Le gouvernement Charest présentera un projet de loi contre l'intimidation qui imposera aux écoles une «obligation d'intervention». Croyez-vous qu'il s'agit d'un moyen efficace de contrer le phénomène de la violence à l'école?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.



Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

LA CULTURE DE L'INDIFFÉRENCE

Le projet de loi contre l'intimidation à l'école est un pas dans la bonne direction pour diminuer la violence à l'école. Mais cela ne réglera pas la culture de l'indifférence qui règne à l'école comme partout ailleurs dans la société. En fait, l'individualisme extrême de notre époque tant à favoriser des comportements de repli sur soi des témoins de l'intimidation et de la violence. En obligeant les dirigeants des écoles à l'intervention, on diminue cette attitude de contournement des problèmes. C'est une excellente initiative en ce sens. Mais il faudrait aller plus loin et s'interroger sur la culture profonde qui met en lutte et en compétition les individus les uns contre les autres et qui conduit à l'affrontement. On se plaît à dire aux jeunes garçons en particulier qu'il faut qu'ils s'endurcissent pour affronter les aléas de la vie. On favorise même les combats, les affrontements, les compétitions où les perdants sont souvent ridiculisés. Les échecs forment la jeunesse, dit-on. Mais cela engendre trop souvent des commentaires désobligeants et des attitudes de mépris envers les perdants qui forment le terreau sur lequel se développe l'intimidation. En plus de la loi contre l'intimidation, il faudrait s'interroger sur nos comportements qui la favorisent socialement.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec

L'ÉTAT BIENVEILLANT 

L'histoire de Marjorie est triste. Triste aussi est la récupération médiatique et politique qui a suivi ce drame. Les journaux en on fait leurs choux gras et les politiciens se sont bousculés au portillon pour étaler leur désarroi. Les solutions étaient pourtant si simples : une loi et plus d'argent public pour les écoles. L'intimidation n'était, finalement, qu'un phénomène prenant racine dans le laxisme de l'État. Nous voilà rassurés! Maintenant que l'État s'en occupe, tout est réglé. Parce que lorsque l'État est responsable, plus personne n'est responsable; parce que lorsque l'État s'en occupe, plus personne ne s'en préoccupe. C'est comme ça! Le politicien avisé sait se faire protecteur et nous protège des aléas de la vie. De toute façon, qu'aurions-nous pu faire? Imaginez si les politiciens s'étaient mêlés de leurs affaires et avaient décidé de nous responsabiliser? Il aurait fallu que les directeurs d'école dirigent leurs écoles et que les parents s'occupent de leurs enfants. Impossible! Où trouverions-nous le temps de nous plaindre et de réclamer des lois et plus d'argent public pour mettre fin à l'intimidation dont sont victimes les poupons en garderie, les jeunes hockeyeurs à l'aréna, les aînés en résidence et les victimes...?

Pierre Simard

Francine Laplante

Femme d'affaires

ÇA SENT LES ÉLECTIONS

Ce que l'on peut affirmer hors de tout doute, c'est que ce moyen ne peut qu'aider les intervenants à agir. Personne n'est contre la vertu, c'est assurément un pas vers l'avant. Ce que je trouve dommage, voire même disgracieux, est toute la mise en scène mise de l'avant par le gouvernement Charest pour annoncer ce projet de loi sur l'intimidation. Ça sent la campagne électorale à plein nez. Évoquer le suicide de Marjorie Raymond, inviter des jeunes victimes, faire croire aux gens que la priorité du gouvernement est le bien-être des enfants, pour moi ce n'est que de la foutaise. L'intimidation existe depuis toujours, elle a été de plus en plus médiatisée ces dernières années, mais ce n'est pas d'hier que les besoins sont criants, que les ressources manquent, que les budgets sont inexistants. Et voilà que par hasard, en ce beau dimanche matin du 12 février 2012, tout l'état-major du gouvernement se présente devant les caméras, rempli d'empathie et de compassion, essayant de nous faire avaler qu'il faut maintenant donner aux institutions les moyens d'intervenir. Il y a longtemps que ce projet de loi aurait dû être déposé et que des budgets auraient dû être débloqués. Je n'ose imaginer le nombre de victimes qui s'accumule de jour en jour. Mises à part la responsabilité et l'inertie du gouvernement, il ne faudrait pas oublier que nous aussi en tant que parents, oncles et tantes, voisins et amis, nous avons un rôle éducatif à faire. Nous devons réagir face à tous les gestes inacceptables, si minimes soient-ils. L'intimidation est un problème de société, et la société a le devoir de ne pas se fier uniquement sur le gouvernement pour régler ce fléau alarmant.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

