : l'apprentissage de la langue anglaise est un moyen pour l'immigrant (comme pour le Québécois de souche) d'améliorer ses chances de se trouver un emploi. Pas d'anglais, pas d'emploi! Avec la mondialisation de l'économie, il devient de plus en plus difficile pour un état souverain d'adopter des politiques linguistiques coercitives. Lorsque le Québec adopte des lois et des règlements pour contrer l'apprentissage et l'usage de l'anglais, ce sont ses propres citoyens qui en sont les premières victimes. On brime leurs libertés individuelles et on les tient captifs d'une langue qui les empêche d'échanger avec le reste du monde. Heureusement, on semble avoir saisi qu'on ne bâtit pas un pays fier et prospère en tenant ses citoyens et ses immigrants dans l'ignorance.

Pierre Simard