La décision du Canadien de Montréal de remplacer Jacques Martin par Randy Cunneyworth, un unilingue anglophone, a suscité le mécontentement de beaucoup de Québécois. Certains suggèrent aux partisans de boycotter les produits de la brasserie Molson pour protester. Selon vous, l'entraîneur du Canadien doit-il impérativement parler français? Et comment les partisans peuvent-ils manifester leur mécontentement envers l'organisation du Canadien?                

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Guy Ferland

Professeur de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

On s'en souvient

Le Canadien de Montréal a été fondé en 1909 pour permettre à des Canadiens français de jouer dans la National Hockey Association (NHA). À travers toute son histoire, le club a gagné en misant sur le talent de joueurs francophones et en respectant ses partisans. Les grandes dynasties de la Sainte Flanelle ont été tricotées serrées avec de la fibre québécoise depuis le Rocket Richard, en passant par Jean Béliveau, Guy Lafleur et Patrick Roy, qui ont été les meilleurs ambassadeurs des Glorieux. Il y avait 12 joueurs francophones dans l'équipe lorsque Le Canadien a remporté sa 24e coupe Stanley, en 1993. Depuis, c'est la disette. On mise sur le talent étranger, très peu sur la sélection locale. Les résultats sont décevants et désolants. En fait, l'équipe de Montréal est passée d'un grand club de hockey avec une identité nationale à une grosse industrie internationale de divertissement. Nommer un entraîneur unilingue anglophone pour le CH dans ce contexte, c'est un manque de respect qui confine à du mépris envers les partisans. On se fout des résultats et du public, pourvu qu'on remplisse le Centre Bell et qu'on vende des produits dérivés. Non seulement les partisans ont le droit, mais ils ont peut-être même le devoir de se révolter et de boycotter tous les produits de la brasserie Molson.

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne

Droit au but

Un vérificateur général unilingue anglais, des juges unilingues anglais, des dirigeants d'entreprise québécoise unilingues anglais, des députés et des ministres unilingues anglais, quoi de plus normal ! Mais, que l'entraîneur de l'équipe de hockey de Montréal, dans laquelle évoluent un ou deux jours Québécois, ne parle pas un mot de français, quelle insulte! Les amateurs de sport ont raison de s'indigner, mais les nominations de Michael Ferguson,  Michael Moldaver, Marshall Rothstein, Kim McInnes, Ruth Ellen Brosseau, s'avèrent aussi contestables que celle de Randy Cunneyworth. La fierté ne doit pas se limiter aux gradins du centre Molson. Go habs go!

Nestor Turcotte

Théologien et philosophe.

Encore la langue

Le Québec lutte pour conserver ses racines françaises en Amérique. Il a essayé de protéger la langue française en promulguant la loi 101, mais cette loi, datant de 1977, est de plus en plus vidée de sa substance. Aucune loi, si restrictive soit-elle, ne peut sauver une langue. Toute langue est sauvée par la volonté de ceux qui la parlent. Qui la parlent le mieux possible. Qui l'écrivent le mieux possible. Les personnes occupant un poste prestigieux dans la société doivent donner l'exemple. De cette façon, la vie sera « BELL »...

Le club de hockey Canadien a répété une grave erreur historique en imposant un unilingue anglophone comme entraîneur de la Sainte-Flanelle. Peut-on imaginer un entraîneur du club  de hockey de Toronto, unilingue francophone? Le tollé serait généralisé.

Les « francofuns » du Québec ne doivent pas se gêner pour manifester leur mécontentement. Je suggère, personnellement, deux gestes significatifs: ne plus acheter les produits de la brasserie Molson et, un samedi soir, après l'hymne national chanté « bilingual », entonner spontanément « Gens du pays » de Gilles Vigneault. Ou un organisme nationaliste québécois distribue, à l'entrée du centre sportif, un brassard sur lequel seraient imprimés les mots: QUÉBEC FRANÇAIS... L'entraîneur pourrait, en une soirée, apprendre au moins deux mots de la langue de chez nous. Ce serait un début...

