Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a-t-il raison de dénoncer les chirurgiens qui encouragent leurs patients à se faire opérer dans leur clinique privée au lieu d'attendre de se faire traiter au public ?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.



Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

UN BOUC ÉMISSAIRE COMMODE

Si le Dr Bolduc craint une fuite abusive de chirurgiens vers la pratique privée, il devrait proposer une loi : ce n'est qu'après avoir pratiqué un nombre déterminé de chirurgies dans le public que le médecin pourrait opérer dans le privé. La Régie de l'assurance-maladie du Québec connaît la quantité d'interventions pour chaque type de chirurgie et pour chaque médecin. Elle peut se baser sur ces chiffres (ou sur la médiane pour les nouveaux médecins) et pénaliser les médecins qui fuient vers les cliniques privées sans assumer leur devoir au public. Mais attention! Il faut que les hôpitaux soient prêts à fournir les salles d'opération, les lits, le personnel de soutien. En accusant les chirurgiens, le ministre Bolduc obscurcit les défaillances du système public. Les salles d'opération fonctionnent à capacité réduite par manque de personnel de soutien. Le manque chronique de lits est aggravé par les fermetures ponctuelles. Certains chirurgiens trouvent inutile d'évaluer rapidement les patients, puisqu'ils ne peuvent pas les opérer de toute façon. Plusieurs chirurgiens se tournent ainsi vers les cliniques privées affiliées. Par ailleurs, ils y sont payés par la RAMQ au même tarif que dans le public. Le Dr Bolduc ne m'a pas convaincue que les chirurgiens soient les grands responsables des délais d'attente.

Jana Havrankova

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

IL FAUT AGIR PLUTÔT QUE RÉAGIR

Ma clientèle en centre de réadaptation physique est composée à 90% de personnes ayant subi des chirurgies de la hanche ou du genou.

Selon le ministre Bolduc, il y aurait environ 150 médecins spécialistes qui redirigent certains de leurs patients vers le privé en leur disant que l'attente ne sera que de deux semaines. Or comment se fait-il que le même médecin oeuvrant pour le réseau de santé public puisse se libérer et opérer au privé dans un si court délai alors que l'attente dans nos hôpitaux est de plus de six mois pour certaines chirurgies? Est-il possible que le réseau de la santé soit si mal structuré et que le chirurgien n'ai pas suffisamment de temps en salle d'opération afin de raccourcir les délais? Le ministre Bolduc a demandé de façon formelle au Collège des médecins de se pencher sur ce sujet. Pourquoi le ministre qui nous révèle cette situation qui existe depuis belle lurette ne prend-il pas le taureau par les cornes et ne modifie-t-il pas la loi sur la santé afin d'éliminer de telles situations? Peut-être en est-il en partie responsable car l'organisation et la planification du réseau et de sa force ouvrière laisse à désirer malgré les belles promesses des Jean Charest, Philippe Couillard et Yves Bolduc. Il est inacceptable que nous financions via nos nombreuses taxes et impôts à grand frais les soins de santé et qu'un médecin nous accule ainsi au pied du mur tout en faisant encore plus d'argent sur notre dos. Plutôt que de toujours dénoncer devant les feux de la rampe de tels actes, le ministre de la Santé devrait sévir immédiatement afin d'interrompre cette pratique qui prend littéralement en otage des personnes qui ne veulent qu'améliorer leur qualité de vie tout en mettant fin à leurs douleurs souvent insupportables. Il semble que ce gouvernement aime mieux réagir plutôt qu'agir.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée

UNE ANOMALIE

Il est normal que le gouvernement soit en droit de gérer le recours à la garantie de soins par les patients puisqu'il doit, dans ce cas, défrayer la note.  Si le patient décide de se faire opérer au privé à ses frais et que sa décision est fondée sur de fausses représentations du chirurgien quant au temps d'attente dans le public, il y a un problème qui pourrait être réglé si les temps d'attente étaient publicisés.  Par contre, si le médecin représente le temps d'attente de façon honnête dans le système public et propose ensuite une alternative dans le privé qui convient mieux au patient et qui est défrayée par le patient lui-même, de quoi se plaint le ministre, si ce n'est que de l'effet bénéfique de l'émulation que génère la concurrence?  Le vrai problème vient du fait que les gardiens du musée du modèle québécois au sein du ministère de la Santé ne veulent pas accepter que c'est une anomalie par rapport autres pays développés que d'avoir un secteur public qui n'est pas seulement responsable du financement des soins, mais qui possède aussi un monopole quasi exclusif dans la prestation des services hospitaliers.  En Europe, où le financement public des soins de santé est au moins aussi important qu'au Canada, le secteur privé à but lucratif joue un rôle de premier plan dans la prestation des services.

