À contre-courant du reste du Canada, et aussi des États-Unis, le Québec a non seulement encaissé une perte de 25 700 emplois le mois dernier, mais son taux de chômage a bondi de 0,7 % pour atteindre 8,7%. Cette situation vous inquiète-t-elle? Est-ce un mauvais présage pour la situation économique du Québec en 2012? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.



UNE PREMIÈRE ALERTE



Depuis le début de la crise de 2008, le Québec a été relativement épargné par les turbulences. Pendant ce temps-là, lourdement affectés par les difficultés de l'industrie automobile, le gouvernement et les entreprises de l'Ontario ne sont probablement pas restés les bras croisés et ont posé des gestes pour créer des emplois. Le Québec intervient également beaucoup dans son économie et les ambitions du Plan Nord, pour ne prendre que cet exemple, vont probablement finir par porter fruit. Mais avant tout, ce sont les entreprises privées qui doivent créer de l'emploi. Peut-être faut-il envisager de réduire leurs charges fiscales de manière à les encourager à réinvestir dans l'économie du Québec, tout en attirant ici des entreprises étrangères ? On s'est habitué à trouver bas un taux de chômage de 7 ou 8%. En réalité, le taux de chômage réel se situe probablement autour des 9 à 10%. Pour une société riche et instruite comme la nôtre, ce taux est trop élevé. L'intervention du gouvernement a ses limites. Il ne peut taxer ou imposer davantage. Il doit retrouver l'équilibre budgétaire et réduire la dette publique. Il ne peut compter sur les consommateurs pour relancer l'économie, ce qui reviendrait à leur dire de continuer de s'endetter alors qu'ils nagent dans les dettes et qu'une grande majorité d'entre eux dispose de peu d'épargnes. Dans cette situation, le signal que nous envoie l'augmentation du taux de chômage est fort inquiétant.



Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE MENACÉ



Les chiffres provenant de l'enquête sur la population active sont relativement volatils et il faut faire attention de ne pas s'emballer avec les données d'un seul mois. On a souvent vu les variations d'un mois être renversées par les variations du mois suivant.  Ce qui me préoccupe dans les données de décembre sur l'emploi au Québec, publiées vendredi dernier, ce n'est pas la baisse de 25 700  emplois qu'il y aurait eue entre novembre et décembre, mais le fait que la performance de l'emploi au Québec se détériore depuis sept mois. Le niveau de l'emploi en décembre était respectivement de 2%  et 1,3% inférieur au niveau enregistré en mai 2011 et décembre 2010. L'automne dernier, lors de sa mise à jour économique et financière, le ministre des Finances du Québec, M. Raymond Bachand, résumait ainsi la situation de l'emploi au Québec : «Après le fort redressement du marché du travail en 2010, la création d'emplois s'est poursuivie à un rythme modéré en 2011.»  Les chiffres de l'emploi des derniers mois donnent un tout autre son de cloche pour 2011. Ils sont préoccupants et vont forcer les analystes et le ministère des Finances du Québec à réduire les perspectives de croissance économique pour le Québec. Cela aura pour effet de rendre plus difficile le retour à l'équilibre budgétaire, surtout si on fait abstraction du paiement exceptionnel de 2,2 milliards de dollars effectué par le gouvernement fédéral au gouvernement du Québec pour l'harmonisation de la TPS et de la TVQ.

Jean-Pierre Aubry

Françoise Bertrand

PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec.



UNE FAUSSE IMPRESSION



Le renversement de la situation de l'emploi au Québec au cours des derniers mois a de quoi inquiéter. L'idée que nous avions mieux traversé la dernière récession que les autres provinces canadiennes et que les États-Unis est peut-être en train de nous jouer un tour. Le redressement de l'économie manufacturière ontarienne et le développement accéléré des ressources naturelles dans l'Ouest ont largement contribué à démontrer que tout ne va pas bien au Québec. Notre taux de chômage, qui était inférieur à celui de l'Ontario depuis 2009, est maintenant supérieur à celui-ci. Il est inquiétant de constater le déclin du taux d'emploi. La chute des derniers mois a virtuellement effacé les gains qui avaient été réalisés depuis le creux de la dernière récession. Le manque de soutien au secteur manufacturier commence cruellement à se faire sentir : depuis le sommet de 2002, ce secteur a perdu 162 500 emplois. Le retard de productivité du Québec par rapport aux économies voisines est certainement l'élément clé sur lequel il faut se pencher si nous ne voulons pas être à la remorque des autres. Il faut se redonner la confiance nécessaire au développement économique et investir davantage dans notre capital humain et dans l'amélioration de notre productivité.