Il faut encourager le bilinguisme, même le "trilinguisme" personnel. Il faut cependant exiger l'unilinguisme français dans les institutions québécoises. La nation québécoise est une nation française d'Amérique. A-t-elle uniquement le goût de survivre ou a-t-elle le goût de disparaître? Toute la question est là !

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE NESTOR TURCOTTE

Nestor Turcotte.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal

Rien de plus qu'une marque

L'importance du débat entourant l'unilinguisme de Randy Cunneyworth démontre un symptôme de notre société : nous nous intéressons plus au sort de notre équipe de hockey que de l'avenir de notre province. Ceci étant constaté, il faut faire une bonne lecture de la situation. Monsieur Cunneyworth étant déjà dans l'organisation, on pouvait en faire un Jacques Laperrière et lui laisser diriger le club d'ici la fin de la saison. La meilleure période pour trouver un entraîneur n'est pas la période du temps des fêtes, mais la période estivale. Nous devons faire preuve d'intelligence situationnelle et non se rebeller pour une décision temporaire. En septembre, nous verrons peut-être Bob Hartley, Patrick Roy ou autres francophones diriger les Canadiens de Montréal. Mais ce que nous pouvons réaliser collectivement, c'est qu'un club de hockey de la LNH n'est qu'un simple morceau d'une association de propriétaires pouvant bien faire ce qu'ils veulent dans leur club privé. C'est une entreprise, pas une religion ni une affaire d'État : c'est simplement une société dont les revenus sont générés par les partisans qui sont eux-mêmes des espaces publicitaires gratuits. Toutefois, satisfaire le partisan est aussi satisfaire son client. Si le client est insatisfait, il peut consommer ailleurs. Le problème ici, c'est que le partisan ne veut pas consommer ailleurs ni arrêter de consommer. Cette situation soulève un autre questionnement : si nous ne sommes pas en mesure de comprendre la deuxième langue du pays, il faudrait commencer à se questionner sur notre propre unilinguisme généralisé. Arrêtons d'avoir peur, soyons ouverts. Arrêtons de jouer aux victimes en faisant nous-mêmes de la discrimination. Le hockey est maintenant mondialisé, les joueurs viennent de tous les endroits du monde. La seule langue qui est comprise de tous les joueurs, c'est l'anglais. J'adore le hockey, j'aime aller voir un match du Canadien, mais le fait qu'on en fasse la première page de notre journal quotidiennement m'indigne davantage que la langue parlée par un coach dont l'espérance d'emploi est de 18 mois. Le journalisme sportif est rempli de vide : j'ai horreur du vide.

Pierre-Yves McSween

Daniel Gill

Professeur agrégé, Institut d'urbanisme, Faculté de l'aménagement

Boycottons les produits vendus au Centre Bell

Cela montre très bien que, malgré les apparences, Jeff Molson n'est aucunement au courant de la réalité québécoise avec toutes les nouvelles qui circulent depuis quelques semaines sur le traitement du français dans les entreprises québécoises.  Comment peut-on accepter qu'une organisation puisse continuer à renier un passé dont l'histoire est intimement liée à celle d'un peuple? En fait, cela s'inscrit dans une tendance lourde entamée par l'ère Gainey qui a vidé le club de ce qui lui restait de francophones et qui ne fait que se poursuivre avec Gauthier.

Toutes les grandes villes nord-américaines ont un lieu affectif avec leurs équipes sportives qu'on pense aux Yankees, aux Celtics, aux Packers, aux Red Wings. Il ne viendrait jamais à l'idée de leurs propriétaires de renier un passé qui assure leur rentabilité financière.

Quant à ceux qui ne cessent de répéter que la langue ou l'origine des joueurs et instructeurs n'a pas d'importance, car c'est la victoire qui prime, ils devraient s'ouvrir les yeux. Autrefois avec ses Québécois, le Canadien gagnait en moyenne la coupe tous les deux ans, il l'a gagné deux fois durant les 30 dernières années.