EXIT LA DISCIPLINE ET LE RESPECT

Que se passe-t-il pour que, comme société, nous en soyons rendus à légiférer afin que cesse l'intimidation dans nos écoles ? Avons-nous, à ce point, abdiqué notre rôle de parent pour que le gouvernement se sente l'obligation d'intervenir afin de contrer le harcèlement psychologique ? Et les commissions scolaires, pourquoi ne prennent-elles pas le taureau par les cornes en mettant en place des moyens qui amélioreront la discipline et engendreront le respect des professeurs, qui ont à coeur la formation des élèves d'une part, et des élèves entre eux, d'autre part. On n'a pas le droit de laisser cette situation se détériorer et le gouvernement Charest a tout à fait raison de vouloir contrer ce phénomène. Les commissions scolaires et les directions d'école seront tenues d'agir en aval mais, en amont, il y a nous, les parents. Que faisons-nous pour aider les professeurs pour empêcher le harcèlement psychologique et la violence dans les écoles ? Pas grand-chose quand je lis que certains parents ne se gênent pas pour enguirlander les professeurs qui tentent de s'imposer pour faire régler l'ordre et la discipline. Il est grandement temps d'opérer un virage, que cela plaise ou non. Un tel laisser-aller ne peut plus durer.

Jean Gouin

Mélanie Dugré

Avocate

LOIN DE LA COUPE AUX LÈVRES

Première impression : ça sent les élections.... Bien que cette proposition soit certainement un pas dans la bonne direction, il faudra que la démarche aille plus loin et qu'elle ne soit pas mise au rencart des promesses électorales. Le sujet est trop important et l'enjeu trop fondamental pour nos jeunes pour que le gouvernement l'exploite comme capital politique. Par ailleurs, cette « obligation d'intervention » est, pour l'heur, plutôt vague. Mettons le tout sur le dos des premiers balbutiements du projet mais gardons en tête que le législateur devra s'installer à sa table à dessin de bon matin afin que les dispositions de cette loi aient le muscle et le mordant nécessaires pour que son respect devienne incontournable et que sa violation ne reste pas impunie. Enfin, il faut admettre qu'il y a la loi sur papier et la loi dans la cour d'école. Il sera nécessaire de fournir les outils appropriés aux équipes de direction, d'enseignants et d'intervenants sur le terrain afin d'harmoniser la théorie et la pratique. Ma crainte est qu'une fois les élections derrière nous, toutes ces belles paroles s'envolent et se voient réduites à une histoire de budget et de gros sous.