Photothèque Le Soleil, Laetitia Deconinck

Françoise Bertrand, présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



NOS RESSOURCES À LA RESCOUSSE



Bien qu'il faille toujours se méfier de statistiques à court terme, on ne peut s'empêcher d'être inquiet devant la montée du chômage. L'économie n'est pas encore remise de la dernière récession et les nouvelles venant de l'Europe ne sont guère encourageantes. Le surendettement de plusieurs gouvernements, incluant le Québec,  n'est pas non plus rassurant puisqu'il réduit d'autant la marge de manoeuvre des administrations publiques de soutenir l'économie par diverses mesures destinées à la création d'emplois. D'un autre côté, certaines données sont encourageantes. Notamment en ce qui a trait à l'économie américaine qui reprend peu à peu du poil de la bête et aux autres provinces canadiennes qui, elles, ont vu leur taux de chômage diminuer le mois dernier. Les Etats-Unis et l'Ontario sont deux partenaires économiques majeurs du Québec et la vitalité de ces marchés ne peut être qu'une bonne nouvelle pour le Québec. Le Québec a la chance de pouvoir compter sur d'énormes ressources naturelles. Le développement de celles-ci représente très certainement une façon de créer des emplois durables, spécialisés et aussi bien rémunérés. Souhaitons que notre habituelle tendance à s'enfarger dans les fleurs du tapis ne vienne pas freiner cet immense potentiel et ainsi nous priver de milliers d'emplois dont le Québec a grandement besoin.

Denis Boucher

Jana Havrankova

Endocrinologue.



COMMENT CRÉER DES EMPLOIS?



D'abord, il est hasardeux de vouloir prédire l'évolution de l'emploi au cours de l'année 2012 d'après les résultats du seul mois de décembre 2011. Le taux de chômage au Québec était plutôt de 7,8 % en 2011 et 38 500 emplois ont été créés. Cela étant, les perspectives de création de l'emploi ne s'avèrent pas prometteuses. Plusieurs services ont été partiellement remplacés par les systèmes informatiques : téléphonistes, caissiers de banques ou d'épiceries. Le secteur manufacturier continuera à souffrir de la concurrence parfois déloyale, mais impossible à surmonter, de l'Asie. Les employeurs exigent un minimum du 5e secondaire pour tout travail, diminuant les chances de dénicher un emploi pour certains jeunes. Les postulants à l'emploi s'avèrent parfois rigides dans ce qu'ils sont prêts à accepter comme travail et lèvent le nez sur les emplois jugés subalternes, mais nécessaires. Certaines industries ont possiblement atteint la fin de leur vie utile, comme celle de l'amiante. La récession aux États-Unis et en Europe nuira aux exportations québécoises et forcera probablement certaines industries à réduire leur main-d'oeuvre. Le gouvernement peut et doit créer des conditions pour favoriser la création des emplois durables. Il convient qu'il explique aux citoyens comment il s'y prendra.

Jana Havrankova

Claudette Carbonneau

Ex-présidente de la CSN.



UN CHANGEMENT DE CAP S'IMPOSE



Par delà les pertes d'emplois et la montée du chômage enregistrées en décembre, la situation de l'emploi à de quoi inquiéter. La moyenne de l'année  2011 contredit le mantra des «deux mains sur le volant» . La progression de l'emploi est anémique, voire même en deçà des prévisions gouvernementales. Nos régions accumulent les mauvaises nouvelles: Résolu à Kénogami , White Birch, etc. Surtout l'incertitude pèse lourd sur l'Europe.

Le pari de baisser la fiscalité des entreprises, à l'heure où elles engrangent les profits, pour les inciter à investir dans l'amélioration de la productivité s'avère être un échec. Dans ce contexte, je crains l'entêtement de Québec de revenir à tout prix au déficit zéro à très court terme. Les dépenses de consommation qui ont longtemps sauvé notre économie s'essoufflent devant l'endettement des ménages et ce glissement de la fiscalité vers des tarifications aussi lourdes qu'injustes. L'art de tirer dans son propre canot ! Le gouvernement fédéral n'est pas en reste. Déjà peu enclin à l'interventionnisme, il va se conforter tant que le pétrole de l'ouest et l'automobile vont bien. Encore une foism on va répondre au Québec qu'il n'y a plus de service au numéro que vous avez composé, même s'il s'agit de nos taxes et de nos impôts. Vivement un changement de cap s'impose.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



LE QUÉBEC SE VIDE!