Boycotter les produits vendus un Centre-Bell toucherait financièrement l'organisation et au lieu d'acheter une casquette et surtout de la bière, les fans (s'il y en a encore) devraient se présenter au Centre Bell les poches vides avec le fameux sac brun de la honte sur la tête.

Daniel Gill

Jana Havrankova

Endocrinologue

Manque de sensibilité

Il faut vivre sur une autre planète pour ne pas savoir comment est perçue au Québec une nomination des personnes unilingues anglophones. Que ce soit à la Banque Nationale ou à la Caisse du dépôt et de placement, la présence des personnes qui ne parlent que l'anglais est presque unanimement décriée. La direction du Canadien devait prévoir que la nomination d'un entraîneur unilingue anglophone allait heurter ce symbole québécois que représente le Canadien de Montréal. Toutefois, avant de m'indigner davantage, j'aimerais poser quelques questions. Faillait-il absolument congédier l'entraîneur avant d'en trouver un bilingue? La direction du Canadien avait-elle le choix? Un entraîneur bilingue était-il disponible? Les partisans désirent avant tout que le Canadien gagne. Vont-ils boycotter les produits de Molson? Cela se peut, parce que c'est facile. Ils n'ont qu'à boire les bières de Labatt ou les multiples bières artisanales sur le marché. Vont-ils boycotter les matchs du Canadien? J'en doute. Si le Canadien recommence à remporter des victoires, on oubliera vite le manque de sensibilité dont la direction du Canadien a fait preuve.

Louis Bernard

Avocat et consultant

De retour aux années 50

Il est un certain nombre de domaines, dans le Québec d'aujourd'hui, où la capacité de communiquer en français, même lorsqu'elle n'est pas requise par la loi, s'impose en raison du sens commun. Les Québécois, avec raison, en font une affaire de respect envers la majorité des citoyens et le caractère de la nation. C'est évidemment le cas des institutions publiques comme la Cour suprême et le Vérificateur général du Canada, des institutions parapubliques comme la Caisse de dépôt et placement ou même des entreprises privées comme la Banque Nationale. Et c'est aussi le cas pour une "institution populaire" comme les Canadiens de Montréal à laquelle une grande partie de la population s'identifie spontanément. Ce qui pouvait, malheureusement, être acceptable il y a quelques années ne peut plus l'être aujourd'hui, et ceux qui ne l'ont pas encore compris l'apprendront à leurs dépens. En plusieurs circonstances, comme lors des conférences de presse avec les chroniqueurs sportifs, l'entraîneur-chef est l'image et le porte-parole du club: le moins qu'on puisse dire, c'est que la communication ne sera pas aussi étroite qu'elle devrait l'être. De plus, il est certain que les joueurs francophones auront de la difficulté à se sentir "chez eux" dans une chambre où tout ce qui compte se fera en anglais, comme dans n'importe quelle autre équipe de la LNH. Ceux qui ont vu le film sur la vie de Maurice Richard reconnaîtront aisément le Québec des années 50.


Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec

Une situation temporaire

Les Canadiens de Montréal se cherchent. En fait, ils sont à la recherche de l'étincelle qui leur permettra de gagner des matches et de répondre aux attentes des amateurs. On dirait que les joueurs sont incapables de prendre la pression lors des moments importants, ou encore, qu'ils laissent filer une avance de quelques buts alors que le match est à leur portée. Les jeunes manquent de caractère. Pourtant, sur papier, ils ont tout ce qu'il faut, à part cette volonté de gagner à tout prix. Je ne suis pas un grand fan de Jacques Martin. Son renvoi n'a même pas semblé fouetter les troupes. Je n'ai jamais cru qu'il était l'homme de la situation. Mais quel entraîneur peut l'être quand les joueurs ne font pas leur boulot adéquatement. Je m'ennuie de Guy Carbonneau, à qui on n'a laissé aucune chance. À savoir maintenant si l'entraîneur que l'on engagera éventuellement doit obligatoirement parler français, il est évident que cela s'impose. Nous savons pour l'instant que Randy Cunneyworth a été nommé temporairement au poste d'entraîneur. On voulait envoyer un message clair aux joueurs. Voilà, c'est fait. Maintenant, il appartient à la haute direction du Canadien de trouver la perle qui satisfera les amateurs exigeants que nous sommes. Les partisans du Canadien sont des inconditionnels de leur équipe. Ils vont accepter une situation temporaire, mais exiger que les dirigeants du Canadien leur procurent, dans un avenir pas trop lointain, un nouvel entraîneur, pas nécessairement un francophone de souche, mais un entraîneur de qualité, un homme de hockey, qui saura converser en français.