Mélanie Dugré

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale 

UNE LOI NE RÉGLERA PAS TOUT

Les médias nous donnent de plus en plus souvent à lire ou à entendre des témoignages poignants d'enseignants sur les problèmes de discipline et les mauvais comportements à l'école. Si les profs sont souvent dépassés par les incivilités, l'intimidation est un fléau qui sévit hors des classes bien au-delà des murs de l'école, phénomène encore aggravé par le recours aux nouvelles technologies. Une nouvelle loi ne réglera pas tout, mais aura l'avantage de sensibiliser le milieu scolaire et surtout, les parents, tout en amenant peut-être davantage les victimes à dénoncer leurs agresseurs. Quand une société se voit forcée de légiférer pour imposer le respect envers les autres dès l'école, c'est qu'elle se trouve face à un problème sournois que le bon sens et la persuasion n'ont pas réussi à régler. Face à ces drames, les parents ne peuvent tout simplement pas déléguer leur responsabilité à l'école ou au gouvernement. Il faudrait que chaque élève ramène une copie de la nouvelle loi à la maison, ce qui empêcherait quiconque de plaider l'ignorance. Pour trop de gens, le civisme, le respect de l'autorité et des autres, la discipline, sont des notions dépassées. Elles sont pourtant aussi importantes que l'apprentissage d'une langue ou des mathématiques pour vivre en société. Qu'il faille une loi pour le rappeler en dit long sur la démission des uns et des autres.

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne 

L'ÉCOLE PRÉPARE L'AVENIR

Sachant que l'intimidation à l'école peut conduire au suicide, il apparaît primordial d'y faire face. Le Québec a le devoir de protéger ses enfants et de veiller à leur épanouissement. Un seul décès évitable est une mort de trop. L'obligation d'intervention constitue un pas en avant mais elle doit être accompagnée de moyens d'action. Des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes et de leurs parents doivent être mises sur pied. Il faut pouvoir compter sur des personnes ressource en cas de crise. Chaque cas doit être pris au sérieux. L'école est un lieu d'apprentissage et de développement. La souffrance n'y a pas sa place.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

LÉGIFÉRER SUR UNE ÉVIDENCE

Sans doute le gouvernement n'avait-il pas le choix d'agir après le suicide de Marjorie Raymond, qui a été suivi d'une avalanche de dénonciations par les élèves victimes d'intimidation. Cependant, si j'étais directrice d'une école, je me sentirais un peu humiliée que le gouvernement décrète une loi qui devrait aller de soi : l'intimidation, c'est défendu en toutes circonstances. De toute façon, il incombera aux écoles d'imposer le respect de cette loi. Les directions devront s'assurer que ceux qui dénoncent l'intimidation, élèves, enseignants ou parents, bénéficient d'un accès facile à une personne responsable qui possède la volonté et l'autorité pour agir. Par ailleurs, la ministre de l'Éducation devrait nous dire à quoi serviront les sommes qu'elle compte investir dans sa lutte contre l'intimidation. Y aura-t-il plus de personnel dans les écoles dédié à cette tâche? Quels seront les pouvoirs et les devoirs de ces intervenants? Comment le succès de ces interventions sera-t-il évalué? Une belle loi consensuelle déposée à l'Assemblée nationale ne réglera bien entendu rien si les gestes concrets ne suivent pas.

François Bonnardel

Député de Shefford

UN ENJEU DE SOCIÉTÉ

L'automne dernier, tout le Québec a été ébranlé par l'histoire de la jeune Marjorie Raymond, une victime d'intimidation qui a décidé de mettre fin à ses jours pour arrêter sa souffrance. Cela n'est pas sans rappeler l'histoire du jeune David Fortin, porté disparu depuis maintenant trois ans, et qui a lui aussi vécu de l'intimidation.Nous sommes évidemment tous partisans d'une stratégie pour enrayer l'intimidation à l'école. Je crois qu'on doit faire de l'éducation et de la réussite des élèves notre priorité, et l'intimidation est un facteur qui contribue à affecter les chances de réussites de certains élèves. On se retrouve devant un enjeu de société, et non un enjeu partisan. Il faut toutefois dire que le gouvernement Charest a présenté bien peu de choses hier. Pour ce qui est du projet de loi, il faut laisser la chance au coureur. Nous en prendrons connaissance bientôt, mais ce ne sera pas le remède miracle. Parents, enseignants, législateurs, directeurs d'écoles, voisins : nous avons tous une responsabilité dans la lutte à l'intimidation.

Photo: Janick Marois, Archives La Voix de l'Est

François Bonnardel considère la fusion comme une continuité et non comme une rupture.