Bien sûr que c'est inquiétant: le Québec continuera à se marginaliser du reste du Canada! Comme l'expliquent les économistes Gérard Bélanger et Jean-Luc Migué, les ajustements interrégionaux aux variations de croissance se concrétisent par l'émigration des Québécois, et par un Québec moins attrayant pour les immigrants. Lorsque vous n'avez pas d'emploi, ou un emploi à faible revenu, vous déménagez là où vous pouvez améliorer votre sort. Cette réalité est celle de beaucoup de jeunes Québécois et de nouveaux immigrants qui, depuis plusieurs décennies, préfèrent aller faire leur vie dans les provinces les plus prospères du pays. Résultat? La population du Québec, qui représentait 29% de la population canadienne en 1966, a vu son poids fondre à 23%. Plusieurs rétorqueront que tout ça n'a guère d'importance, car notre revenu disponible reste comparable à celui des autres Canadiens. C'est vrai. Comme l'ont montré nos deux économistes, on gagne plus à Toronto qu'à Montréal, mais comme il en coûte plus cher de se loger à Toronto qu'à Montréal, notre revenu disponible reste comparable à celui des Torontois. Le problème, c'est qu'à se gargariser du revenu disponible, on oublie l'essentiel. On oublie que notre appauvrissement se manifeste d'abord et avant tout par l'exode des nôtres. Bref, à trop se regarder le nombril, on risque de vider le Québec des Québécois les plus prometteurs.

Pierre Simard

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford.



PRÈS D'UN SOMMET HISTORIQUE



L'année 2012 est encore jeune, mais déjà les perspectives de croissance économique sont faibles. Le gouvernement viendra piger encore plus dans les poches des contribuables avec la hausse de taxe de 1%, 1 cent de plus sur le litre d'essence, la contribution santé qui passera à 200$, et les nombreuses hausses tarifaires. C'est sans compter la dette du Québec qui devrait augmenter pour une deuxième année consécutive de 10 milliards de dollars en 2012, assurant le Québec de conserver le statut de province la plus endettée et d'alourdir le fardeau fiscal des générations futures. Les pertes d'emploi massives annoncent souvent le début d'une récession et le gouvernement ne cesse de dépenser davantage. Le taux de chômage au Québec est en voie d'atteindre le sommet historique d'août 2009 à 8,95%, en pleine crise économique. Pire encore, depuis septembre 2011, il se détache rapidement du reste du Canada avec un écart qui atteint aujourd'hui 1,2%. Ces données ne sont pas réjouissantes en considérant le fait que le Québec n'a plus les moyens d'injecter massivement de l'argent dans l'économie. Avec de tels résultats, le Parti libéral n'a plus aucune crédibilité quand son chef se présente devant les Québécois en affirmant que le PLQ est le parti de l'économie.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec.



FAIRE UNE PIERRE DEUX COUPS



Les statistiques concernant l'emploi sont certes inquiétantes, mais plutôt que de céder à la panique, analysons quelques pistes de solution. Tout d'abord, l'augmentation du chômage nous rappelle l'importance d'avoir un filet social solide qui permettra aux 25 700 personnes ayant perdu leur emploi dans le dernier mois de vivre décemment et de trouver un nouvel emploi. On pense bien sûr à l'assurance emploi, mais aussi aux différents programmes de réinsertion en emploi. Ces programmes sont essentiels, car bien que plusieurs aient perdu leur emploi, tout n'est pas sombre.  En effet, nombre de secteurs manquent cruellement de travailleurs qualifiés. En fait, plus de 70% des nouveaux emplois créés au Canada vont nécessiter un diplôme d'études postsecondaires. Voilà l'occasion de faire une pierre, deux coups. Pour y arriver, il faut investir davantage dans la démocratisation de l'éducation pour donner une seconde chance à ces travailleurs.  À titre d'exemple, peu de Québécois fréquentent ce qu'on appelle la formation continue. Ce type de formation offert au collégial permet entre autres aux travailleurs de retourner momentanément sur les bancs d'école pour se relancer vers un nouveau secteur d'emploi. Il faut également améliorer la conciliation études-famille via des cours du soir ou des incitatifs financiers si nous voulons qu'un plus grand nombre de pères et de mères ayant perdu leur emploi fréquentent les bancs d'école. En somme, la situation est certes sombre, mais l'éducation nous offre plusieurs portes de sortie.