Jean Gouin

Marc Simard

Enseignant, Collège François-Xavier-Garneau (Québec)

Manque de flair et mauvais contexte

Quand Randy Cunneyworth a accepté en 2010 le poste d'entraîneur des Bulldogs de Hamilton, club ferme des Canadiens de Montréal, il l'a bien sûr fait dans le but de se rapprocher du poste convoité (il n'y en a que 30) d'entraîneur-chef d'une franchise de la LNH, à Montréal ou ailleurs. Mais il n'avait certainement pas prévu ce scénario où, à peine 17 mois plus tard, il allait succéder à son ami et mentor Jacques Martin dans la controverse. Hélas, pendant ces quelque 500 jours, il n'a pas fait les efforts nécessaires pour apprendre ne serait-ce que quelques phrases de français.

M. Cunneyworth a été fort mal avisé d'accepter cet emploi à Hamilton malgré son ambition. D'abord parce qu'il s'est joint à une organisation qui est à la dérive sur le plan sportif depuis le congédiement de Serge Savard en 1995, une organisation qui repêche mal et qui choisit mal ses dirigeants et ses agents libres. Et ensuite parce qu'il aurait dû savoir, ne parlant pas français, qu'il se lançait tête première dans un cul-de-sac. Ce manque de flair est aggravé par le contexte actuel alors que des crises linguistiques viennent de secouer la Caisse de Dépôt et la Banque Nationale et que les Gardiens de la Langue sont aux abois au point où ils veulent interdire aux francophones de fréquenter le cégep en anglais, forcer les enfants à parler français dans les cours d'école et réécrire la Loi 101. Alors on comprendra qu'il est impossible dans ces circonstances à un unilingue anglophone de diriger une institution sacrée comme le Canadien de Montréal.

Même si, dans la logique de l'entreprise, Randy Cunneyworth était le seul candidat possible hic et nunc, il n'arrivera pas à sauver sa peau, sauf si le CH remportait par miracle la coupe Stanley en juin prochain, et encore!

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique

Les conséquences d'un monopole

Imaginons que les Nordiques sont de retour à Québec. Pensez-vous qu'une entreprise comme le Canadien prendrait le risque de s'aliéner une partie de sa clientèle en nommant un entraineur unilingue anglophone? Je ne le crois pas! Le Canadien de Montréal occupe une position de quasi-monopole sur l'offre de hockey de la LNH au Québec : il domine un marché où la concurrence reste marginale. C'est cette situation de monopoleur qui lui permet de prendre des décisions sans trop se préoccuper des préférences des amateurs. Les dirigeants doivent probablement se conforter avec l'idée que le Centre Bell sera toujours bondé et les revenus publicitaires au rendez-vous, et ce, peu importe qui est l'entraineur de l'équipe. Les propriétaires du Canadien oublient cependant qu'ils sont en concurrence sur d'autres marchés. Comme les amateurs de hockey sont aussi (souvent) des consommateurs de bière, ils peuvent envoyer un message de désapprobation à la direction de l'équipe en répondant à l'appel au boycottage. D'ici le retour des Nordiques, il s'agit d'un des seuls moyens à leur disposition pour faire payer à la direction du Canadien de Montréal le prix de ses mauvaises décisions. Le feront-ils? Ce serait une intéressante démonstration que notre conscience nationale peut s'exprimer autrement que par la bouche des politiciens.

Pierre Simard