Adrien Pouliot

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal

GASPILLAGE DE RESSOURCES

Même à supposer que le phénomène dénoncé par le ministre Bolduc soit aussi répandu qu'il le prétend (ce qui par ailleurs est loin d'être démontré), la meilleure chose à faire est de s'attaquer à la source du problème. 

Ce problème, c'est notamment la mauvaise gestion des hôpitaux qui fait qu'on n'arrive pas à réaliser autant de chirurgies qu'on le voudrait. Comme le soulignait un rapport d'experts qui a visité 23 blocs opératoires à travers la province, les équipements sont sous-utilisés, la coordination et la gestion sont sous-optimales, le personnel dédié fait défaut, on n'applique même pas des règles de base comme confirmer l'inscription d'un patient sur une liste. Les annulations sont très fréquentes. Tout cela entraîne un gaspillage de ressources gigantesques. Le ministre Bolduc est, dit-on, un partisan de la méthode Toyota pour augmenter l'efficacité des hôpitaux. Il ne suffit toutefois pas d'avoir de bonnes intentions, mais aussi de mettre en place les incitations appropriées pour appliquer cette méthode. En Allemagne, dans un système de santé où le financement est en grande parti public et où le principe de l'universalité des soins est respecté, un tiers des hôpitaux sont privés à but lucratif et se font concurrence pour attirer les patients. Ils ne peuvent se permettre le gaspillage qu'entraîne une gestion à la va-comme-je-te-pousse dans nos hôpitaux publics. On devrait s'en inspirer.

Archives

Michel Kelly-Gagnon

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec

UN SYSTÈME PUBLIC POURRI

Les cliniques privées ne font que pallier l'inefficacité d'un système public qui craque de partout. Si notre système de santé universel et gratuit ne générait pas de file d'attente et offrait un service de qualité, personne ne sentirait le besoin d'aller ailleurs. Si notre monopole d'État satisfaisait les attentes des patients en attente d'une chirurgie, personne ne débourserait des milliers de dollars de sa poche pour aller se faire opérer dans une clinique privée. Soyons honnêtes, les cliniques de chirurgie privées sont florissantes parce que notre système public est pourri. Alors que notre ministre devrait se réjouir que des chirurgiens gagnent leur vie en améliorant le sort de leurs patients dans le privé, il nous ressort la rengaine de la médecine à deux vitesses. Dans un régime socialisant, l'égalitarisme aura toujours préséance sur l'efficacité. On a beau répéter à nos politiciens que les citoyens qui vont chercher des services dans le privé libèrent des services dans le public pour les autres, rien n'y fera. À leurs yeux, l'égalitarisme est une question de principe, même si ça signifie de mauvais services pour tous.



Pierre Simard

Paul Daniel Muller

Économiste

LA CHANCE QUE NOUS AVONS!

Honte à la dame, nommée dans l'article de Sara Champagne d'hier, qui a payé 10 000$ de sa poche pour se faire opérer dans une clinique privée et qui se retrouve maintenant endettée ! Ne sait-elle donc pas, l'ingrate, la chance que Nous avons de Nous faire soigner dans un système de santé Public, régi par un Ministère et une Assemblée nationale (plutôt que par des médecins cupides, mus par leurs seuls intérêts pécuniaires) ? Un Système dans lequel nous avons certes le droit de chialer, mais pas celui d'agir : de dépenser notre argent pour nous faire soigner en dehors du monopole public avant que nous ayons suffisamment souffert attendu, le temps du délai jugé « raisonnable » par le ministre. Ne sait-elle donc pas ‑cette traîtresse à la Cause de la pérennité du monopole public‑ que par son geste insoumis, elle met à mal la Bonne opinion, selon laquelle la médecine privée n'est bonne que pour les riches ? Ne fait-elle donc pas confiance à nos institutions, alors que le gouvernement a publié une Politique, intitulée « Garantir l'accès » (2006), et a même fait adopter une Loi (PL33, 2007) pour affirmer sa Volonté politique de limiter l'attente. Ignore-t-elle donc que même Notre Premier ministre a fait de l'éradication de l'attente, dès 2003, sa « priorité des priorité » ? Heureusement qu'en réaction à sa frasque, notre bon docteur Bolduc a affirmé sa Volonté toute ministérielle de sévir contre ces médecins cupides qui, comme celui qui a soigné la dame, offrent une alternative à leurs patients qui veulent sortir du rang !

Paul-Daniel Muller