Sans l'appui du Conseil de sécurité de l'ONU, les pays occidentaux, dont le Canada, devraient-ils organiser une intervention militaire en Syrie pour déloger du pouvoir le régime du président Bachar el-Assad? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Justin Massie

Professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.



LES LEÇONS LIBYENNES



Toute initiative militaire contre le régime de Bachar el-Assad doit prendre en considération le précédent libyen, contre le régime de Mouammar Kadhafi. Sans l'appui (ou l'abstention) de la Chine et de la Russie, seule une participation massive de pays arabes, tels que la Turquie, le Qatar et l'Arabie Saoudite, permettrait de compenser le manque de légitimité (à défaut de légalité). Les pays occidentaux ne doivent pas être à la pointe de l'initiative, puisqu'une guerre en Syrie nécessitera le déploiement de troupes au sol, devant la forte probabilité d'une guerre civile et interconfessionnelle, et pourrait entraîner un conflit par procuration contre l'Iran, fidèle alliée du régime el-Assad. Dans un climat de vive tension vis-à-vis des ambitions nucléaires de l'Iran, une guerre occidentale menée au nom des Syriens, mais en réalité dirigée contre l'arc d'influence iranien au Moyen-Orient, aurait toutes les chances d'entraîner davantage de décès que la poursuite d'une stratégie d'isolement du président el-Assad, à la fois en Syrie et au Conseil de sécurité de l'ONU. Malgré la rhétorique belliqueuse et manichéenne du premier ministre Stephen Harper, espérons qu'il saura tirer les bonnes leçons du précédent libyen.

Justin Massie

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



PEUT-ON LAISSER UN MASSACRE SE POURSUIVRE?



Une intervention militaire des pays occidentaux en Syrie pose la délicate question de l'ingérence dans un pays étranger. De quels droits pouvons-nous légitimement intervenir militairement pour rétablir la paix et le respect des droits fondamentaux de l'homme? Jusqu'à quel point faut-il attendre lorsqu'une situation se dégrade dans un pays étranger afin de ne pas devenir complice de crimes envers l'humanité? Peut-on laisser un peuple se faire massacrer par un régime autoritaire qui impose l'ordre par les armes? Comment intervenir intelligemment sans envenimer les choses et sans laisser un pays à feu et à sang ou aux mains de quelques groupuscules qui rétabliront bientôt la terreur? On peut retourner la question dans tous les sens, mais aucune réponse satisfaisante n'apparaîtra comme par magie. On doit se salir les mains pour ne pas les avoir maculées du sang d'innocentes victimes d'abus de pouvoir de régimes totalitaires. Pourrait-il y avoir une solution négociée qui faciliterait le passage d'un pouvoir dictatorial à un régime démocratique sans bains de sang? Ce serait la solution idéale à envisager en premier. Mais un jour viendra où il faudra agir et se souvenir des leçons du passé lorsque la non-ingérence a permis à des génocides de se produire.

Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau à Québec.



ENTRE LE DEVOIR ET LA GAFFE



Malgré l'empathie qu'on peut éprouver pour la population syrienne martyrisée par ses dirigeants, une intervention militaire occidentale en Syrie, a fortiori sans l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU, est une aventure qu'il faut écarter au profit d'autres solutions moins calamiteuses. En effet, ceux qui seraient tentés d'y répéter l'expérience d'ingérence humanitaire qui a tourné au cafouillis en Libye devraient méditer sur les faits suivants. Un, l'affrontement qui s'y déroule depuis le printemps 2011 n'est pas seulement une révolution populaire contre une dictature sanguinaire, mais aussi une lutte interconfessionnelle (sunnites contre chiites alaouites et chrétiens) et un conflit entre la capitale et les villes de province. Deux, une intervention occidentale en Syrie provoquerait l'embrasement du Liban, où l'influence syrienne est prépondérante (entre autres par le biais du Hezbollah) et qui commence à peine à se remettre de plus de 15 ans de guerre civile. Trois, l'immixtion unilatérale des pays occidentaux dans cette affaire provoquerait une grave crise internationale que l'Iran (majoritairement chiite et allié de la Syrie) s'amuserait à aggraver pour détourner l'attention de ses ambitions nucléaires. Enfin, les salafistes s'empresseraient de présenter toute intervention unilatérale comme une nouvelle croisade anti musulmane. Il faut donc d'abord continuer à faire pression sur la Chine et la Russie afin qu'elles abandonnent leur politique clientéliste à l'endroit du régime el-Assad, resserrer les sanctions à l'endroit du gouvernement et de ses dirigeants et inciter les pays arabes ainsi que la Turquie à s'interposer plus vigoureusement pour provoquer le départ du dictateur et offrir leur protection aux Damascènes et aux minorités religieuses, inquiets à bon droit.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



LA SOLUTION PASSE PAR LA LIGUE ARABE



Il est difficile de demeurer passif devant la violence qui a présentement cours en Syrie. Nous avons tous une idée de ce qui devait être fait pour enrayer une fois pour toutes cette folie meurtrière quotidienne. On voudrait que le président Bachar el-Assad ne s'accroche plus au pouvoir et permette à la démocratie de s'installer sans trop de heurts. Je crois que c'est cependant beaucoup demander aux dirigeants syriens qui ont abusé de leur pouvoir. Par ailleurs, ce n'est certes pas parce qu'il y a un vent de changement qui souffle sur la Syrie présentement que les pays occidentaux doivent intervenir militairement, sans au préalable obtenir l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU. La Ligue arabe, qui a tenté une percée sur le plan de la diplomatie, a vite réalisé que ce n'est pas une simple mission d'observation qui fera plier et reculer le président el-Assad. Par contre, la solution pour mettre fin à cette crise doit provenir de la Ligue arabe. Ce sont les Syriens eux-mêmes comme peuple qui espèrent le changement que le pouvoir leur refuse. Cette solution se doit d'être pacifique et les pays occidentaux, tout comme le Conseil de sécurité de l'ONU, ne devraient intervenir seulement si la Ligue arabe en fait la demande. «S'entendre avec ses semblables est une assurance pour l'avenir» (auteur anonyme).

Jean Gouin

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.

MÊLONS-NOUS DE NOS AFFAIRES



Il y a toujours de bonnes raisons pour se mêler des affaires des autres. Le hic, c'est que les interventions militaires s'apparentent aux interventions gouvernementales : on sait quand ça débute, mais on ne sait jamais quand ça se termine. On commence par donner son accord à une intervention humanitaire, on accepte par la suite de fournir des armes et du matériel et, finalement, on envoie nos soldats se faire tuer au bout du monde. Dix ou vingt ans plus tard, nos alliés d'aujourd'hui se retournent les uns contre les autres et nous voilà, encore une fois, à soutenir une faction quelconque et à dépêcher des troupes pour la soutenir. Et si par hasard on manque d'amis à défendre, nous envoyons nos soldats jouer les Casques bleus pour arbitrer les conflits des autres. C'est l'escalade des bonnes intentions... militaires! Pendant ce temps, notre dette publique se creuse et on peine à sécuriser nos frontières contre le terrorisme. La politique canadienne en matière de défense devrait se limiter à assurer la sécurité des Canadiens. C'est tout!  Se mêler de ses affaires sera toujours la meilleure des stratégies militaires.

Pierre Simard